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Original vs Remake: I spit on your Grave (1978 et 2010)

Par Geouf

Vue la mode plus si récente mais toujours vive de remakes horrifiques en vogue à Hollywood, il était couru d’avance que le fameux I spit on your Grave de Meir Zarchi allait finir par attirer l’attention des producteurs en quête d’argent facile. Et à l’occasion de la sortie de ce remake, Anchor Bay (qui produit celui-ci) a eu la bonne idée de sortir au Royaume-Uni un coffret regroupant les deux versions. L’occasion d’une part de revoir l’original dans de bonnes conditions, et d’autre part de faire une comparaison entre les deux films. Mais avant tout, petit résumé du parcours chaotique qu’a connu ce film sulfureux.

En 1978, au moment de sortir le film sur les écrans américains sous le titre Day of the Woman, le réalisateur et scénariste Meir Zarchi a connu les pires ennuis avec la censure. Obligé d’effectuer de nombreuses coupes pour obtenir le sceau de la toute puissante MPAA, le réalisateur dut ensuite diffuser son film lui-même dans divers drive-in, n’ayant pas pu trouver de distributeur. En 1980, le film est racheté par la Jerry Gross Organization et retitré I spit on your Grave pour être ensuite enfin plus largement diffusé. Mais les ennuis de Zarchi ne s’arrêtent pas là. I spit on your Grave est tout d’abord durement éreinté par les critiques, dont l’influent Roger Ebert, qui le cite comme une de ses pires expériences cinématographiques. Le film est aussi violemment attaqué par des militantes féministes qui voient en celui-ci une apologie du viol et de la violence envers les femmes. Plusieurs pays suivent ce réquisitoire, notamment l’Irlande et la Norvège, et interdisent purement et simplement la diffusion de celui-ci sur leur territoire. Le Canada aussi interdit la diffusion de celui-ci jusqu’en 1990, et le Royaume-Uni l’inclut dans sa fameuse liste de « video nasty » recensant les pellicules interdites, et ce jusqu’en 2001. Tout ce charivari contribua bien entendu à la légende du film qui acquit petit à petit un statut culte d’œuvre à voir absolument pour tout fan d’horreur.

Original vs Remake: I spit on your Grave (1978 et 2010)

Mais que raconte donc le film, pour s’être à ce point attiré les foudres des censeurs ? Rien de bien compliqué à vrai dire, ce qui est souvent l’apanage des œuvres chocs. I spit on your Grave relate le calvaire de Jennifer Hills (Camille Keaton) une jeune femme venue s’isoler dans un chalet au bord de l’eau pour écrire son premier roman, et qui se fait violer et tabasser par quatre bouseux du coin. Laissée pour morte, elle survivra néanmoins, et une fois guérie de ses blessures physiques, se vengera sans pitié de ses agresseurs. Le film fait partie de la mouvance des « rape and revenge » initiée par Wes Craven avec La dernière Maison sur la Gauche, partageant avec celui-ci de nombreux points communs : des acteurs inconnus et parfois quasi amateurs, une image brute et granuleuse donnant au métrage un côté documentaire, et une volonté visible de ne pas épargner le spectateur en le plaçant en position de voyeur. Le film lorgne aussi pas mal du côté du Delivrance de John Boorman, notamment en incluant un personnage d’arriéré mental, et en remplaçant le mythique banjo par un harmonica.

La scène la plus célèbre du film est bien entendu la longue scène de viol, qui lui a valu sa sulfureuse réputation. Une scène aujourd’hui encore choquante, tant par sa durée que par la violence psychologique de celle-ci. Car les agresseurs de Jennifer, non contents de l’utiliser et de la brutaliser comme un vulgaire bout de chair, s’amusent aussi avec elle à la manière d’un chat avec une souris. Ils la laissent s’échapper, disparaissant temporairement et lui laissant croire que le calvaire est terminé, avant de l’attendre patiemment au détour d’un chemin et de recommencer leurs exactions. Difficile dès lors de ne pas prendre fait et cause pour la jeune femme, surtout que la caméra de Zarchi ne la quitte jamais, et reste désespérément stoïque devant le supplice que celle-ci subit. Une pseudo complaisance qui aura valu au film sa réputation d’œuvre machiste faisant l’apologie de la violence faite aux femmes. Une analyse bien évidemment totalement à côté de la plaque, tant cette scène place le spectateur dans une situation inconfortable de voyeur (voir la terrible scène de la sodomie et les cris déchirants poussés par Jennifer). Et puis surtout, la suite du film vient totalement contredire cette théorie en faisant de Jennifer non plus une victime, mais une femme sûre d’elle et prête à se venger de l’horreur subie.

