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Troy Davis, la peine de mort et les États-Unis

Publié le 22 septembre 2011 par Sylvainrakotoarison

Albert Camus : « Je cherche [la paix] encore aujourd’hui, essayant de les comprendre tous et de n’être l’ennemi mortel de personne. (…) Et c’est pourquoi j’ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir. » ("La Peste", 1947).

yartiTroyDavis01Troy Anthony Davis a été exécuté à presque 43 ans ce mercredi 21 septembre 2011 à 22h53, heure locale (ce jeudi 22 septembre à 04h53 du matin, heure de Paris) et a été déclaré mort quinze minutes plus tard. Barack Obama a sur la conscience déjà cent trente et un condamnés exécutés depuis le début de son mandat.

Rapide historique

Troy Davis était né le 9 octobre 1968 et était enfermé à la prison de Jackson, en Géorgie (États-Unis) depuis le 23 août 1989. Il était accusé du meurtre de Mark MacPhail, un policier de 27 ans, survenu le 19 août 1989 à Savannah (Géorgie). Il avait toujours clamé son innocence (encore quelques minutes avant sa mort) et sa condamnation à mort avait été prononcée le 30 août 1991 sans preuve matérielle et sur la seule foi de témoignages qui ont été remis en cause entre-temps (sept des neuf témoins se sont rétractés).

Grâce à diverses procédures et recours, Troy Davis avait déjà vu à plusieurs reprises le processus de son exécution s’interrompre in extremis. Le 16 juillet 2007, l’exécution prévue le lendemain fut repoussée, mais ensuite reprogrammée pour le 23 septembre 2008. Deux heures avant l’heure prévue, une suspension provisoire fut décidée pour prendre en compte des faits nouveaux, sans succès, et son exécution fut remise au 27 octobre 2008.

Trois jours avant, une nouvelle suspension a eu lieu pour transmettre l’affaire à la Cour suprême fédérale qui a accepté de s’en occuper le 17 août 2009. Cette dernière a validé la condamnation à mort et a rejeté l’appel du 21 janvier 2011.

Le comité de grâce a rejeté définitivement la grâce le 20 septembre 2011, l’exécution étant prévue pour le lendemain. Enfin, hier, le 21 septembre 2011, quelques heures avant l’heure prévue, une suspension a été encore décidée pour un dernier recours devant la Cour suprême, mais sans succès.

Réactions pour empêcher l’exécution

En Géorgie, le gouverneur n’a pas le droit de grâce, tandis que Barack Obama, qui n’est pas opposé à la peine de mort, a refusé de s’impliquer dans cette affaire en raison de la séparation des pouvoirs et également, de la période électorale qui va s’ouvrir (son mandat étant appelé à se renouveler en novembre 2012 et la peine de mort reste très populaire aux États-Unis).

Depuis plusieurs années, la condamnation à mort de Troy Davis a soulevé des mouvements de soutien et de sympathie pour faire annuler la sentence. Parmi ceux qui ont soutenu Troy Davis, on peut citer le pape Benoît XVI, le Prix Nobel de la Paix 1984 Desmond Tutu, l’ancien Président américain (et Prix Nobel de la Paix 2002) Jimmy Carter, et aussi le Président français Nicolas Sarkozy qui, par la voie diplomatique, a fait appeler le procureur de Géorgie quelques heures avant l’exécution en raison « des doutes réels et sérieux demeurant sur la culpabilité » en demandant l’arrêt de l’exécution qui serait « une faute irréparable ».

En revanche, Anneliese MacPhail, la mère de Mark MacPhail, le policier tué, expliquait peu avant l’exécution de Troy Davis qu’il fallait que justice soit faite et réclamait avec ferveur son exécution, rappelant que c’était elle la victime et pas le condamné à mort.

Les Américains et la peine de mort

Fers de lance de l'époque moderne, en pointe sur la démocratie et la liberté (Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776), les États-Unis apparaissent très en retard à propos de la peine de mort.

La France, qui fêtera le 9 octobre prochain le trentième anniversaire de l’abolition de la peine de mort, était, elle aussi, en retard avec des positions assez étranges des autorités (Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République, Jean Lecanuet et Alain Peyrefitte, Ministres de la Justice) qui étaient favorables au principe de l’abolition mais contre sa suppression pour raison électorale.

On peut sans doute un peu brutalement évoquer l’esprit de cow-boys qui veut qu’on se fasse justice soi-même, qu’on applique la loi du Talion et qu’on expédie rapidement les personnes hors système.

Un petit témoignage pour bien comprendre la position des Américains. Pendant plusieurs années, j’ai eu l’occasion il y a une dizaine d’années de fréquenter pour le travail une jeune collègue américaine fort sympathique. Intelligente (niveau doctorat) et sensible (elle pleurait son chat écrasé par une voiture), elle était originaire du Texas et avait travaillé dans l’État de New York (très différent) avant de vivre quelques années en France (pays qu’elle adore).

