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A propos du 150° anniversaire de l’unité italienne (J Pellistrandi)

Publié le 17 septembre 2011 par Egea

A la suite de mon petit billet sur l'Italie et la négligence française à son égard, Jérôme qui connaît bien le pays m'envoie ce texte très intéressant, qui dit clairement des choses dont j'avais l'intuition : mille mercis à lui encore une fois, car cela manquait...

A propos du 150° anniversaire de l’unité italienne (J Pellistrandi)
source

O. Kempf

A propos du 150° anniversaire de l’unité italienne :

  • Autour du livre d’Alberto Toscano : Quand les Français se passionnaient pour l’unité italienne, Armand Colin, 2010.

Ce printemps 2011 a vu l’Italie fêter le 150° anniversaire de sa réunification à travers de très nombreuses manifestations dans la péninsule mais celui-ci a eu au final peu d’écho de l’autre côté des Alpes. C’est un paradoxe d’autant plus que la France, qu’elle fut royauté, empire ou république s’est longtemps passionnée pour la célèbre Botte. Autre paradoxe actuel, les relations franco-italiennes, d’habitude plutôt sereines, ont connu récemment de sérieuses perturbations dans lesquelles la dimension passionnelle n’est jamais très loin. Il suffit de se rappeler une certaine finale d’un certain Mondial en juillet 2006.

Les clichés fusent entre les deux nations, alors que le voisinage initialement si intime semble s’estomper. Les deux peuples croient se connaître, mais en fait, s’ignorent alors que leur destin fut jadis entremêlé. Alberto Toscano, journaliste italien correspondant de presse vivant en France depuis plusieurs décennies et donc intime connaisseur de notre pays et surtout de ses habitants, nous propose donc de redécouvrir comment la France a été un acteur essentiel et controversé du processus de réunification de la Péninsule italienne tout au long du XIX° siècle et combien les liens ainsi créés conditionnent encore la relation entre les Français et leurs cousins italiens.

Sur un mode journalistique attrayant mettant fréquemment en parallèle histoire et actualité, l’auteur montre combien la France a été attirée par la Péninsule italienne depuis des siècles mais aussi combien les rapports restent complexes, laissant subsister encore de très nombreuses incompréhensions.

La France, quelque soit la nature de son régime politique, toujours unitaire et centralisée, n’a cessé d’admirer ce foyer de civilisation et de pouvoir sous un angle plus culturel, artistique et sentimental que strictement politique et économique. Les Italiens ont, de leur côté, longtemps cherché en la France un soutien politique et intellectuel pour limiter l’emprise des puissances tutélaires comme l’empire austro-hongrois, le royaume d’Espagne, et bien sûr, la Papauté alors pouvoir temporel. Les échanges ont donc toujours été permanents, réguliers et intenses, la Péninsule ayant été depuis le Moyen-Age un des espaces géographiques où les rivalités européennes se sont affrontées au détriment des populations locales, à la recherche d’alliances plus ou moins solides avec les principales principautés et autres royaumes italiens. C’est également le foyer de départ de la Renaissance qui a tant suscité l’intérêt des Rois de France et l’accroissement des échanges artistiques et scientifiques comme l’illustre Léonard de Vinci.

Morcelée depuis la fin de l’Empire romain, ce n’est qu’à partir de la fin du 18° siècle et de la révolution française que l’Italie va s’engager dans un processus de réunification laborieux et violent tout au long du 19° siècle, le siècle des nationalismes. Certes, officiellement, la réunification s’est faite en 1861, mais d’autres jalons restent essentiels pour comprendre la constitution d’un état italien autour d’une nation italienne : 1871 avec la prise de Rome au détriment des Papes, 1922 avec la prise du pouvoir par Mussolini, 1929 avec les accords du Latran entre l’Etat italien et le Saint Siège, 1943 avec la chute du fascisme, voire 1978 lorsque Jean-Paul II est élu, devenant le premier Pape non italien depuis le début du 16° siècle… Encore aujourd’hui, l’échiquier politique avec la Ligue du Nord, parti de la majorité et très critique envers le sud du pays, traduit bien le fait que l’unité italienne n’est pas forcément arrivée à maturité.