C’est d’ailleurs surtout cette dernière partie qui étonne et dévoile la véritable thématique du film. Car une fois ses blessures pansées, Jennifer va se muer en une vraie femme fatale, usant de ses charmes pour reprendre l’ascendant et retourner la bêtise et le machisme de ses agresseurs contre eux. Du statut de victime elle passe alors à celui de chasseur sans pitié, éliminant les quatre hommes de façon froide et méthodique en leur faisant miroiter de nouvelles faveurs sexuelles. Une manière pour le réalisateur de pointer du doigt le machisme en vigueur à cette époque. Zarchi joue d’ailleurs parfaitement du décalage entre le physique frêle et le visage doux de son actrice principale et la violence de sa vengeance. A l’opposée, les assaillants de Jennifer sont présentés comme des crétins butés et machistes, arrogants et sûrs d’eux, sortant des arguments gerbants pour justifier leurs exactions, du genre « c’est de ta faute, tu m’as allumée en te baladant les jambes à l’air ou en te faisant bronzer en bikini ». Un argumentaire fallacieux qui est malheureusement, aux dernières nouvelles, toujours d’actualité dans la bouche de certains…

De défauts, I spit on your Grave n’en est pas exempt. A l’instar de La dernière Maison sur la Gauche, le film de Zarchi pâtit parfois d’une interprétation un peu limite, surtout du côté des hommes (Camille Keaton est quant à elle parfaite, et a d’ailleurs gagné un prix pour son rôle). Mais au moins il ne se perd pas dans interludes comiques comme le long métrage de Wes Crave. Le film perd aussi parfois un peu en crédibilité dans sa dernière partie, notamment lorsque la frêle Jennifer parvient à pendre à elle seule un homme en le hissant sur une branche d’arbre. Néanmoins, le film de Meir Zarchi reste une œuvre phare du cinéma horrifique, un brûlot féministe choc n’ayant rien perdu de sa puissance.

Original vs Remake: I spit on your Grave (1978 et 2010)
Le remake du film, réalisé par Steven R. Monroe (qui a réalisé une tripotée de DTV et autres téléfilms horrifiques) reprend quant à lui la même trame, mais en y apportant de nombreuses variations pour le rendre plus moderne. Des modifications qui s’avèrent au final assez dommageables, tant ce remake accumule à peu près toutes les tares du cinéma horrifique moderne. D’abord, I spit on your Grave version 2010 est un film qui bouffe à tous les râteliers, repompant sans vergogne et sans imagination des pans entiers d’autres films : le bad guy voyeur qui filme le calvaire de sa victime (Motel), le shérif débonnaire qui s’avère être le chef de la bande (Massacre à la Tronçonneuse version Marcus Nispel), et enfin la vengeance gore à base de pièges et tortures élaborés (Saw, Hostel, etc). Là où Zarchi restait sur des meurtres assez simples mais efficace (dont une castration assez douloureuse), Monroe sombre dans la deuxième partie du film dans le torture porn dégueulasse sans aucune raison. Le problème, c’est qu’en faisant cela, il ruine totalement toute identification avec son héroïne, celle-ci devenant dans ce remake une psychopathe encore plus tarée que ses agresseurs. D’autant que si le film sombre dans le gore craspec dans sa seconde partie, il s’avère par ailleurs extrêmement prude lorsqu’il s’agit de montrer le calvaire subit par l’héroïne aux mains de ses tortionnaires.

Zarchi collait au plus près de l’horreur, exposant notamment le corps nu maltraité de son héroïne pour faire vivre toute l’horreur de la situation au spectateur, Monroe préfère lui faire sucer le canon d’un pistolet (encore une idée piquée dans un certain nombre d’autres films) et enchaîner sur un fondu au noir dès que le vrai supplice commence. De plus, alors que Zarchi adoptait totalement le point de vue de Jennifer, collant aux basques de celle-ci du début à la fin de son film, Monroe zappe purement et simplement celle-ci en milieu de film, lors de sa supposée mort, pour s’intéresser à ses violeurs, et montrer leur humanité (oh, le shérif a une petite famille !). Le problème, c’est que ces types sont totalement unidimensionnels : ce sont des sales types et puis c’est tout. Mais la vengeance de Jennifer est tellement extrême et disproportionnée qu’on en viendrait presque à prendre fait et cause pour eux lors de la seconde moitié du film, surtout que le réalisateur a pris soin de quasi en dédouaner certains auparavant (« c’était l’effet de groupe, vous savez, c’est pas ma faute, j’ai fait que suivre les copains ! »).

En clair, en plus d’être d’une bêtise à toute épreuve (on est vraiment censé croire que Jennifer a survécu pendant un mois dans une cabane en mangeant des rats sans que personne ne s’en aperçoive ?), le remake d’I spit on your Grave se vautre lamentablement dans la facilité, tout en délivrant un message pour le coup assez nauséabond. A croire que Monroe et son scénariste Stuart Morse n’ont absolument rien compris à l’original ou s’en tapent complètement, n’ayant vu là qu’un bon moyen de profiter de l’aura de scandale de l’original pour sortir un énième torture porn décérébré…

Les deux I spit on your Grave représentent donc malheureusement le parfait exemple des erreurs commises au nom de la folie actuelle des remakes : un film original marquant malgré ses défauts, proposant un sous-texte pertinent et toujours d’actualité, face à un remake abrutissant préférant tout miser sur le gore et les effets chocs gratuits, en pervertissant le message d’origine.

I spit on your Grave / Day of the Woman 1978: 7/10

USA, 1978
Réalisation: Meir Zarchi
Scénario: Meir Zarchi
Avec: Camille Keaton, Eron Tabor, Richard Pace, Anthony Nichols, Gunter Kleemann

I spit on your Grave 2010: 2/10

USA, 2010
Réalisation: Steven R. Monroe
Scénario: Stuart Morse
Avec: Sarah Butler, Jeff Branson, Andrew Howard, Daniel Franzese, Chad Lindberg, Rodney Eastman

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