Magazine Culture

Jean-Pierre Chevènement - La France est-elle finie ?

Publié le 02 août 2011 par Edgar @edgarpoe

jpc.jpg Ayant été assez rude avec Chevènement ces derniers temps, j'ai voulu lire ce livre décrit comme une réussite.

En effet, Chevènement démontre brillamment qu'il maîtrise son sujet : sur l'histoire de France, récente ou plus ancienne, il est excellent.

Ses lectures m'ont aussi favorablement impressionné : de Lacroix-Riz à Stiglitz en passant par André Gauron,  Mauriac ou Bernard Stiegler il a énormément lu (je ne pense pas que ce soit le genre à digérer des notes de lecture ou à faire écrire son livre par un nègre).

Chevènement est donc un intellectuel brillant. Je persiste à penser qu'il n'est pas un politique exceptionnel.

L'intérêt n'est pas de critiquer gratuitement, mais de comprendre comment, en partant d'un diagnostic correct, il aboutit à une impasse.

J'ai noté d'une part une obsession pour la relation franco-allemande. Il est exact à mon sens, comme l'écrit Chevènement, que l'Europe est un refuge pour la France parce que le souvenir de la défaite de 1940 est encore un trauma national. L'Europe est, pour nous, une sorte d'exorcisme. Nous nous sommes donc laissés enfermer dans un système qui, aujourd'hui, joue à nos dépens. La monnaie unique, notamment, loin de nous protéger, nous étouffe - et Chevènement est de ce point de vue très précis, voire minutieux, dans son analyse de la construction européenne et des erreurs françaises.

Pour Chevènement, il suffirait cependant de convaincre l'Allemagne d'assouplir la politique monétaire de la BCE, et de prendre quelques mesures correctrices, pour rendre l'Europe viable.

C'est à mon avis oublier deux choses : d'une part, il est exact que la France et l'Allemagne forment probablement le couple moteur de l'Union européenne. Mais c'est oublier un peu rapidement que le Royaume-Uni compte, et peut former des alliances avec d'autres (Pays-Bas, Italie, Espagne), sur tel ou tel sujet. Lorsque Chevènement explique qu'une alliance franco-allemande pour instaurer une dose de protectionnisme européen changerait la face de l'Union, il s'illusionne. Ni le Royaume-Uni ni les Pays-Bas, ni la Suède n'en voudraient. Sachant cela d'ailleurs, l'Allemagne n'aura aucune raison de changer la position libérale qui est aujourd'hui la sienne.

D'autre part, le système de changes fixes qu'est l'euro resterait un handicap lourd, même avec quelques amodiations sous forme de politique de grands travaux ou d'un zeste de protectionnisme.

La France ayant une inflation structurelle plus forte que l'Allemagne, a besoin de dévaluer régulièrement (Chevènement cite ainsi Otto Von Lambsdorf, ex ministre des finances allemand, pour qui le SME, précurseur de l'euro était "un système de subvention à l'exportation au bénéfice de l'industrie allemande." Il note qu'avec ce système, nous avons réussi, de 1998 à 2009, à réduire la part de l'industrie française de 22% à 14% du PIB, et à multiplier par 4 notre déficit commercial avec l'Allemagne.)

A mon sens, Chevènement s'arrête à deux doigts d'un rejet complet de l'Union européenne pour une raison, et une seule : il pense et croit que l'Allemagne souhaite une Europe fédérale dans laquelle la France serait un partenaire de force égale. C'est une erreur à moyen terme. Je suis persuadé que l'Allemagne n'est pas dans l'Union européenne de son plein gré aujourd'hui, et que la fin de l'Union ne lui causerait qu'une peine mineure pour laquelle elle n'est pas prête à de grands sacrifices.

Cehvènement note pourtant bien que la cour de Karlsruhe renâcle à concéder de nouveaux pouvoirs fédéraux à l'Union européenne. Il souhaite cependant que l'Allemagne puisse "trouver le chemin du débat républicain, en son sein comme avec ses voisins, de façon à définir un intérêt général européen".

Dans le reste de son ouvrage, Chevènement est bien en peine de donner un contenu concret à cet intérêt général européen.

Alors même qu'il excelle à démêler comment la construction européenne s'est faite au gré des intérêts divergents des nations qui la composent, il recourt parfois à des raccourcis que le lecteur attentif ne peut qu'assimiler à des contresens. Par exemple, lorsque Chevènement décrit sa position politique au début des années 70, favorable au "grand dessein de l'indépendance nationale (et donc potentiellement européenne)". Le "donc" mériterait de longs développements qui sont absents.

