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Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, Dans l’ombre du 11 septembre

Par Juloobs

A l’occasion du dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, voici une partie de l’analyse de Fahrenheit 9/11 de Michael Moore. Un article paru initialement sur Mediagonal.

La sortie en salles de Fahrenheit 9/11 précédait la réélection de George W. Bush, en 2004. C’est une œuvre qui n’a pas été beaucoup vue aux Etats-Unis. Michael Moore donne à voir dans son documentaire, dans un style qui lui est propre et parfois en se mettant lui-même grossièrement en scène, les artifices primaires et les diverses manipulations auxquelles certains médias peuvent recourir pour accroître leur audience.

Le vrai talent de Michael Moore est de parvenir à se réapproprier les effets de manche des grands médias, insufflant par là-même à son travail de documentariste une grande ambiguïté, expliquant peut-être certaines réactions épidermiques. Avec Fahrenheit 9/11, son entreprise pamphlétaire, tendancieuse au possible, récuse pourtant le sensationnalisme du 11 septembre (en refusant par exemple de montrer les tours jumelles heurtées puis détruites). Si les images de la percussion du World Trade Center par un premier Boeing détourné ont été vues en boucle sur les écrans de télévision, sur Internet et au cinéma, les vidéos de l’écrasement du second avion sur la tour jumelle ont été retransmises en direct à la télévision. D’après le philosophe allemand Jürgen Habermas, il s’agit d’ailleurs d’un évènement historique mondial car il y a simultanéité de la réalité et de sa représentation à l’échelle mondiale.

Dossier : Fahrenheit 9/11 de Michael Moore, Dans l’ombre du 11 septembre

Dès le générique d’entrée, intervenant après 10 minutes de film, une série de plans rapprochés sur les principales personnalités politiques de l’administration Bush apparaît. Le montage du documentariste rend visible ce qui ne devrait pas l’être — il vise métaphoriquement ce qui est banni du petit écran —, les images des acteurs politiques avant leur passage à l’antenne. On peut ainsi les voir choyés, arrangés parfois avec une pointe d’humour comme c’est le cas avec Paul Wolfowitz qui humidifie son peigne avec sa propre salive pour parfaire rapidement sa coiffure. Michael Moore rend visibles les coulisses du show politique à l’américaine. Il interroge l’envers du décor et les codes de fabrication de l’opinion politique avec les citoyens, à travers le prisme médiatique, le quatrième pouvoir. L’acte du maquillage symbolise l’illusion, la mise en scène et donc la manipulation possible. C’est sur cette dernière que le cinéma de Michael Moore se focalise.

Toujours dans le générique d’entrée, Michael Moore a recours au ralenti pour scruter au plus près ce qui est hors antenne. De même, les zooms qui isolent à deux reprises les regards de Donald Rumsfeld et John Ashcroft, sont un moyen figuré de pénétrer l’esprit de ces hommes politiques, au-delà de leurs discours officiels et de déclarations publiques bien huilées. C’est en s’intéressant tout d’abord au hors champ que le dispositif informationnel est démonté. Michael Moore s’appuie sur une bande son qui tend à ralentir la succession des images de ce générique d’entrée, interrompu par des cartons destinés à présenter les principaux membres de l’équipe technique du film, lettres blanches en majuscule sur fond noir, avec fondus enchaînés. La conséquence de ces préparatifs majestueux n’est autre qu’un écran noir, soit le vide, le néant. Le son des avions s’encastrant dans les tours du World Trade Center qui accompagne cet écran noir durant quelques secondes rend possible une autre lecture : le drame du 11/9 succède à la vaine mise en scène et à trop d’inertie.

Les réactions qui ont suivi le 11 septembre 2001 sont particulièrement significatives d’une appropriation partisane du quatrième pouvoir. Le réalisateur oppose ainsi rapidement ces figures surprotégées des hommes politiques aux visages déchirés et meurtris des Américains, les yeux au ciel, quelques minutes après les attaques du 11 septembre. Les figures burinées sont sans doute à comparer avec celles des jeunes victimes des attentats d’une part ; ils s’opposent d’autre part aux jeunes victimes de guerre que nous voyons plus tard dans le documentaire.

Michale Moore souhaite délibérément heurter son spectateur lorsqu’il a recours à ce type de rapprochements. Après un noir total sur lequel le documentariste appose le son des avions percutant le WTC, nous voyons une femme en sanglots qui apparaît à la suite d’un long fondu enchaîné, tentant de reproduire le réveil désagréable des Américains. Car avant le générique, Michael Moore montrait un enfant allant se coucher.

D’une part, la Maison Blanche a négligé les menaces d’attaques terroristes et a souhaité réduire l’enveloppe dédiée à la lutte anti-terroriste comme cela est rappelé dans Fahrenheit 9/11. De l’autre, le monde pleure une attaque aboutie d’une violence spectaculaire, à l’impact mental indélébile. On aperçoit le défilé des voitures noires blindées des impénétrables protagonistes du gouvernement, faisant suite à l’énumération de visages américains contusionnés postérieurement à la découverte — on l’imagine — des tours en flammes.

Moore oppose donc la sphère politique suffisante, se jouant de toute menace terroriste, aux civils subissant de plein fouet cette attaque que nul ne soupçonnait. Le documentariste oppose donc les hautes instances décisionnaires irresponsables aux jeunes victimes directes ou collatérales internationales du 11 septembre, des guerres en Afghanistan et en Irak.

Lire la version complète de l’article sur Mediagonal


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