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Yankee sur Meurthe

Publié le 20 septembre 2011 par Legraoully @LeGraoullyOff
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Yankee sur Meurthe

Dans la vastitude du village global, on ne tend à partager la misère de notre prochain que lorsqu’elle est télévisée. L’Homme est si égoïste qu’à l’heure du goûter, pris de fringale après une dure journée de labeur, il se précipite vers son frigo sans souci de l’enfant qui se déssèche sans l’aide de Médiator dans les bidonvilles, et ne réprime un rot satisfait qu’à l’heure où la catastrophe naturelle rappelle les bambins faméliques au souvenir du gourmet impatient. Pourtant, tout près de chez nous, se jouent parfois des drames dédaignés même par les rubriques « chiens écrasés » des gazettes nationales et internationales depuis que le tragédien Sophocle a décidé que les malheurs incestueux et criminels des grands de ce monde avaient une valeur morale supérieure aux péripéties de Monsieur Lambda (qui est le nom grec le plus commun).

Dans la riante bourgade de Thiaville sur Meurthe, dans le département méridionalement voisin du nôtre, se déroule actuellement une joute mêlant intrigue politique, déchirements familiaux, et références historiques qui pourraient reléguer la guerre de Troie et la saga d’Erik le Rouge au rang de comptines pour nouveaux-nés. Un couple d’habitants de Thiaville a donc comparu devant le tribunal correctionnel de Nancy pour avoir tagué sur le mur de sa maison « US go home », pour embêter le bourgmestre du village qui est le fils d’un militaire américain qui passait par la Lorraine avec ses chewing-gum pour bouter l’envahisseur germain par delà le Rhin. L’élément féminin du couple fut un temps l’adjointe du maire, et avait déjà été l’objet de neuf plaintes en diffamation de la part de l’officier civil, dont aucune n’a abouti. Le mari d’icelle, devant tant d’acharnement,  fut pris d’une colère digne du courroux divin qui déclencha Sodome et Gommorhe, et fut saisi d’une verve justicière que n’auraient pas renié Emile Zola et Jules Vallès.  Il décida donc de s’essayer à l’art de rue protestataire en invitant le premier magistrat à retourner dans le pays de ses ancêtres. Cette réminiscence moderne de l’art rupestre ne vécut qu’une heure, car Madame enjoignit rapidement son époux à ne pas pousser le bouchon trop loin, car comme le dirait Philippe Lucas à Laure Manaudou, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle nous les casse. Jusqu’ici, rien ne distingue cette bucolique dispute de campagne d’une querelle de voisins ordinaire, le mauvais goût de l’injonction au maire ne dépassant pas l’auvergnaterie dont est friande la France sarkozyenne, qui à l’instar de la femme de chambre guinéenne, ne demande qu’à être aimée ou à être quittée, si possible sans effraction.

L’affaire prend un tournant picaresque avec l’intervention de la partie civile. Celle-ci est représentée par une association d’enfants de militaires américains, dont le président s’est présenté à la Cour vêtu d’un costume d’Indien avec une coiffe à plumes, et a appelé les Sacco et Vanzetti de Thiaville à se tenir « au garde à vous devant le peuple libérateur ». On ne peut évidemment qu’être reconnaissant aux Etats-Unis d’être intervenu en 1944 pour surmonter leur peur du communisme, mais il faudrait expliquer à Shitting Bull, qui a dû passer un peu trop de temps tout seul dans les Vosges, qu’en France le garde-à-vous devant les drapeaux est réservé aux collabos (et à leurs héritiers qui ne cessent malheureusement de se multiplier) et aux diverses variétés de supporters fanatiques que les athlètes américains ne cessent d’humilier. Et on ne lui fera pas l’affront de lui rappeler comment les colons anglais et espagnols ont libéré le peuple indien en génocidant à qui mieux mieux pour la gloire du Christ et de la Couronne, alors que nous avons le bon goût de laisser les peuplades moins avancées des Vosges et de la Meurthe et Moselle vivre comme ils l’entendent. En plus, ils étaient déjà alcooliques avant qu’on leur apporte la civilisation. Quel dommage que les représentants les plus vils de nos deux nations soient toujours les plus véhéments, que ce soit à l’échelon local pour une querelle de clochers, ou à l’échelon international pour des querelles de cloches, alors que nous avons tant à apprendre les uns des autres et assez de points communs pour faire la guerre à ces salauds d’Anglais qui nous prennent pour des bouffeurs de grenouilles et  considèrent les Américains comme des Québecois obèses.

Dans un prochain épisode, au nom de l’amitié entre les peuples français et américain, nous nous présenterons à la présidence de la République et organiserons une votation pour la cession de la Meurthe et Moselle à la Chine avant l’eclosion de la Troisième Guerre Mondiale.


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