Tout d’abord, la Révolution française et l’Empire napoléonien ont eu un impact direct sur la volonté de certaines élites italiennes formées à l’esprit des Lumières de retrouver une unité disparue depuis l’Antiquité et perçue comme un mythe politique à rétablir. Mais les obstacles internes et externes ont été particulièrement nombreux. Parmi les oppositions internes, il faut souligner l’absence d’une volonté de cohésion nationale entre le Nord et le Sud. La ruralité et une mentalité souvent rétrograde ont freiné durablement l’essor économique et restent une faiblesse majeure dans le Mezzogiorno, encore perceptible de nos jours, prolongeant une pauvreté endémique, mais également la prospérité des organisations mafieuses. L’immobilisme du Sud contraste avec le dynamisme industriel et économique du Piémont et de la Lombardie, depuis toujours tournés vers l’Europe et ses marchés. Milan et Turin sont plus proches à tout point de vue de Lyon, Genève, Munich ou Stuttgart que de Naples ou de Palerme. Le morcellement étatique, les différentes formes de pouvoir local –royauté, principauté, commune libre,… et les rivalités dynastiques ont également retardé le Risorgimento –ce mouvement de renaissance- qui ne prend son essor que vers les années 1840, d’autant plus que l’Eglise, à travers la Papauté, n’a pas facilité l’émergence d’une unité construite sur une approche certes conciliatrice, mais ne mettant pas le Pape en position centrale.

L’unité italienne a donc été un processus complexe, souvent confus, où les acteurs internes – les Italiens- et externes – les puissances européennes- n’ont cessé d’avoir des approches contradictoires et la plupart du temps, incompatibles avec les désirs et les choix des Italiens. Ceux-ci, également, ne partageaient pas du tout une vision commune et identique d’une Italie souveraine : Républicains contre Monarchistes, élites urbaines éclairées du Nord contre paysans du Sud illettrés mais ultra-conservateurs et soumis au clergé, anticléricaux contre Princes de l’Eglise fervents défenseurs de l’immobilisme pour mieux protéger leurs privilèges,…

La Maison de Savoie à partir des années 1840 va être l’acteur principal de l’unification avec l’appui de la France de Napoléon III contre l’Empire austro-hongrois. Habilement, le roi Victor Emmanuel II , bien conseillé par son ministre Camillo Cavour , va obtenir le soutien politique et militaire français. Louis-Napoléon Bonaparte, dans sa jeunesse, a vécu à Rome et a appartenu au mouvement secret des Carbonari. Par ailleurs, une grande partie de l’intelligentsia française est depuis toujours passionnée par l’Italie, un des berceaux du Romantisme. De Madame de Staël à Chateaubriand, sans omettre Stendhal ou encore Ingres, nombreux sont les artistes, écrivains, peintres et musiciens qui admirent l’Italie dans son lien au passé et qui se sont formés dans les augustes murs de la Villa Medicis comme Georges Bizet. Soutenir l’unification italienne est donc alors légitime aux yeux de l’opinion publique française pour de multiples raisons dont le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le Printemps de 1848 a ainsi été le moteur de ce processus irréversible où la liberté des nations est devenue une réalité politique.

Pour Napoléon III, l’engagement militaire en Italie doit lui apporter la gloire des victoires, comme son oncle l’Empereur, mais aussi renforcer la place de la France en Europe face à l’Empire Austro-hongrois. C’est aussi un soutien idéologique en rapport avec ses opinions personnelles favorables au romantisme, au libéralisme mais aussi à l’unité sociale des nations. Les succès militaires seront en effet nombreux : Magenta et Solférino sont des noms bien connus du moins à travers les plaques de rue ou les stations de métro. Politiquement, le bénéfice sera moindre dans la mesure où Napoléon III n’est pas allé jusqu’au bout du processus de réunification en empêchant l’annexion des Etats pontificaux, voulant ainsi ménager le Pape et donc les Catholiques français. Du côté italien, une amertume certaine –en laissant quelques traces non encore cicatrisées- en est apparue, considérant exagérément que la France n’avait pas tout fait et donc s’opposait à cette unité. Pourtant, il est indéniable que sans l’aide française, et malgré la bravoure de certains héros italiens comme Garibaldi, le Royaume de Piémont-Sardaigne n’aurait pas réussi à vaincre les armées austro-hongroises. La fin de l’unification est liée directement à la guerre franco-prussienne, dans la mesure où le retrait des troupes françaises protégeant Rome laisse le champ libre, en 1870 , aux armées de Victor-Emmanuel II pour pénétrer dans la Ville éternelle, entraînant un enfermement volontaire du Pape Pie IX dans le Vatican qui se considère alors comme prisonnier. Cette situation perdurera jusqu’aux accords de Latran en 1929, mettant ainsi fin à la « Question romaine » entre la Papauté et le Royaume d’Italie.

