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Une interview de Claude Ecken (1)

Publié le 19 septembre 2011 par Zebrain

Réalisée à la fin du mois d'août 1993, la présente interview — quoique le terme de « conversation » serait sans doute plus exact — est parue dans le n°5 de La Geste, un excellent fanzine édité par Michel Tondellier, dans lequel le désormais célèbre chroniqueur de la Bibliothèque orbitale fit ses premières armes en un temps où, faute de revue, l'amateur du genre n'avait que des publications d'amateurs tirées à quelques dizaines ou quelques centaines d'exemplaires (quatre-vingts dans ce cas précis) à se mettre sous la dent. La voici reproduite dans une version très légèrement éditée, précédée de son chapeau d'époque :

L'action se déroulait à Orléans lors de la dernière Convention nationale de science-fiction, au milieu d'un joyeux brouhaha et au-dessus d'une vitrine abritant de beaux objets. Sur la vitrine on pouvait trouver : des casse-croûte, des bières, un dictaphone et quelques notes. Autour de la même vitrine on pouvait trouver : Claude Ecken (l'intervewé), Pascal Godbillon (un jeune auteur et un chroniqueur que vous connaissez), Philippe Boulier (un autre jeune chroniqueur que vous connaissez aussi), André F. Ruaud (un vieux fanéditeur que vous devez connaître), Roland C. Wagner (un auteur bien connu) et Michel Tondellier (un fanéditeur que vous êtes peut-être bien les seuls à connaître.

Pus qu'une interview, c'est une table ronde autour de Claude Ecken, un écrivain qu'on aime bien et qui gagnerait à être plus connu.

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Photo empruntée à Fantastinet

Roland C. Wagner — Pourquoi la science-fiction ?

Claude Ecken — Parce que je m'y sens à l'aise.

C'est dur comme question, mais c'est vrai qu'elle est intéressante. Pourquoi s'adonner à un genre plutôt qu'à un autre ? Surtout que ça fait un peu pestiféré d'être quelqu'un qui aime la science-fiction. Encore, le fantastique, ça va, c'est noble, mais la SF…

À la base ma motivation aussi bien pour la science-fiction que pour écrire de la science-fiction ça a été l'évasion. Une fuite du réel, une fuite d'un monde que je n'aimais pas. Je voulais quitter ce monde et le meilleur moyen était encore toutes ces histoires qui se passent sur d'autres planètes, ces histoires qui résentaient surtout d'autres modes de vie. Plus tard je me suis rendu compte que la science-fiction ne me permet pas de fuir le monde, mais m'oblige à le regarder en face, à travers un filtre. Je me suis alors rendu compte que je pouvais m'attaquer au réel, travailler sur ce monde que je n'aime pas, essayer de comprendre ce qui ne va pas, pour mieux l'analyser, l'étudier à travers ce filtre que représente la science-fiction.

Pourquoi la science-fiction ? Pour ça.

RCW — Mais tu avais quand même le choix entre plein de trucs pour t'évader. Tu avais aussi la drogue, la musique disco et les filles. Pourquoi la science-fiction plutôt que tout ça ?

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CE — D'abord ça devait être littéraire, et…

RCW — C'était important que ce soit littéraire ?

CE — En fait j'avais des parents hyper sévères, qui ne me laissaient pas sortir, qui ne me donnaient pas d'argent de poche, qui ne voulaient rien savoir de la télé ou de la radio. Donc, pas de musique.

Quand tu ne peux rien faire, que te reste-t-il ?

Tu prends un bouquin et tu bouquines.

Petit à petit je me suis mis à lire et comme j'ai pratiquement tout le temps été pensionnaire dans des écoles de curé la lecture a été mon seul moyen d'évasion.

Quand j'étais en classe de septième ou de sixième j'étais non seulement mordu de lecture, mais je m'intitulais déjà écrivain. J'écrivais des petites histoires de mon côté. J'ai commencé dès ma deuxième année scolaire à écrire des poèmes et des bouquins d'aventures. Je lisais du Bob Morane et donc j'écrivais du Bob Morane Mon héros s'appelait Dick Paler, il se battait contre l'Ombre noire, un fameux démarquage de l'Ombre jaune. À dix ans, je m'éclatais à faire des trucs comme ça.

RCW — Ce sont ces années qui sont à l'orgine de L'Abbé X ?

CE — En partie.