L'hypothétique notion d'intérêt général européen est mise par Chevènement pour raccrocher à la notion d'intérêt général, forte dans la culture politique française, le système européen. Mais aucune des institutions qui construisent en France sinon un intérêt général du moins des décisions acceptées, n'est viable au niveau européen. Chevènement devrait refuser de se payer de mots. On a parfois l'impression qu'il prépare des slogans pour 2012, notamment lorsqu'il réclame un "euro juste", "ni trop faible ni trop fort", qui a l'air d'être là pour servir à Ségolène et à son "ordre juste".

Dans sa description des mesures qui rendraient l'euro viable, on croirait lire les enfilades de voeux pieux du PCF : il faut un euro juste, donc des concessions allemandes ; des salaires minimums européens ; un accord international sur les parités justes ; un grand emprunt européen ; des mesures de contrôle des changes... Certes, pas complètement inconscient, Chevènement concède qu'à défaut, il faudra abandonner la monnaie unique, cette "expérimentation hasardeuse".

Au fond, ce qu'a l'air de reprocher l'auteur à l'Union européenne, c'est de ne pas fonctionner.

Il a l'air de vouloir indiquer qu'une reprise en main du couple franco-allemand devrait faire repartir ce délicat atelage.

J'en suis à un point, et l'actualité illustre cela chaque jour, où je suis persuadé que le vice de la construction européenne réside dans l'idée même d'une construction politique unique pour regrouper une trentaine de nations parmi les plus développées de la planète. Cela nécessite une critique plus radicale, au sens premier du terme, que le simple constat d'un échec qui peut être assimilé à une simple panne d'un modèle par ailleurs performant.

Chevènement cède donc souvant à la révérence de bon aloi à l'égard de l'idée européenne, notamment en évoquant la "nécessaire union des peuples européens", qu'il conviendrait selon lui de distinguer de l'Union européenne, comme Platon distinguait les idées de leur incarnation jamais assez pure...

Une sorte de révérence curieuse pour Mitterrand l'amène également à des platitudes énormes, comme "le choix européen de François Mitterrand a eu une conséquence heureuse, il nous a permis de penser un espace européen plus large que l'espace national". Comme si la France avait eu besoin de Mitterrand pour comprendre qu'elle s'inscrit dans un réseau de relations complexes avec ses voisins !

A mon sens, on ne peut être un internationaliste conséquent et partisan d'une union nécessaire des peuples européens.

C'est d'ailleurs probablement parce qu'il n'est guère internationaliste que Chevènement ne peut concevoir l'Union européenne que comme un équilibre de deux puissances, la France et l'Allemagne. Aujourd'hui, l'urgence n'est pourtant pas d'unir comme dans un carcan les pays du continent européen. L'urgence est de définir des règles équitables pour les relations internationales, à travers l'ONU, le g8 ou le g20. Toutes instances où la France siège en toute indépendance, pour le moment, et pourra être efficace le jour où elle cessera de perdre son énergie dans une union ubuesque.

Dans la conclusion de son livre, toutes les contradictions de Chevènement s'étalent en trois pages. On peut ainsi lire que "l'euro nous étouffe", que le "bateau France est immobilisé au milieu de l'océan, il a fait fausse route". La solution de l'auteur est imagée, il faut que la France "redevienne elle-même". Pour les solutions concrètes, comme la sortie de l'euro, "la France attendra", "nous n'en sommes pas là", "la patience est nécessaire".

Précisément, c'est sur cette question décisive du choix du moment que Chevènement commet une erreur politique majeure.

Il faut aujourd'hui trancher le noeud gordien. Imaginons que demain, la France patiente encore et que, par exemple, la Grèce soit sortie de l'euro, accompagnée ou non du Portugal. Des règles encore plus strictes seraient adoptées pour lier nos politiques budgétaire et probablement fiscale. Nous nous retrouverions dans une zone euro à l'orientation encore plus restrictive, et en ayant consenti encore des efforts importants pour sauver l'euro, comme si cela en valait encore la peine. Et un président élu avec un programme de sauvegarde de l'euro ne pourra pas plaider, une fois élu, qu'en réalité il convient d'abandonner la monnaie unique.

Foin donc de tergiversations. A quelques mois de présidentielles où il a l'intention de se présenter, au coeur d'une crise internationale majeure, Chevènement estime qu'il est urgent d'attendre. Au risque d'être encore une fois dur avec un auteur dont le livre m'a agréablement surpris, je crois qu'il a raté l'occasion de donner un sens à sa carrière politique, de se dépasser pour se hisser au niveau des enjeux historiques de l'heure. Il reste un très bon livre pour qui veut comprendre les impasses de l'heure à la lueur des deux derniers siècles d'histoire.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Edgar 4429 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte