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De l’utilité des paradis fiscaux

Publié le 16 septembre 2011 par Lecriducontribuable
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Les « paradis fiscaux » ne représentent  pas une menace mais plutôt un recours face aux impôts excessifs des « enfers fiscaux ».

Par Pierre Bessard, économiste à l’Institut Constant de Rebecque.

Communication prononcée à la 32e Université d’été de la nouvelle économie, Aix-en-Provence, 23 août 2011, sous le titre « Les droits des individus dans la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent ».

L’individualisme n’est pas synonyme d’égoïsme, mais de tolérance : il respecte l’individu en tant que tel et reconnaît que ses opinions et ses goûts n’appartiennent qu’à lui. Les droits de l’individu concernent donc la liberté intellectuelle, la liberté de choix, la libre disposition des fruits de son travail et de sa propriété, ou encore le respect de la sphère privée et de l’intégrité physique de chaque personne.

Ce respect de l’individu n’est pas anodin puisqu’il permet la coopération et l’harmonie sociales, telles que nous les connaissons au sein de la société civile et de l’économie de marché. Le respect des droits individuels est donc indispensable tant d’un point de vue moral pour protéger la dignité de la personne, que d’un point de vue utilitaire pour garantir la liberté économique à la source de la prospérité. L’individualisme s’inscrit dans l’héritage des Lumières, dans la philosophie de la civilisation, le libéralisme, qui a conduit à la révolution industrielle et à la grande prospérité, assortie d’une augmentation fulgurante de l’espérance de vie, qui s’en est ensuivie pour l’Europe.

C’est précisément le mérite des intellectuels des Lumières d’avoir reconnu que les agents de l’État, qu’il s’agisse des dirigeants politiques ou des fonctionnaires, doivent être également soumis au droit, et que l’individu doit être protégé contre leur arbitraire. D’où la notion essentielle que c’est l’État qui est au service du citoyen, et non le contraire.

Croisade fiscale

Il est de ce fait inquiétant de constater qu’en Europe et ailleurs, la puissance publique se comprenne de plus en plus comme un organe de surveillance du citoyen lorsqu’il s’agit d’affaires financières. En matière de fiscalité, les grands États à forte imposition cherchent à instaurer le « citoyen transparent ». Un échange international extensif d’informations bancaires devrait en effet permettre de combattre l’évasion ou la fraude fiscales.

Le G20, le groupe des vingt États les plus puissants, a appuyé ces dernières années la campagne de longue date de l’Organisation de développement et de coopération économiques, l’OCDE, au nom des États à forte imposition, qui vise un échange facilité d’informations bancaires à des fins fiscales. Ces efforts ont abouti à l’adoption de nouvelles normes internationales dans les conventions de double imposition. L’Union européenne elle-même a pour politique officielle l’échange automatique d’informations entre institutions bancaires et autorités fiscales et cherche par ailleurs à faire adopter des mesures équivalentes par des États tiers.

Les prétendues politiques de relance suite à la crise financière dès 2008 ont fourni un nouvel alibi décisif en faveur de cette croisade fiscale. Or, les politiques publiques soi-disant de relance n’ont bien sûr rien relancé du tout, mais ont mené à une autre crise encore plus menaçante, celle du surendettement et d’une politique monétaire inflationniste.

Dans ce contexte, l’ambition d’arriver au « citoyen transparent », livré dénudé au regard inquisiteur du fisc, est non seulement une atteinte aux droits de l’individu à l’intérieur des pays concernés ; les gouvernements à forte imposition qui s’attaquent contre ce qu’ils appellent les « paradis fiscaux » veulent également faire tomber un garde-fou important contre une charge fiscale excessive et discriminatoire envers les citoyens.

En faisant s’aligner sur leurs normes d’échange d’informations des juridictions comme les Îles Caïman, Hong Kong, le Liechtenstein, le Luxembourg, Singapour ou la Suisse, pour n’en citer que quelques unes qui prennent les droits individuels davantage au sérieux, c’est une porte ouverte à des hausses incessantes de la charge fiscale que recherchent les gouvernements. Pourtant, le secret bancaire, c’est-à-dire le secret qui protège les clients des banques, ne devrait pas être un privilège.