Philippe Boulier — C'est autobiographique ? (rires)

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CE — Non ! Non ! Ce n'est pas autobiographique, mais il y a quand même une part de vérité… J'ai utilisé le côté pension pour introduire la claustrophobie, mais en fait ce qui m'avait marqué ça a été un reportage sur des gamins prostitués à Manille. Des gamins dont la clientèle était essentiellement composée d'Allemands et de Français. À la même époque on pouvait lire dans les journaux une histoire à propos d'une association qui payait des colonies de vacances à ceux qui n'avaient pas les moyens d'en offrir à leurs gosses. Et les mecs qui offraient ces colos s'offraient les gamins. Peutêtre qu'ils n'avaient pas les moyens de s'offrir un voyage jusqu'à Manille… L'association s'appelait l'Action chevaleresque…

On a reparlé de cette histoire après que j'ai écrit L'Abbé X, on  a prononcé un non-lieu et l'affaire s'est d'elle-même tassée dès qu'on lui a trouvé des ramifications politiques.

L'émission des gamins de Manille m'a scandalisé, d'ailleurs elle a scandalisé pas mal de personnes, mais d'une autre manière. Beaucoup de gens se sont plaints de voir une émission pareille diffusée à 20 h 30. Ces personnes ont été scandalisées car elles ne voulaient pas voir la réalité. Mais que leur fallait-il ? Faire rentrer la caméra dans la chambre d'hôtel afin que l'on puisse voir tout ce que ça signfie un enfant qui se fait défoncer la rondelle ?

Qu'est-ce qu'il faut pour que les gens réagissent ? Leur raconter cela peut-être ?

C'est ce que j'ai essayé de faire. À travers un bouquin. À travers L'Abbé X. J'ai décidé de raconter la scène, je n'y suis même pas arriv, à un moment j'ai craqué et mon gamin perd la coscience des événements, de ce qui se passe. J'ai situé l'action en France, dans un pensionnat pour le petit côté étouffant, j'ai réchauffé quelques souvenirs d'enfance, placé quelques situations de ce type, et voilà…

RCW — Mais c'est encore plus immonde dans L'Abbé X car non seulement ce sont des enfants, mais ce sont des enfants mongoliens.

CE — Ben à l'époque j'habitais à côté d'un centre pour handicapés physiques et pour handicapés mentaux. Et quelques rumeurs couraient… Surtout que les mongoliens sont assez portés sur la chose. Certains que l'on estimait pas trop dangereux avaient droit à un jour de sortie par semaine pour se balader dans le village, faire quelques courses. Il y a eu l'histoire d'un jeune gars dans son champ qui s'est fait attaquer par cinq nanas. Le mec s'est fait violer par cinq mongoliennes qui avaient littéralement pris d'assaut son tracteur. À cela s'ajoutaient les rumeurs qui couraient à propos de mecs qui venaient profiter des mongoliennes qui n'attendaient que ça. C'est pour cette raison que j'ai utilisé des enfants mongoliens.

Michel Tondellier — Il t'arrive souvent d'emprunter des choses à la réalité por entamer tes bouquins. Tu en avais déjà parlé à Redu pour La Peste verte, ton bouquin publié dans la collection Gore.

RCW — Un gore absolument génial puisqu'il n'y a pas une seule goutte de sang.

André-François Ruaud — J'imagine que dans L'Autre Cécile il y a aussi énormément d'éléments autobiographiques, étant donné que l'action se déroule à Aix-en-Provence.

RCW — Dans Le Cri du corps également…

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CE — Ce n'est pas seulement dans la réalté, ce peut être simplement une pensée. De temps en temps quand quelque chose me choque, me marque, je me demande à quoi on aboutirait si l'on tirait la ligne jusqu'au bout. Le Cri du corps, c'est simpelment des gens qui somatisent et qui s'inventent des maladies, mais une fois qu'ils reconnaissent que leur maladie est psychosomatique, une fois qu'ils en ont découvert l'origine (c'est freudien), ils dévelopent une autre maladie. Et une fois qu'on a fait le tour de toutes les maladies, il ne reste plus qu'à en inventer… C'est sur cette idée-là que je suis parti. J'ai bâti cette histoire en cherchant autour de moi tous les éléments réalistes, plus ou moins autobiographiques, qui vont me permettre de bien raconter l'histoire. Aziki dans Le Cri du corps est quelqu'un qui a de gros prolèmes, à qui l'on fait payer très cher son cabinet, c'est arrivé à une amie toubib à Aix-en-Provence, qui a acheté son cabinet mais qui s'est fait rouler parce que la personne qui le lui a vendu a vendu sa cientèle à quelqu'un d'autre. Un an après la famille s'est aperçue que les meubles n'avaient pas été saisis et sont venus enlever toutes les chaises de la salle d'attente. Du jour au lendemain il n'y avait plus rien pour faire attendre les gens.

Pascal Godbillon — Ta secrétaire médicale est bien vue, on la sent réellement. Je ne sais pas si elle existe effectivement.

CE — Celle-là n'existe pas, mais bon, ce sont des histoires que tu transposes.

(à suivre…)


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