Magazine Politique

Fiat monnaie, et monnaie fuit…

Publié le 14 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

La règlementation bancaire provoque des crises ? On créé un système de banque centrale. Le système de banque centrale créé des crises ? On créé de la règlementation bancaire.

Par Georges Kaplan

Fiat monnaie, et monnaie fuit…
Voici le principe du mécanisme de création monétaire tel qu’il existe aujourd’hui : la banque centrale détient la « planche à billet » et donc le monopole de l’émission de billets de banque [1] ; si cette proposition vous semble inexacte, je vous invite à essayer d’imprimer des euros ou tout autre signe monétaire destiné à remplacer les euros [2]. Lorsque la banque centrale décide de faire baisser les taux d’intérêts – peu importe le motif pour l’instant – elle procède en général de la manière suivante : elle « imprime » des euros et les utilise pour racheter des actifs (principalement des obligations d’État) ; ce faisant, elle verse donc les nouveaux euros créés sur les comptes bancaires de ceux qui lui ont vendu les actifs en question ; c’est ce qu’on appelle une opération d’« open market » [3].

Une banque, c’est une entreprise qui vous emprunte votre argent à très court terme (c’est-à-dire que vous pouvez le récupérer quand vous le souhaitez) pour le prêter à long terme (pour un crédit immobilier par exemple). C’est la définition même du métier de banque. Lorsque vous versez de l’argent sur votre compte, vous le prêtez à la banque qui vous verse en contrepartie une rémunération [4] et va, à son tour, utiliser cet argent pour accorder des crédits à ceux de ses clients qui le souhaitent. Bien sûr, cette opération comporte des risques : le risque de crédit (si le débiteur de la banque ne rembourse pas son crédit, elle est quand même tenue de vous rendre votre argent), le risque de liquidité (la banque doit toujours être capable de vous rendre votre argent ; c’est-à-dire qu’elle doit disposer de réserves liquides pour faire face aux demandes de retraits de ses déposants) et le risque de duration (qui se matérialise quand les conditions de marché font que l’écart entre le taux préteur et le taux emprunteur de la banque – c’est-à-dire son « coussin de sécurité » – se réduit). L’écart de taux – la différence entre le taux auquel la banque prête et le taux auquel elle rémunère vos dépôts – constitue la rémunération de ces risques et, si tout se passe bien, la source des profits de la banque [5].

Ainsi donc, quand la banque centrale injecte de nouveaux euros dans le système bancaire, les banques vont utiliser cet argent pour accorder des crédits. C’est ici que démarre un processus connu sous le nom de « multiplicateur monétaire » qui fait dire à beaucoup de gens que la création monétaire a été privatisée. Prenons un exemple : si la banque centrale crée 100 euros ex-nihilo, le système bancaire va recevoir ces 100 euros sur les comptes de ses clients et va en prêter une partie – mettons 90 euros, soit 90% de l’injection initiale de la banque centrale [6] – à d’autres clients à la recherche de crédits ; lorsque ces crédits sont accordés, les emprunteurs vont à leur tour verser ces 90 euros sur leurs comptes bancaires mais comme les 100 euros d’origine existent toujours, nous avons maintenant 190 euros qui circulent dans l’économie. Mais ces 90 euros de prêts constituent à leur tour de nouveaux dépôts qui sont susceptibles d’être prêtés à leur tour à hauteur de 90% (soit 81 euros) portant ainsi la quantité totale de monnaie créée à 271 euros. Et ainsi de suite ; au total, si toutes les banques appliquent un ratio de réserve de 10% (c’est-à-dire qu’elles prêtent au maximum 90% des dépôts qu’elles reçoivent) ce mécanisme multiplicateur peut transformer l’injection initiale de la banque centrale de 100 euros en 1 000 euros.

Bien sûr les banques centrales ont parfaitement connaissance de ce multiplicateur et l’ont depuis longtemps encadré légalement de manière à mieux le contrôler. Typiquement, le ratio de réserve – qui fixe la maximale proportion de dépôts que les banques ont le droit de prêter – est fixé par la banque centrale. Par ailleurs, le législateur a également élaboré des ratios dits « prudentiels » qui limitent la quantité de crédit qu’une banque peut accorder en fonction des risques que présentent ces crédits [7] et du capital de la banque (c’est-à-dire l’argent des actionnaires qui sert de garantie aux déposants). En procédant par analogie, on peut se représenter la masse monétaire [8] comme un verre de pastis : le pastis pur c’est la monnaie centrale et l’eau c’est la monnaie créée par le multiplicateur. La banque centrale contrôle la quantité de pastis pur qu’elle verse dans le verre et, au travers des règlementations évoquées plus haut, contrôle la quantité maximale d’eau que peuvent y rajouter les banques commerciales. C’est donc toujours la banque centrale qui décide de la quantité maximale de pastis que peut contenir le verre [9].

