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FESTIVAL DE BAYREUTH 2011 : En guise de conclusion

Publié le 05 août 2011 par Wanderer

Le Festival se poursuit, mais pour le spectateur, tout a une fin et il faut rentrer. La tête encore dans les nuages wagnériens, l’esprit mobilisé par la lecture des différentes opinions émises sur la toile, de ceux qui ont vu les spectacles, de  ceux qui les ont entendus à la radio, et de  ceux qui ne les ont ni vus ni entendus, et les critiques de la presse allemande. On se plonge dans les livres et documents à sa disposition, on réécoute certaines œuvres ou les disques achetés là-bas (pour mon cas je me suis limité à des éditions très bon marché des premières œuvres « Das Liebesverbot », « Die Feen », et « Rienzi ».). Mais peu à peu se construit le bilan de l’édition 2011, la 100ème du festival.
Ma première remarque concerne les polémiques de l’année sur ce que certains blogs ont appelé la chute vertigineuse de la demande, et sur l’offre qui paraît-il se serait considérablement élargie. Certes, les Maîtres Chanteurs s’offraient et ne se cherchaient pas, certes, j’ai trouvé les places que je voulais (Parsifal, Tannhäuser). Mais inutile de se faire d’illusion : on n’en trouvait pas par brassées ! Loin de là. Certes, ce n’était pas la terrible chasse aux billets de certaines années. Mais j’ai connu par le passé des années de basses eaux : le Kartenbüro chassait les candidats à un éventuel « Vaisseau fantôme »(dans la légendaire production de Harry Kupfer, pourtant la meilleure de ces 30 dernières années) en 1985, pour sa septième édition !

Année sans Ring, année plus grise 

Lorsqu’il n’y a pas de Ring, qui attire toujours beaucoup de monde, le Festival reprend ses productions en cours avec la distribution des origines (ou à peu près s’il y a eu des accidents ou des erreurs de distribution) et ajoute une nouvelle production par an. Les années sans Ring sont toujours moins excitantes. Nous vivrons sans doute une année 2012 un peu similaire. Il est donc normal que Tristan (2005) et Meistersinger (2007) soient les moins demandés. Mais Tristan reste plus demandé que Meistersinger parce que la distribution en est honorable. Meistersinger en revanche a une mise en scène très discutée : certains spectateurs ne supportent pas l’idée qu’un membre de la famille Wagner prenne une position aussi critique sur cette œuvre symbole (Katharina est régulièrement huée), et il faut bien dire que l’équipe de chanteurs  réunie reste d’une qualité relativement modeste (notamment James Rutherford et Michaela Kaune) avec des accidents de parcours (Amanda Mace la première année, et  Franz Hawlata qui en dépit de ses qualités d’acteur fut vocalement très insuffisant).  C’est donc le spectacle le moins attractif pour le public et effectivement le moins attirant musicalement. J’ai dit plusieurs fois en revanche combien je trouvais l’approche de Katharina Wagner intelligente et cohérente. Par ailleurs tous les amis que j’ai croisés ou es personnes avec qui j’ai pu échanger à l’occasion des entractes apprécient le travail de Neuenfels sur Lohengrin, celui de Herheim sur Parsifal qui fut la première année un immense succès, et la curiosité prévaut sur ce Tannhäuser qui semble faire si peur …