Les années qui suivirent la réunification de 1871 ont peu bénéficié à la relation franco-italienne. L’Italie exporte sa main d’œuvre misérable fuyant le Mezzogiorno vers la France et ses régions frontalières comme la Provence ou industrielles comme la Lorraine. En 1911, les Italiens constituent le premier groupe étranger et représentent 1% de la population française . Dans les années 1880, les relations commerciales entre les deux pays sont d’ailleurs quasi nulles car Rome a dénoncé le traité de commerce qui les liait.

Paris ne s’intéresse plus à la Péninsule sauf lorsque Rome se tourne de trop près vers Berlin ou Vienne avec la Triple Alliance. La Troisième République, laïque, voire anticléricale, récuse de plus l’autorité du Pape. Rome est bien passée de mode, y compris pour les artistes.

L’engagement italien durant la première guerre mondiale est dramatique avec de très nombreux revers militaires, des pertes élevées et un résultat mitigé lors des conférences de paix, entraînant là-encore un nouveau ressentiment envers la France. Et les relations durant le fascisme seront elles-aussi tendues, oscillant entre compromis et hostilité finalement déclarée en juin 1940.

Au final, ce n’est qu’avec le projet européen lancé à la fin des années 50 et concrétisé avec le Traité de Rome du 25 mars 1957 que la France et l’Italie vont enfin réapprendre à se connaître et à mieux se comprendre. Les relations vont peu à peu devenir sereines et fructueuses dans tous les domaines y compris économiques, même si la compétition reste vive. Rome redevient à la mode, notamment sur le plan culturel grâce au cinéma. Don Camillo envahit les écrans français et Fellini fascine les germanopratins.

Plus récemment, sur le plan militaire, de nombreux programmes concernant principalement les marines ont été lancés à la fin du XX° siècle avec les frégates anti-aériennes Horizon puis les nouvelles frégates FREMM dont les premiers exemplaires entament leurs essais. Pourtant, des écueils subsistent, au point de voir les deux pays partenaires devenir concurrents pour arracher des marchés à l’exportation. L’état-major de l’EUROFOR , établi à Florence, n’a pas rencontré le succès escompté et pourrait fermer ses portes, au grand soulagement des financiers. Les résultats sont donc mitigés et ambigus traduisant de fait un manque d’ambition et de volonté politique, Rome ayant toujours privilégié l’OTAN, au détriment d’une réelle défense européenne.

Et de fait, il faut bien admettre qu’en ce cent-cinquantième anniversaire de l’unité italienne, l’indifférence française est assez éloquente et contraste avec la passion qui fut celle de notre pays au cours du 19° siècle pour aider les peuples italiens à devenir une nation. Cette indifférence est bien paradoxale dans la mesure où les liens économiques , politiques et culturels sont essentiels. Sans parler du tourisme, tant les pavés romains résonnent de la langue française ! Il convient donc de recréer cet intérêt en y ramenant un peu de passion.

Jérôme Pellistrandi

  1. 1820-1878.
  2. 1810-1861. Sa langue maternelle est le Français.
  3. Les troupes italiennes rentrent dans Rome le 20 septembre 1870 près de la Porta Pia.
  4. En 2008, environ 4 millions de Français ont des origines italiennes.
  5. Créé en 1995, cet état-major permanent est multinational et comprend outre les participations françaises et italiennes, des représentants de l’Espagne et du Portugal.
  6. L’Italie est le second partenaire économique de la France, après l’Allemagne.

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