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Lettre à Omar

Publié le 31 juillet 2011 par Jujusete

Il y a quelques semaines, un journaliste prénommé Omar a été arrêté en Syrie. On ne sait pas grand chose de plus sur ce gars, si ce n'est qu'il était aussi et surtout activiste et qu'il étudiant à la fac de Damas. Impossible de coller un visage à son nom, même via les réseaux les plus poussés dans le monde arabe. 


Un Omar m'a aidée en Syrie. Je lui donnais la trentaine et n'en savais pas beaucoup plus sur lui mis à part ses activités borderline et son travail de journaliste. 

Je n'ai plus aucune nouvelle depuis quelques semaines.

Et si... ?

J'ai envie de croire que ces deux Omar ne sont pas la même personne mais plus le temps passe, plus on gratte à plusieurs, plus mes espoirs s'amenuisent. Il y a quelques jours, prise d'un élan passionnel, j'ai décidé d'écrire une lettre à Omar. Mon Omar, en espérant que ce n'est pas celui qui se trouve dans les geôles Syriennes. J'ai envie de rêver qu'un de ces traditionnels et salvateurs excès de parano lui aura fait changer d'identité numérique et que d'un cyber de Damas, il continue à faire sa révolution.

« Omar, wala Homarr ? »

C’était la blague, quand je t’ai rencontré. Je voulais tester, la réaction, l’humour, me faire accepter, briser la glace d’une manière facile. La blague est restée et les copains te la balançaient de temps en temps. Si on traduit, ça donne « Omar ou âne ? »

Moi, je me méfiais. Se méfier, c’est survivre, c’est toi qui me l’a appris.

Comme utiliser Tor, déambuler dans les vieilles rues du centre de Damas pour fatiguer les followers… C’est toi qui m’a aidée à supprimer toute trace du blog, toute référence à ma profession sur facebook, sur twitter, à nettoyer les traces. Beaucoup de temps passé, que je pensais perdu à l’époque. C’est toi qui m’a montré un cyber où ils ne demandaient pas de pièce d’identité.

Pourtant je me méfiais.

Après tout, j’en savais peu sur toi, puisque tu te méfiais de tout le monde, de moi y compris. Je te donnais la trentaine et j’ai appris lors de cette arrestation, que tu n’aurais que 24 ans.

Un môme

Un môme peut-être en prison aujourd’hui. Un gars avec un sacré courage.

« Omar, wala Homarr ? »

On riait bien et tu repoussais toute tentative d’en savoir plus de ma part comme je repoussais les tiennes. Tu te méfiais mais tu m’aidais à comprendre, lors de ces trop peu nombreuses soirées à boire du thé, ce qu’il se passait autour de moi.

C’est aussi toi qui m’a dit alors que je planquais mon édirol sus mes vêtements en prévision d’une manif : « souviens-toi d’une chose, c’est que t’es une fille… » et dans la bouche de quelqu’un qui savait ce qu’il arrive aux journalistes qui se font arrêter, cette phrase prenait tout son sens. J’allais retrouver un collègue français ce jour-là, j’y ai à peine prêté attention.

« Omar, wala Homarr ? »

Je crois que c’est la première chose que je te dirai quand on se reverra. Tu sais, quand tu seras libéré, toi et les autres et on fêtera ça.

On ira à Tartous, où t’es jamais allé, marcher au bord de la mer en manger des sandwitches pas bons, je fera plein de photos.

Puis on ira à Homs, regarder l’étendue des dégâts, vomir nos sandwitches pas bons. On ira insulter le mec du cyber où j'imagine qu'on m’a piqué tous mes mots de passe et on ira voir si la sandwitcherie est toujours là, si le grand miroir est toujours en place, si la télé diffuse toujours des images d’une chaîne nationale.

Et ce jour-là, tu me diras qu’il n’y a plus besoin de se méfier parce que tu vivras dans un pays libre.


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