Une chute de niveau continue…depuis très longtemps

Depuis que je viens à Bayreuth (34 ans cette année) j’entends parler de déclin, de chute du niveau, de mises en scène épouvantables, c’était une fois Wolfgang Wagner qui laissait tout à vau l’eau, trop âgé pour bien gouverner, c’était une autre fois la venue de Thielemann qui sonnait un retour à l’hyperclassicisme, ou bien à d’autres moments l’influence néfaste du clan Barenboim, ou bien celle de Levine (avec les allusions à leurs origines…). Que n’a-t-on pas dit sur Schlingensief, une erreur monstrueuse que même Pierre Boulez aurait marqué en laissant le pupitre au bout de deux ans (alors que c’était prévu dès l’origine, lorsque c’était Martin Kusej qui devait faire la mise en scène), production victime du départ de Boulez bien sûr (bien qu’Adam Fischer, qui quant à lui détestait la mise en scène, lui ait honorablement succédé), mais aussi et surtout de chanteurs pas vraiment à la hauteur. Je me souviens en 1978 d’une dame française, qui déclarait déjà qu’elle se demandait pourquoi elle venait chaque année, vu que c’était si mauvais. Une phrase que j’entends encore souvent.  Au total, Bayreuth ? C’est nul ! Rempli de snobs qui s’escriment à passer des heures dans une salle chaude et moite, mal assis sur des sièges durs et inconfortables, serrés les uns contre les autres (chaque année des évanouissements !), à crier au génie devant des spectacles qui ne valent pas tripette, avec des chanteurs qui ne connaissent rien au chant wagnérien et des chefs médiocres qui font la province allemande. Bref, 1900 masochistes présents qui expient au nom du snobisme…Je connais un blog italien très bien documenté, bien écrit , mais spécialisé dans la destruction tous azimuts de tout ce qui est offert sur les scènes d’aujourd’hui, au nom du bien chanter (celui du passé, bien sûr, celui qu’on n’a jamais entendu !) ce blog s’appelle Il Corriere della Grisi, j’y renvoie les lecteurs italophones, qui y trouveront aussi des informations nombreuses et un panorama complet de ce qui se fait (et qui ne devrait pas se faire, selon les auteurs) à l’opéra aujourd’hui.

Un moment délicat pour le Festival

Plus simplement, chaque festival, chaque institution culturelle a ses ratés, ses moments de doute, ou de transition. Pour le festival de Bayreuth après 50 de règne absolu de Wolfgang Wagner, il est clair que nous sommes à la croisée des chemins. D’une part les deux (demi)sœurs, qui doivent apprendre à travailler ensemble, et qui ont la charge de préparer le festival 2013, vrai test du fonctionnement de ce couple étrange, fait d’une jeune femme qui a grandi à Bayreuth, et a appris la mise en scène à l’école allemande, appartenant à la génération typique du Regietheater, et une femme beaucoup plus mûre, écartée au départ par son père, qui a été conseillère artistique à l’opéra de Paris, au Châtelet, au Festival d’Aix, et au Metropolitan : l’une sur la scène, l’autre derrière la scène. Cela peut fonctionner, cela peut aussi échouer, et on peut évidemment penser que si l’échec de cette paire est patente, la partie de la famille (les héritiers de Wieland) exclue du festival  (notamment Nike Wagner, la fille de Wieland, directrice artistique de »pèlerinages« « Kunstfest Weimar ») s’intéressera fort à la situation. Nous sommes dans un moment de fragilité et je ne serais pas étonné que les rumeurs qui courent actuellement ne soient pas si bien intentionnées. En termes artistiques, le festival 2011 ne m’est pas apparu d’un niveau si bas, avec un Lohengrin anthologique, un Parsifal et un Tristan très corrects, des Maîtres plus pâles au niveau musical, mais c’était déjà le cas les saisons précédentes, et un Tannhäuser âprement critiqué, musicalement à consolider, mais qui montre un vrai travail d’analyse aussi bien du côté théâtral que du côté orchestral :  on est loin du naufrage !

