Touriste professionnel

 

TOURISTE PROFESSIONNEL

   L'ANTI-GUIDE DU VOYAGE

A peine aperçu chez Géraldine, aussitôt acquis en librairie! C'est que cet ouvrage annonçait le fou rire assuré à travers les anecdotes de voyage de Vincent Noyoux, auteur de guide de voyages. Des vérités en voici en voilà, du malheur en veux-tu en voilà, c'est en vraie maquerelle que j'ai abordé ce livre, me frottant les mains à l'avance à l'idée des révélations de l'auteur. Mais ce livre est un poil plus sérieux qu'il n'y paraît sous la couche d'humour qui l'enveloppe.

L'auteur tient en effet à rétablir la vérité sur son dur métier, fantasmé à tort par nous autres, pauvres hères, dont la seule attente de l'année, en dehors de Noël et du Nouvel An, est l'évasion du quotidien professionnel, la découverte du monde, autrement dit, les vacances, le moment de l'année qui aide à supporter 47 semaines de dure labeur, ce pourquoi la vie vaut le coup en quelque sorte (incroyable non, le nombre de gens qui, à peine rentrés de vacances, planifient déjà leur prochaine destination!

).

Galères, désillusions, solitude de ce métier, enquêtes rébarbatives, manque de temps et de moyens, le revers de la médaille pour résumer, les coulisses de Disney pour imager, quand impression de vacances pour nous = boulot éreintant pour l'auteur de guide de voyages, on se dit que ce n'est peut-être pas le métier rêvé finalement.

Vincent Noyoux tord le cou un par un aux idées reçues sur le métier d'auteur de guides de voyages, avec un humour-défouloir désopilant, et dénonce les rouages du système (argent-maître, rentabilité de mise), non pas dans un esprit revanchard, mais plutôt dans l'esprit, "attendez, avant d'envier mon sort!"

Et dans ce jeu de la vérité, il n'épargne rien ni personne, j'ai particulièrement apprécié son grand sens de l'auto-dérision!

Quelques extraits:

"Un bon auteur doit pouvoir faire croire qu'il est le premier à écrire sur un site, un village ou un pays ("J'ai découvert une église croquignolette dans un îlot perdu au milieu de la Seine, ça s'appelle Notre-Dame"). 

"Un guide de voyage se doit d'être politiquement correct. Tous les pays, toutes les régions sont formidables. [...] Amusez-vous un jour à dénombrer les adjectifs "fabuleux", "magnifique", "superbe", "somptueux". [...] Les guides sont les seuls ouvrages à vous proposer au moins un orgasme à chaque page. Avec eux, si vous ratez vos vacances, c'est vraiment que vous êtes frigide." 

"Bien sûr, un tel stakhanovisme n'est pas sans faille. Les deux premières semaines, j'arrive à m'astreindre à cette discipline rigoureuse. Puis ma volonté fléchit. Je n'allume plus l'ordinateur que pour mettre à jour mes notes de frais. Puis je ne l'allume plus que pour jouer au démineur. Puis je ne l'allume plus du tout. Ce moment-là correspond généralement à mon l'extrême fin de mon séjour, lorsque je commence à parler tout seul. Mais même au fond de ma démence, une pointe de culpabilité me tourmente: je n'ai pas allumé mon ordinateur."

Il y a de nombreuses situations auxquelles je me suis identifiée, pour avoir souvent baroudé seule. J'étais pliée de rire à l'anecdote de l'auberge de jeunesse arrivé à la trentaine. Très vrai, il faut se rendre à l'évidence, ce n'est plus de notre âge. Certaines de ses mésaventures évoquent un peu celles du Koala tueur de Kenneth Cook (je pense en particulier aux cochons sauvages - Géraldine, ce livre est pour toi!

) et de la commissaire de Georges Flipo pour le côté asocial, manque de pot et petites misères. Le contact avec les autochtones aussi est très amusant (j'ai adoré l'anecdote du "Québécois").

On sent qu'il est tout de même reconnaissant pour tous ces moments, ce vécu et cette expérience qui ne sont pas donnés à tous, dommage juste que cela se soit fait dans les conditions de son métier, càd, pas le temps, pas toujours l'envie, rentabilité, boulot boulot boulot. Et malgré l'humour qui assaisonne tout le récit, on sent une certaine souffrance par rapport à l'incompréhension des gens, au paradoxe d'une situation où tout devrait être rose mais en réalité ne l'est pas, et une frustration de ne pouvoir vivre les choses à fond, en toute liberté.

Ceci m'a d'ailleurs évoqué la différence qu'il y a également entre lire et écrire pour soi, qui s'apparente à un loisir, et se constituer chroniqueur ou critique professionnel, qui est un métier qui n'exclut peut-être pas le loisir, mais qui n'offre en tout cas pas la même liberté, des objectifs étant à la clé, et un professionnalisme de rigueur étant attendu. 

J'ai trouvé particulièrement intéressant le chapitre où l'auteur nous engage à lire entre les lignes, et puis mine de rien, à rétablir ainsi certaines vérités, l'auteur se positionne ici en guide du guide du voyage, pour notre plus grand plaisir.

L'auteur

Vincent Noyoux, 34 ans, est auteur de guides de voyage pour la collection "Géoguides" chez Gallimard.