Le sens de la confidentialité bancaire

La confidentialité bancaire, la sphère privée financière partage une longue tradition avec d’autres secrets professionnels, comme celui du médecin, du prêtre ou celui de l’avocat. Ces secrets sont destinés à protéger l’individu tant envers l’État qu’envers des tiers, précisément dans la tradition des Lumières qui respecte l’individu en tant que tel et veut que l’État soit au service du citoyen, et non l’inverse. Un gouvernement qui transforme chaque contribuable en fraudeur potentiel, qui fait de chaque citoyen un suspect, se distancie donc de la notion d’État de droit. C’est un État aux relents totalitaires, qui place ses prérogatives avant les droits légitimes du citoyen.

Les défenseurs de la lutte contre l’évasion fiscale font bien sûr valoir que les citoyens « honnêtes » n’auraient rien à craindre de cette transparence. Mais c’est se méprendre sur la nature de la confidentialité bancaire : si les citoyens refusent le regard de l’État dans leurs comptes bancaires, ce n’est pas qu’ils aient quelque chose de répréhensible à cacher, c’est qu’ils souhaitent décider eux-mêmes ce qu’ils dévoilent. Ceci pour une raison fondamentale : c’est cette protection de la sphère privée qui donne à l’individu son autonomie et qui lui permet de réconcilier, en fonction de ses préférences, son individualité et la vie en société. S’attaquer à la sphère privée du citoyen, c’est donc s’attaquer à sa liberté et à son intimité. C’est s’attaquer à ce qui permet tant la proximité et l’ouverture envers la communauté que la distance indispensable dont sont issus le respect et la sérénité de l’individu.

L’immixtion de l’État dans la sphère privée est d’ailleurs plus problématique que dans le secteur privé, car l’État en tant que monopole de la contrainte n’a pas besoin de demander l’assentiment de quiconque. Souvent, le « bien commun », voire le bien des personnes surveillées est invoqué pour violer leur sphère privée. La question de la proportionnalité n’est jamais posée. Et il est rare qu’un droit de refus soit accordé.

Une vision totalitaire de la société

C’est pourquoi l’État devrait être soumis plus que toute autre institution au respect la sphère privée. Le financement de l’État ne peut précéder le droit fondamental à la sphère privée de chaque individu. L’État « grand frère » qui veut tout savoir sur « ses » citoyens et vise la transparence totale de ses « sujets » ne relève plus, à juste titre, d’une vision humaniste, mais d’une vision orwelienne, d’une vision totalitaire de la société.

On peut bien sûr penser que les États démocratiques soient moins susceptibles d’abuser de la transparence qu’ils exigent du citoyen. Mais l’expérience suggère que ce point de vue est tout à fait naïf. D’une part, la majorité de l’humanité, selon l’indice de la liberté dans le monde publié chaque année par Freedom House, vit, aujourd’hui encore, sous des régimes répressifs. D’autre part, les États démocratiques ne sont pas immunisés contre les dérives de type totalitaire. Le risque d’abus de pouvoir de l’État rend tout aussi nécessaire le respect de la sphère privée financière.

Le philosophe politique Alexis de Tocqueville avait déjà observé au XIXe siècle qu’il est dans la nature de tout gouvernement de vouloir agrandir continuellement sa sphère. Même en admettant par principe que la puissance publique ne doit pas intervenir dans les affaires privées, la multitude d’exceptions qui s’accumulent avec le temps étend sans cesse la sphère du pouvoir.

Cet avertissement de Tocqueville est aujourd’hui confirmé par l’expérience. Dans de nombreux États-providence centralisés, il n’est pas exagéré de parler aujourd’hui de gouvernements oligarchiques : les différences entre les principaux partis politiques n’offrent aucune réelle alternative au citoyen. L’alternance démocratique se limite souvent à des changements de personnes, alors que l’emprise bureaucratique de l’État sur la société et l’économie reste fermement en place.

Crise du surendettement

Les « paradis fiscaux » exercent dans ce contexte une fonction importante et même essentielle dans la préservation des droits des individus. Il peut être tout à fait légitime et légal, par exemple par le biais de l’émigration ou de la réorganisation juridique, de vouloir éviter des taux d’imposition contrevenant à un respect élémentaire des droits individuels de propriété. La crise du surendettement rappelle une fois de plus les risques politiques liés à des gouvernements qui tendent à soutenir des politiques dont les coûts pourraient nécessiter des hausses d’impôts pour tous les contribuables à l’avenir.

La seule conséquence à attendre d’un affaiblissement général de la sphère privée financière est donc une augmentation de la charge fiscale pour tout le monde. C’est pourquoi s’attaquer aux « paradis fiscaux » est en premier lieu une attaque des gouvernements contre un arbitrage de leurs excès budgétaires et de leur gestion publique de mauvaise qualité ou dépassant les limites dans lesquelles l’État devrait se borner.