Des metteurs en scènes discutés, mais toujours de haut niveau

Du point de vue des mises en scènes, dans des genres d’approche très différents, on a un florilège de la mise en scène d’aujourd’hui en terre germanique : Marthaler est aujourd’hui appelé dans de très nombreux théâtres, Herheim est l’un des plus réclamés en Europe lui aussi, Neuenfels, moins connu hors d’Allemagne, est considéré comme une référence de la mise en scène, Katharina Wagner est plus jeune mais  travaille aussi beaucoup à l’extérieur de Bayreuth,  et Sebastian Baumgarten a derrière lui une grande expérience de théâtre, même s’il s’est lancé assez récemment dans la mise en scène. A moins de considérer tous ces artistes comme justes bons à attirer le chaland, il ne me semble pas que là non plus on alimente un déclin. Je n’ose imaginer l’accueil au futur Ring 2013 de Frank Castorf : d’autant que Castorf est très irrégulier, souvent critiqué y compris par les tenants du Regietheater et n’a pas connu que des triomphes : j’ai vu de lui une superbe production de « L’Idiot » et un spectacle (théâtral) plus discutable,  « Meistersinger ». Le spectateur parisien pourra juger sur pièces puisqu’il vient cette saison à l’Odéon pour mettre en scène La Dame aux Camélias…
Enfin, le travail scénique à Bayreuth, et les prouesses techniques réalisées par les techniciens du plateau, font partie des modèles du genre, et de ce point de vue, on n’a pas non plus constaté une baisse de niveau. Il faut rappeler que c’est toujours le concept de « Werkstatt Bayreuth » (atelier Bayreuth), inventé par Wolfgang Wagner qui prévaut ici, à savoir proposer au public à Bayreuth un travail sur la mise en scène, où prévalent la recherche et l’expérimentation, où l’on permet éventuellement de revenir sur ce qui été fait, de changer des éléments (ce que fit Chéreau fortement entre 1976 et 1978), un perpétuel  « work in progress » . Autrement dit, si on vient à Bayreuth pour voir ce qui se fait ailleurs, le festival devient inutile.

 Un niveau musical  relativement homogène sans être exceptionnel

Du point de vue des chefs et des distributions, c’est un peu la même chose. Du point de vue des chefs, on a réuni Gatti, Hengelbrock, Nelsons qui sont des chefs assez jeunes internationalement reconnus aujourd’hui. Weigle et Schneider (le vétéran) sont très reconnus en Allemagne (rappelons que Weigle fut aussi directeur musical au Liceo de Barcelone) : ce n’est pas un triste bilan.

il suffit de rappeler que Pierre Boulez fut appelé à Bayreuth en 1966, à 39 ans, pour diriger Parsifal et qu’il commençait à peine à être connu comme chef d’orchestre , que Lorin Maazel débute à 30 ans à Bayreuth en 1960, Schippers à 33ans en 1963  et Sawallisch à 34 ans, en 1957. Rien de nouveau donc sur la colline de ce point de vue là non plus, avec aussi au long des ans des météores: Mark Elder appelé à diriger Meistersinger en 1981 à 34 ans, ne fera qu’une saison (tout comme Schippers en 1963 lui aussi pour Meistersinger), Carl Melles en 1965 (Tannhäuser) ou Alberto Erede en 1968 (Lohengrin),  Sir Georg Solti pour un unique Ring en 1983, Christoph Eschenbach en 2000 (Parsifal) et Eiji Oue (Tristan) en 2005.  Au total, sur les chefs venus sur la colline depuis une trentaine d’années je ne vois pas vraiment de déclin notable (Levine, Barenboim, Solti, Sinopoli, Thielemann pour ne citer que les plus connus).
Quant au chant,  on a certes vu à Bayreuth des chanteurs consacrés (Domingo par exemple, venu dans les années 90), mais ils sont plutôt jeunes en général et ont été lancés par Bayreuth, l’exemple le plus connu du public aujourd’hui est Waltraud Meier, mais pensons aussi à Leonie Rysanek (en 1951), voire Birgit Nillson qui fut appelée pour la neuvième symphonie en 1953, puis en 1954 pour Elsa..et Ortlinde, ou Elisabeth Connell, jeune chanteuse qui commençait à peine à émerger comme Ortrud (magnifique) en 1980-82 ou même  Deborah Polaski.  Beaucoup de chanteurs en effet,  étaient loin du faîte de leur carrière lorsqu’ils ont été engagés à Bayreuth. Même si quelques grands wagnériens manquent à l’appel (Vickers, qui détestait Bayreuth, n’y a chanté que deux fois, en 1958 et en 1964, Bryn Terfel aujourd’hui n’y a pas encore fait son apparition et personnellement j’aimerais qu’on y entende Jennifer Wilson, magnifique Brünnhilde à Valence et Florence), et même s’ils sont fâchés pour certains avec la colline sacrée, ils y sont la plupart tous passés à un moment ou à un autre. Peut-être n’y restent-ils pas aussi longtemps qu’auparavant, peut-être aussi la pression du marché rend elle difficile les conditions (qui sont sans doute en train d’évoluer)  imposées par Bayreuth - moindres cachets, obligation de rester sur place, exclusivité pendant la période du festival (encore que ce soit très élastique) -  .