À ce stade il est intéressant de se poser une question toute simple : pourquoi le législateur a-t-il jugé utile de limiter la capacité de création de crédit des banques alors que ces dernières n’ont matériellement aucun intérêt à faire faillite ? En effet, si une banque émet trop de crédits, elle prend le risque de ne plus être capable d’honorer les demandes de retraits de ses déposants ce qui se traduira immanquablement par une panique des déposants, des demandes de retraits en masse, la faillite de la banque et donc la ruine de ses actionnaires. Et pourtant, des esprits a priori compétents et bien intentionnés ont jugé utile de forcer les banques à éviter de se mettre en situation de faillite potentielle. Il y a deux réponses possibles à cette question. La première consiste à dire que les banquiers sont des imbéciles incompétents et donc, qu’il est indispensable de les obliger à bien faire leur métier. C’est la thèse habituellement développée par la presse, nos responsables politiques et un bon nombre de nos contemporains pour expliquer cette fameuse crise des « subprimes ». Elle a le mérite d’être simple mais n’explique pas pourquoi autant de banques ont fait faillite en même temps après plusieurs années sans le moindre problème. La deuxième réponse est un peu plus complexe…

En contrepartie de leur monopole, les banques centrales sont tenues d’assurer un rôle de « prêteur en dernier ressort » ; c’est-à-dire que si les autres banques – les banques commerciales ou « banques de second rang » – se trouvent en difficulté, la banque centrale a le devoir de leur prêter de la monnaie centrale pour éviter une panique bancaire [10]. Or, depuis l’abandon de l’étalon-or, les banques centrales peuvent créer ex-nihilo autant de billets de banque qu’elles le souhaitent. L’un dans l’autre, ça signifie que tout le monde sait que – par construction – si les banques commerciales se trouvent en difficulté, la banque centrale doit et peut toujours inonder le système bancaire de monnaie centrale et leur venir ainsi en secours. Ça s’appelle un aléa moral : les banques prennent des risques considérables pour gagner plus d’argent parce qu’elles ne craignent plus la faillite. Peu de gens savent à quel point la décision des États-Unis de se doter d’une banque centrale de type européen a été soutenue par les grands banquiers de Wall Street [11] et, bien sûr, l’abandon de l’étalon-or lors de l’effondrement du système de Bretton Woods n’a fait que renforcer cet aléa moral. Très clairement, sauver les banques à coup de création monétaire ex-nihilo (c’est-à-dire à coup d’inflation) revient purement et simplement à leur permettre de gagner beaucoup d’argent à nos dépens : c’est un ticket de loterie gratuit. Le seul moyen d’empêcher les banques de trop profiter du système à leur avantage, pensait-on, était de limiter règlementairement leur capacité à créer du crédit.

Mais ça n’a pas marché. L’imagination des banquiers dépassant – et de loin – celle du législateur, ils ont su s’adapter pour tirer parti de la protection gratuite (pour eux, pas pour vous) que leur offraient les banques centrales. Par exemple, les banques ont massivement revendu leurs portefeuilles de crédits sur les marchés financiers ; c’est ce qu’on appelle de la titrisation. Par ailleurs, les différentes règlementations bancaires ont eu pour trait commun de générer toute une foultitude d’effets pervers inattendus comme de pousser les banques à réduire leurs financements à destination des entreprises au profit des crédits immobiliers ou de donner un pouvoir totalement démesuré aux agences de notation. Et comme d’habitude face à un échec de la régulation, on en conclue qu’il faut réguler encore plus : la règlementation bancaire provoque des crises ? On créé un système de banque centrale. Le système de banque centrale créé des crises ? On créé de la règlementation bancaire. Et ainsi de suite…

Sur le web.


Notes :

[1] Je simplifie volontairement dans un but purement pédagogique ; en réalité, la base monétaire (M0) est composée non seulement des billets en circulation mais aussi des comptes créditeurs des banques commerciales auprès de la banque centrale.
[2] Je m’engage à vous apporter des oranges.
[3] Pour réduire la base monétaire ou faire monter les taux, il suffit de procéder à l’opération inverse en revendant les obligations d’État.
[4] Depuis que la rémunération des dépôts à vue est autorisée en France (16 mars 2005).
[5] Et si ça se passe mal, la banque vous rembourse avec son propre argent ; c’est-à-dire celui des actionnaires.
[6] Les 10% restant ne sont pas prêtés et serviront aux banques à honorer les demandes de retrait de leurs déposants. Ce sont des réserves.
[7] C’est à ce niveau qu’interviennent les fameuses agences de notation puisque, depuis les années 1970, leurs notes sont devenues des critères légaux d’évaluation des risques ; c’est depuis cette époque que les agences peuvent se permettre de faire payer le processus de notation aux emprunteurs.
[8] C’est-à-dire, pour faire simple, la monnaie centrale (les billets) plus la monnaie créée par les banques.
[9] Sauf si les banques se débrouillent pour se débarrasser d’une partie de leurs crédits sur les marchés financiers ; voir plus loin.
[10] Ce rôle est consubstantiel à la mission d’une banque centrale.
[11] Comme lors de cette fameuse réunion sur Jekyll Island en novembre 1910 où le sénateur Nelson W. Aldrich, principal défenseur de la mise en œuvre d’une banque centrale aux États-Unis, retrouva le gratin de Wall Street pour chasser le canard…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Copeau 583999 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines