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Khadi Hane : Des fourmis dans la bouche

Par Gangoueus @lareus
Certaines lectures stimulent vos sens et votre attention. Vous sentez, en effet, que quelque chose se passe entre vous et l'écrivain. L'écrivaine. Khadi Hane m'avait marqué avec son roman Le collier de paille. Un texte étonnant, une histoire complète folle, inattendue. Aussi la sortie d'un nouveau roman chez Denoël a attiré mon attention...et je n'ai pas été déçu. 
Château Rouge. Petit quartier de la capitale française connu pour son grand marché exotique où afrodescendants de toute l'Ile-de-France viennent s'y ravitailler en denrées venues d'ailleurs, vendues par des chinois, des pakistanais ou des arabes. Khâdidja habite le quartier avec ces quatre mômes dans des conditions extrêmement complexes. Elle ne voit pas le bout du tunnel. Elle ne s'en sort pas. Une relation passionnée avec un  toubab fait d'elle l'objet de toutes les railleries sinon insultes de sa communauté. Elle ne s'en sort pas. Madame Renaud, l'assistance sociale use de tous les moyens pour contraindre Khâdidja à poursuivre le père blanc de son dernier môme afin qu'il verse une pension alimentaire. Ce à quoi elle s'oppose farouchement. Elle ne s'en sort pas. Son fils aîné, Karim, la déteste viscéralement et progresse lentement vers le deal de drogue dans le quartier, les premières convocations à la police commencent. Elle ne s'en sort pas. Elle attend du système un peu de riz pour nourrir ces chiots...
Khadi Hane possède cette capacité décrire la violence que produit sur un individu l'écartèlement entre modernité et traditions (Le collier de paille), entre un communautarisme oppressif et une ville-lumière  méprisante. Si dans Le collier de paille, cette violence s'exprime de manière épisodique, ici elle en imprègne constamment le personnage de Khadidja et la romancière charge son écriture du regard extrêmement sévère, voire méprisant de cette jeune mère de famille sur la communauté malienne, sûrement par le fait que ce soit l'une des plus rigides sur ces codes. Ce qui me semble intéressant quand on suit les personnages centraux de Khadi Hane, c'est la mise en scène de leurs contradictions et leur jusqu'au-boutisme si je peux m'exprimer ainsi. Khâdidja est à la fois une mère sans ressource qui ne veut pas qu'on lui retire la garde de ses enfants et qui refuse dans le même temps de suivre une procédure proposée par l'administration pour sauver la situation. Elle ne veut pas poursuivre celui qu'elle aime, celui qui est prêt à la jeter à la  rue, elle et ses enfants, celui qui est l'origine de la perte de son emploi, celui qui lui a permis de se réaliser en tant que femme. 
La plus grande violence étant, de mon point de vue, cette incapacité à concilier deux mondes, deux réalités profondément différentes avec tous les compromis nécessaires. 
C'est une lecture énervante, passionnante. Quelle rage! Une fois rentré dans l'histoire, le lecteur que je suis ne lâche pas le texte, car on a envie de savoir le fin mot de tout cela. Ce livre fera polémique. A cause des excès de la charge de Khadi Hane à l'endroit de la communauté malienne. En plus, il est difficile d'écrire sur un quartier comme Château rouge sans sombrer dans quelques formes de caricatures. C'est le cas, ici et certains préjugés seront renforcés, mais quand on a les fourmis dans la bouche, cela ne peut pas se passer autrement.
Dans un foyer Sonacotra
Tonton Jules presse le pas. Je l'imitai, abasourdie par le monde qui grouillait de partout, cinéma de Jean Rouch en plein Paris. Des fourmis, des essaims de fourmis noires étaient fondus les unes dans les autres, dans un vacarme continu. Au foyer, on caquette. Une voix cafardeuse de l'homme dont les épouses sont restées au pays se perçoit comme la plainte d'un coq dans une basse-cour sans femelle. Les nouvelles du Mali son disséquées, les ragots exagérés. Pn y refait son monde à coups de mandats au pays et de tontines, les gens n'arrêtent de caqueter que la nuit tombée, quand le corps du vieil immigré endormi se confond avec celui du jeune, allongé sur la même couche.
Page 111, éditions Denoël
Cissé, un nom valeureux
Des Cissé, il y en a combien à Château-Rouge? Paris se fichait de ce nom que je portais. Personne ne se retournait sur mon passage. La noblesse d'une pauvre négresse de la rue de l'Inconnu dans le dix-huitième arrondissement de Paris importait peu à ceux qui, comme moi, mourraient de faim dans leur appartement délabré.
Page 118, éditions DenoëlUn livre à découvrir.
Khadi Hane, Des fourmis dans la boucheEditions Denoël, Rentrée littéraire 2011
Voir également la critique de Sami Tchak sur Cultures Sud et un interview de Khadi Hane sur son roman sur le même site.

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