Et si l’on considère les chanteurs de cette édition 2011, indépendamment  de l’appréciation qu’on peut porter sur leurs prestations, aussi bien Klaus Florian Vogt, Robert Dean Smith, Burkhard Fritz, Simon O’Neill, Camilla Nylund, Annette Dasch, Petra Lang, Irene Theorin, Adrian Eröd, Kwanchoul Youn, Günther Groissböck sont des chanteurs qui conduisent actuellement une grande carrière internationale, même s’ils n’ont pas le format des chanteurs wagnériens d’antan. Ce n’est peut-être pas un critère aux yeux de certains, mais c’est un fait que tout mélomane peut les rencontrer distribués dans de grands rôles dans une des salles d’opéra qu’il fréquente.

Sans doute chacun de nous rêve-t-il pour Bayreuth des fameuses distributions idéales, qui se rencontrent quelquefois, mais rarement systématiques, des soirées miraculeuses, qui se rencontrent quelquefois, mais rarement systématiques, et des chefs de légende (ah...si Abbado avait accepté l’invitation de Wolfgang Wagner en son temps…), mais il reste que le niveau d’exigence du Festival n’a pas vraiment baissé : les temps ont changé (sous Wieland et Wolfgang, dans la mesure où ils se partageaient les mises en scène, c’étaient les chefs qui étaient les références, et Wolfgang, dès que les mises en scènes de Wieland ont cessé d’être programmées (soit au seuil des années 70), s’est tourné vers la jeune génération de metteurs en scène, Götz Friedrich, pour un Tannhäuser qui fit (déjà) scandale, en 1971, puis Le Ring de Chéreau (choisi sur le conseil de Boulez suite à la défection de l’alors jeune  Peter Stein), en 1976, le scandale le plus énorme qu’ait connu Bayreuth, puisque même des artistes de la distribution réunie faisaient campagne alors contre cette mise en scène (René Kollo, Karl Ridderbusch). Les Cassandre prédisaient un éclatement de l’orchestre, une fuite des chanteurs, et horreur des horreurs, de la Begum ! On sait ce qu’il en est advenu…
La seule différence avec cette époque, c’est qu’il y avait alors toujours dans la programmation les propres mise en scène de Wolfgang ou d’autres, à tempérer l’effet produit par les nouvelles productions : August Everding et son Tristan, ou ses propres Parsifal ou Meistersinger, qu’il a presque continûment mis en scène entre 1975 et 2000 (à l’exception de la belle production de Parsifal de Götz Friedrich pour le centenaire en 1982) comme des pierres miliaires auxquelles le public traditionaliste pouvait se référer. Aujourd’hui, ce n’est plus exactement cela, et le Tristan de Marthaler fait presque figure de classique…

...Mais un lieu exceptionnel

Enfin, il reste un fait, évident, aveuglant, et devenu un lieu commun : Bayreuth restera toujours un lieu d’exception à cause de sa salle, de son acoustique, de ce son si particulier et incomparable (je l’ai encore vécu en comparant les deux Tristan, chacun de haut niveau, entendus à Bayreuth et à Munich il y a quelques jours. Entendre à Bayreuth les premières mesures de la musique monter du sol reste un grand moment magique, là est la véritable exclusivité.


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