Outre l’aspect fiscal, les gouvernements réclament la « transparence » financière au titre de la lutte contre le blanchiment d’argent. Les intermédiaires financiers doivent donc rapporter les transactions suspectes aux autorités, mais les réglementations concernent aussi les notaires, les avocats, les comptables, les agents immobiliers ou encore les casinos.

Une directive européenne prévoit que les marchands d’art, les bijoutiers, les commissaires-priseurs doivent eux aussi appliquer des procédures de vigilance. Les praticiens et les commerçants dans toute l’Europe ont d’ailleurs dénoncé cette dérive réglementaire en protestant que leur rôle n’était pas celui d’agents de l’État, mais de fournisseurs de services.

Ces efforts s’avèrent en général totalement inefficaces, car la lutte contre la criminalité est bien sûr l’affaire de la justice et de la police, elle n’est l’affaire ni des intermédiaires financiers ni d’autres professions. Si les gouvernements s’attaquent aux flux de financement et aux échanges commerciaux plutôt qu’au crime lui-même, ils font l’aveu de leur incapacité à remplir leurs missions premières, qui seraient précisément de faire respecter le droit et d’assurer la sécurité.

La lutte contre le blanchiment révèle donc en premier lieu une chose : que les États-providence actuels, après s’être dispersés dans maints domaines de la vie en société, ne sont plus compétents dans leur tâche de base, celle de faire régner l’ordre en vertu du droit.

Les réponses à la croisade des gouvernements

Une fois ce constat établi, il convient de se demander quelles réponses apporter aux violations des droits individuels au titre de la lutte contre le blanchiment ou l’évasion fiscale. Un autre philosophe de l’époque des Lumières, Benjamin Constant, avait soutenu que tant que les lois injustes ne forcent pas les citoyens à des actes inhumains, il valait mieux s’y conformer pour préserver la paix avec les agents de l’État. De même, il s’agit ici d’agir par la méthode libérale, la persuasion, à trois niveaux.

Premièrement, il faut défendre la sphère privée financière en tant que telle, en reconnaissant qu’elle est une extension légitime des droits individuels, à laquelle le monopole légal d’un État véritablement démocratique doit se soumettre. Ce premier point se rattache à l’idée que l’État, en tant que simple association utilitaire, est au service du citoyen, et non le contraire. Nous avons surmonté culturellement, espérons-le, la vision mystique de l’État qui caractérisait l’Ancien Régime.

Deuxièmement, il faut reconnaître que les « paradis fiscaux », loin de représenter une menace, jouent tout au plus un rôle préventif ou correctif d’arbitrage face à une imposition excessive. Les « paradis fiscaux » permettent de mieux protéger les droits individuels, de moins pénaliser l’activité économique à la source de la prospérité et d’encourager un meilleur équilibre entre les prestations publiques et la charge fiscale.

Moins d’impôts et moins de dépenses publiques

Troisièmement, il est important de s’engager pour une sphère limitée de l’État et pour une diminution des dépenses publiques et des impôts.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si « l’honnêteté fiscale » mesurée des citoyens est plus élevée dans les « paradis fiscaux » que dans les grands États centralisés à forte imposition, où la proportion de l’économie clandestine, où le marché noir et l’évasion fiscale sont en général plus répandus.

L’honnêteté fiscale vaut en effet dans les deux sens : si l’État est honnête et s’efforce d’éviter le gaspillage de l’argent des contribuables, de minimiser son train de vie et d’améliorer la transparence de l’usage des fonds à sa disposition par un contrôle de proximité, il peut s’attendre à ce que le citoyen soit également prêt à lui attribuer une partie de son revenu pour financer les services qui lui sont rendus.

Si, en revanche, le gouvernement, en tant que véhicule de pouvoir, cherche à parvenir à la transparence totale du citoyen par une surveillance toujours plus poussée, plutôt que d’établir sa propre transparence à lui, c’est qu’il a quitté la sphère démocratique et qu’il est temps de le remettre à sa place, celle d’un serviteur humble et subordonné aux droits des individus.

Pierre Bessard

* Institut Constant de Rebecque (Lausanne, Suisse), expert associé à l’IREF. Communication prononcée à la 32e Université d’été de la nouvelle économie, Aix-en-Provence, 23 août 2011.

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