Dans mes relations personnelles, tout me laissait donc supposer chez elle de grandes nuances intellectuelles et des qualités humaines incontestables. Et nous nous amusions à polémiquer ensemble à propos de l’élection présidentielle du 7 novembre 2000. Comme la plupart des Français, j’avais mille raisons de soutenir Al Gore alors qu’elle, du Texas, était très enthousiaste pour George W. Bush. Parmi nos sujets de conversation, bien sûr, la peine de mort (sujet qui ne distingue pas les démocrates des républicaines, les deux partis étant hostiles à son abolition).

Comme ses compatriotes, elle était évidemment favorable à la peine de mort. Les raisons qu’elle évoquait étaient l’effet dissuasif (il a été démontré qu’il n’en est rien et que la plupart des meurtres sont commis sans l’intention au départ de les commettre, et donc, sans calcul réfléchi sur leurs éventuelles conséquences) et l’aspect normal : périr par là où on a fauté (comme le montre très bien André Franquin).

Mais dans la discussion, il y avait un de mes arguments qui lui avait introduit un doute dans son assurance : et si le condamné à mort était innocent ? En prison, on pourrait au moins le libérer et le réhabiliter, mais dans la tombe ?

C’était un argument qui l’avait surpris pour une raison extraordinaire : elle croyait tellement à la justice de son pays qu’elle ne pouvait pas imaginer une seule seconde qu’elle puisse se tromper ! S’il est déclaré coupable, c’est qu’un condamné à mort est forcément l’auteur du crime dont on l’a accusé. Forcément !

La justice peut se tromper

Depuis plusieurs années, cependant, les nouvelles technologies ont fait bouger quelques lignes. En effet, certains condamnés à mort se sont vus innocentés grâce à des analyses ADN et ont évité l’exécution. Hélas, d’autres ont probablement eu moins de chance et ont été exécutés malgré leur innocence. Étrangement, ce sont les républicains qui ont été les plus rapides.

Ce sont en effet des gouverneurs républicains qui ont par exemple décidé d’un (court) moratoire des exécutions pour vérifier avec les nouveaux moyens techniques que les condamnés à mort étaient bien les coupables. Cela n’a pas empêché des exécutions, comme celle de cette nuit, sans aucune preuve matérielle.

Et si l’argumentation de ne pas tuer un innocent est humainement juste, elle est politiquement très insuffisante. Personne ne peut imaginer vouloir la mort d’un innocent pris dans la nasse judiciaire, pas même les plus chauds partisans de la peine de mort. À part quelques exceptions d’État qui voudraient qu’il serait de l’intérêt général de trouver un coupable quel qu’il soit pour éviter des troubles (comportement à l’éthique très douteuse), tout le monde convient qu’il faut être sûr de la culpabilité du condamné à mort.

Or, avec les analysés des empreintes génétiques, si l’on peut innocenter certains accusés ou condamnés, pour d’autres, au contraire, on renforce leur culpabilité (il n’y a pas que des innocents parmi les condamnés, évidemment). Et on renforce le sentiment américain qu’il faut exécuter ces "coupables confirmés".

Même si la justice ne se trompe pas, le principe reste odieux

À mon sens, l’argument de la possible innocence des condamnés à mort renforce le principe de la peine de mort au contraire de l’attaquer, en raison des moyens modernes d’investigation.

C’est donc plus sur le principe même de la peine de mort qu’il faut discuter : « La vraie signification politique de la peine de mort, c’est bien qu’elle procède de l’idée que l’État a le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie. C’est par là que la peine de mort s’inscrit dans les systèmes totalitaires. » (Robert Badinter à l’Assemblée Nationale le 17 septembre 1981).

Tant que le peuple américain et, à travers lui, les États-Unis n’auront pas compris que la peine de mort était une sentence barbare digne d’un régime totalitaire, il sera hélas toujours possible que des exécutions comme celle de Troy Davis puissent se dérouler.

Honte à la justice américaine !

Heureusement, la très forte mobilisation en faveur de Troy Davis à l’intérieur même des États-Unis ainsi que l’indignation des médias après l'exécution ont montré que les choses peuvent évoluer : chaque jour, les abolitionnistes gagnent du terrain et un jour, ils triompheront.

Et pendant ce temps…

Cette même nuit du 21 au 22 septembre, Lawrence Russell Brewer, membre du Ku Klux Klan condamné pour le meurtre d’un Noir, a été exécuté par injection létale au Texas ; hier (21 septembre), Alireza Molla Soltani, un adolescent de 17 ans condamné pour un meurtre commis en juillet, a été pendu en public en Iran ; le 19 septembre, Abdul Hamid bin Hussain bin Moustafa al Fakiki, un Soudanais condamné sorcellerie sans avoir commis aucun crime, a été décapité au sabre en Arabie saoudite…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 septembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
La peine de mort expliquée par Franquin.
La première exécution de la Présidence Obama.
La peine de mort abolie en France.
Fallait-il exécuter Ali le Chimique ?
Fallait-il tuer Ben Laden ?
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