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Décroissance de l'intime

Publié le 06 février 2008 par Mtislav
Je ne pensais pas un jour observer avec minutie l'album de famille d'un inconnu sur internet. La première fois que je me suis trouvé confronté à ce viol consenti de la vie privée, j'ai éprouvé un certain dégoût. Je dis "viol consenti" car je parle de photos mises en ligne et ouvertes à la consultation par n'importe qui passant là par hasard. Sans doute destinées à la famille ou à des proches. J'ai moi-même déjà mis en ligne des photos de ce type en m'interrogeant un petit peu et en éprouvant une gêne à livrer une certaine part d'intimité qui ne m'appartenait pas toujours en propre il faut bien le reconnaître.
La première fois que j'ai éprouvé une certaine gêne, cela a été en tombant sur l'album d'un père de famille, relativement jeune si j'en crois l'âge de son bambin. La plupart des photos représentait le produit de ses oeuvres et si l'on se réjouît lorsque l'enfant paraît, je me demandais ce que je faisais là...
A l'occasion de l'article sur le LOC, j'ai été amené à m'attarder sur pas mal de photos et sur deux albums publiés sur Flickr. Celui d'Artolog, je l'ai découvert par la suite comportait sans doute pas loin de 800 photos et celui de dandlymambly moins de 300. Le hasard a fait que j'ai fouiné d'abord dans ce deuxième album, ce qui constituait une entreprise raisonnable. Je voulais me faire une idée de ce qui avait poussé cet homme à aller fouiller dans la bibliothèque photo mise en ligne par la LOC et à poster un commentaire sur l'une de ces photos en particulier. Le lien vers dandlymambly était là.
Je n'ai pas eu de mal à (me) reconnaître dans ce que je voyais, des scènes de la vie quotidienne, le désoeuvrement et la curiosité de celui qui se retrouve avec un appareil photo numérique entre les mains, la volonté de se saisir d'une saison qui passe, un bout de voyage, etc.
J'étais curieux de savoir où vivait le photographe, j'ai même cru le reconnaître sur une des photos. Je pouvais ainsi m'imaginer son âge, sa situation familiale, quelques uns de ses centres d'intérêt. Transparaissait quelque chose de son regard aussi qui n'était pas sans lien avec le regard des photographes de la LOC. Ainsi, Artolog photographie un espace jouxtant un immeuble bordé d'une grille comme en trouve là où des travaux vont avoir lieu. Je ne reproduirai pas la photo, elle n'est pas libre de droit...
Un commentaire accompagne la photo : "Il discute seulement quoi faire en 2005... parce que ces travaux de construction avaient été censés être effectués alors...". Peu importe le sens exact du propos, je retiens que le photographe a relevé le fait qu'une construction aurait pu apparaître et qu'elle ne s'y trouve pas. Un petit peu comme quand un new-yorkais regarde l'emplacement des Twin Towers et ne les voit plus.
Un petit peu comme quand vous allez sur internet pour savoir comment isoler votre plafond et que vous tombez sur les photos du chantier des Legrand qui vous expliquent comment utiliser la balle de chanvre. Vous faites connaissance avec la famille et leur belle maison, le chantier, les copains. Encore une fois, vous vous trouvez là. Vous n'allez pas vous attarder.
Pour le chantier et les Twin Towers, c'est le côté "work in progress" et "apocalypse now" qui retient l'attention. Là pour le coup, la photo n'a pas d'intérêt en elle-même, le commentaire est plutôt obscur, ce que l'on retient, c'est cette idée d'un chantier qui n'a pas eu lieu. Du vide. Du vécu aussi car il y a des bonnes photos chez dandlymambly, y compris dans son album "Xmas on Vancouver Island". La photo du chantier a été irrémédiablement incluse à l'album.
dandlymambly a irrémédiablement exporté toutes ses photos de son APN vers son ordinateur puis vers le site internet qui héberge ses photos. A n'importe quel moment la photo du chantier aurait pu disparaître dans les limbes, elle n'aurait pas été protégé contre la copie, pas même copiée d'un disque dur à un autre. dandlymambly ne l'aurait pas commentée. Elle n'aurait pas fait partie de l'album du Noël à Vancouver publié le 1er janvier 2008 à côté des autres albums passés et avenir :
- les amis et la famille (81),
- chats (25),
- jours enneigés (30),
- crevettes roses de la bibliothèque (27),
- voyage à New York (35),
... j'en passe (21),
et pour finir : Gros hippies (42 photos, dont certaines floues et répétitives).
Si j'insiste, c'est pour vraiment que tout un chacun prenne garde au fait qu'il existe quelques différences notables entre une tas de photos en nombre raisonnable qui prennent la poussière ou l'humidité au fond d'un placard du meuble du fond... et un site internet sur lequel n'importe qui peut entrer animé parfois d'intentions très éloignées de tout ce que vous avez imaginé.
On peut même imaginer qu'un inconnu verra quelque chose qui vous aura vous même échappé.
Songez que des romanciers en mal d'inspiration peuvent croiser votre chemin. Vous les imaginez fouillant dans votre placard, remuant la poussière, posant leur doigt sur vos négatifs, s'appropriant les dérapages de vos émotions et les rebuts de votre conscience...
PS : c'est pas pour rien que Flickr s'appelle Flickr (rassurez-vous, il y a deux milliards de photos sur le dit site)

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