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"De bon matin" : mise à mort d'un employé modèle

Par Vierasouto


22 - 09
2011
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Pitch.
Sous l'impulsion d'une direction rajeunie, un quinquagénaire, cadre d'une banque d'affaires, se voit dépossédé de son travail, mis au placard. Incapable de le supporter, l'homme fait une dépression nerveuse.

Le film suit la trajectoire d'un homme brisé jusqu'au passage à l'acte : le meurtre. Un matin, Paul, quinquagénaire, chargé d'affaires dans une banque, arrive au bureau, abat le directeur, son adjoint, et s'enferme dans son bureau. Durant les quelques minutes où il est enfermé dans son bureau, seul, Paul pleure sur son sort, se souvient de comment il en est arrivé là. Le film démarre sur les préparatifs ordinaires de Paul au lever, la salle de bains, le costume, la cravate, un jour presque comme un autre. La banlieue déserte en été, Paul marche, le visage fermé, impassible, mais, détail sur lequel on appuie, il n'a pas pris sa voiture, il attend un autobus.

photo Films du Losange De ce bureau où il ne reste pas longtemps à Paul pour se souvenir, le film opère en flash-back avec plusieurs thèmes qui se mélangent comme dans la mémoire : la banque, la psychothérapie, la famille. Sur fonds de crise de subprimes, la banque dont Paul était le sous-directeur a vu arriver à sa tête une équipe de direction rajeunie : Alain Fisher, le directeur, et son bras droit, jeune loup sans états d'âme, Fabrice Van Listeich, qu'on présente d'abord à Paul comme un jeune cadre à former alors qu'il est destiné à prendre sa place. En cela, le canevas est exactement le même que dans le prémonitoire "Patterns" (1956) qui, lui, traite le sujet du point de vue du jeune cadre arrivant dans la société à qui l'on cache qu'il va prendre la place du sous-directeur, un homme sympa ancienne école dont la nouvelle direction veut se débarrasser. Et pour cela, exactement comme dans " De Bon matin", on va, petit à petit, déposséder cet homme de ses fonctions et prérogatives jusqu'à le conduire au désespoir (dans "Patterns", le sous-directeur s'effondre, mort, en réunion après une ultime humiliation). En effet, Paul se voit déposséder des portefeuilles de clients importants de la banque, comme les chantiers de la ville, puis, de son bureau, de son poste, il devient contrôleur de gestion surnuméraire, mais pas de son salaire car la loi l'interdit.
Ce qui est bien vu, ce sont les manières faussement cool du nouveau directeur interprété très justement par Xavier Beauvois qui a une présence forte à l'écran lui permettant de ne pas en faire trop (le couple Beauvois/Darroussin est assez exceptionnel) : Alain Fisher tutoie pour se rapprocher des employés dont il ne voit en fait que leurs performances, pas un monstre mais un gestionnaire moderne deshumanisé préoccupé exclusivement de profit, de ré-ajustement d'effectifs, d'objectifs à atteindre.
photo Films du Losange
Le film n'angélise pas Paul, dans ses souvenirs, il sait bien qu'il a été lui aussi arrogant, dur, ambitieux dans l'ancienne équipe, workaholic jusqu'à faire passer son couple, sa famille, en dernier. La femme de Paul a failli le quitter, ils se sont réconciliés autour de l'humanitaire, un voyage au Mali, l'adoption d'un jeune Malien qui était devenu un peu le second fils de la famille. Car avec son fils unique, le courant ne passe plus avec Paul, enfermé dans sa chambre, le fils interdit à son père d'y entrer. Françoise, l'épouse, est un personnage positif, incapable de comprendre la dépression nerveuse de son mari. Dans ces conditions, trop honteux d'avouer à sa femme et son fils que sa banque, centre de son existence, l'a mis sur la touche, il ne reste que ces entretiens récurrents avec un psy comme suite à un congé maladie, où Paul, furieux d'en arriver, là, laisse néanmoins poindre son désespoir, verbalise le bilan d'une vie ratée.
photo Films du Losange
 
C'est un film épuré qui lorgne un peu vers les films de Xavier Beauvois, réalisateur, décrivant comme personne l'univers du travail avec ses gestes quotidiens répétitifs, ses routines ; qui mise, à juste raison, sur la magnifique interprétation intériorisée de Jean-Pierre Darroussin qui a compris que le personnage est à double fond : sympathique parce que désespéré mais pas vraiment sympathique avant le désespoir. La fin est un peu sentimentalisée avec cette lettre à la famille, le film n'ose pas la violence brute du type qui n'en peut plus au point que toute compassion a disparu de son esprit hormis sa propre souffrance. Un film terriblement d'actualité dans notre société n'ayant conservé comme seule valeur que la quête du profit pur où la mise à mort sociale est pire qu'un assassinat à bout portant.
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Mots-clés : avant-Premières, cinéactuel, cinéma français, De Bon matin, JM Moutout

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