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Une crise dans la démocratie

Publié le 24 septembre 2011 par Copeau @Contrepoints

La crise économique actuelle vient d’une contradiction entre le temps long nécessaire à l’économie et le temps court qui est l’horizon de la politique. Les politiciens jouent constamment leurs réélections par de massives dépenses publiques. Dans toutes les démocraties occidentales, la Constitution devrait  non pas interdire le déficit budgétaire, mais instaurer un plafond de la dépense publique en fonction de la richesse nationale.

Par Guy Sorman, depuis New York, États-Unis

Une crise dans la démocratie
Il n’existe pas d’économie sans crise mais la crise présente des économies occidentales, qui entre dans sa quatrième année, est sans précédent recensé. Elle laisse les commentateurs sans voix, les économistes perplexes et les gouvernements au bord de l’hystérie. Dans les situations complexes, expliquait le logicien Occam, les hypothèses les plus simples sont les plus vraisemblables. Appliquons ce « rasoir d’Occam » à la crise : nous verrons qu’il fonctionne.

Rappelons tout d’abord qu’une crise économique n’a, en soi, rien d’anormal ni d’exceptionnel : depuis que l’Occident a inventé la croissance, la richesse par individu ne cesse en moyenne, d’augmenter, mais en dents de scie. Ces accidents de parcours ont des causes que l’on a clairement repérées et expliquées : soit l’économie subit un choc extérieur – comme la brutale augmentation du prix de l’énergie en 1973, ou la fermeture des frontières en 1930 – soit, elle est victime d’un traumatisme interne, tel l’excès de création de monnaie ou hyperinflation, ou encore une innovation qui tourne mal. Ainsi, la crise financière de 2008 fut-elle clairement provoquée par une innovation utile au départ, les dérivés financiers qui ont accru les investissements productifs, et qui a viré à la catastrophe pour la simple raison de leur usage excessif.

D’ordinaire, la croissance reprend dès l’instant où les conditions normales en sont rétablies : on rouvre les frontières après les avoir malencontreusement fermées, on purge le circuit financier de ses produits toxiques, on remplace la monnaie dévalorisée par une monnaie fiable. Ce nettoyage de l’économie est le plus souvent douloureux : des entreprises qui ne vivaient que de monopoles disparaissent, des épargnants sont ruinés, des chômeurs doivent se reconvertir. En temps de sortie de crise, le rôle essentiel des États est d’accompagner la purge de manière à réduire les souffrances humaines : telle est la fonction des assurances sociales. La purge une fois absorbée, l’économie repart à la hausse de manière spontanée : arrêtons-nous un instant sur cette spontanéité.

Les économies ne croissent que pour une seule raison qui est l’innovation : sans innovation, pas de croissance. Mais l’innovation seule ne suffit pas : il convient aussi qu’une découverte technique soit mise en œuvre par un entrepreneur. Le couple innovateur/entrepreneur (ce peut être la même personne, comme Steve Jobs ou naguère, Thomas Edison ou Louis Renault) est le socle de toute prospérité moderne. A l’évidence, en Occident, ce couple est tombé en panne : ce qui ne laisse pas d’étonner. Car jamais, nos laboratoires, en Occident, n’ont autant regorgé d’innovations : le nombre de brevets triadiques (États-Unis, Europe, Japon) n’a jamais été aussi élevé dans l’histoire de l’humanité parce que l’innovation scientifique est un phénomène cumulatif. En dehors des trois pôles cités, l’innovation reste tout à fait marginale : la Corée du Sud seule émerge mais pas encore la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil. Tout se passe donc comme si l’Occident était assis sur un trésor mais aucun entrepreneur ne se résout à ouvrir le coffre. Et cependant, les gouvernements multiplient les hochets, en particulier par des crédits à taux quasiment nuls, devenus la norme au Japon, suivi par les États-Unis et l’Europe : sans susciter le moindre frémissement.

Continuons donc à disséquer la crise avec le rasoir d’Occam. Une évidence devrait nous sauter aux yeux : les gouvernements occidentaux refusent, depuis 2008, d’appliquer à eux-mêmes les recettes dites de bonne gouvernance qui sont prodiguées aux pays pauvres. Après avoir longtemps tergiversé sur les  fondements de la pauvreté et l’origine de la richesse, les économistes sont parvenus à un quasi consensus : le développement est fonction de la qualité et de la stabilité des institutions publiques. Cette approche simple, à la Occam, a révolutionné le destin des pays pauvres ; dès l’instant où ceux-ci ont pu créer chez eux des institutions prévisibles comme une monnaie stable, des impôts modestes, des frontières ouvertes, un droit de propriété légitime, on vit du jour au lendemain décoller des pays émergents. La théorie institutionnelle du développement a été, ces trente dernières années, corroborée par l’expérience.

Sauf en Occident où l’on se refuse à s’appliquer cette même théorie : depuis 2008, tous les gouvernements rivalisent en interventions, monétaires, fiscales et sociales. Puisque la croissance ne revient pas, les gouvernements ajoutent une cuillerée de potion ou en concoctent une nouvelle. Nous sommes ainsi entrés dans une ère d’instabilité institutionnelle permanente, une surenchère thérapeutique qui interdit au patient de recouvrer la santé. Confronté à tant d’agitation, l’entrepreneur perplexe attend : comme un investissement ne peut pas  se rentabiliser dans l’année, toute politique économique de court terme ne génère qu’une passivité rationnelle. La récession sans fin, si notre hypothèse la plus simple est bien la plus vraisemblable, vient de cette contradiction entre le temps long nécessaire à l’économie et le temps court qui est l’horizon de la politique.

La récession présente oblige donc à une réflexion essentielle sur la sortie de crise en régime démocratique : comment restaurer le temps long nécessaire à l’entrepreneur quand les échéances  électorales sont brèves ? Barack Obama, par exemple, joue sa réélection sur une création massive d’emplois publics. Si son projet était appliqué, un ou deux millions d’emplois pourraient bien être créés pendant un an ou deux, conférant l’illusion d’une victoire contre le chômage. Passée l’euphorie, la dette publique obligerait à licencier tout le monde et au passage, aurait asphyxié, par l’impôt ou l’inflation, nombre d’emplois privés.

On n’en conclura pas pour autant à un dilemme de la démocratie et de l’économie, puisque la solution existe : il convient de faire sortir des champs électoraux, les institutions nécessaires à la croissance. Naguère, les gouvernements manipulaient la monnaie, maintenant, ils ne le peuvent plus ; ils ouvraient et fermaient les frontières à leur guise, maintenant celles-ci sont régies par des traités. Ce qui, à l’évidence, devrait désormais être soustrait à la controverse électorale, c’est la dépense publique. Dans toutes les démocraties occidentales, la Constitution pourrait non pas interdire le déficit budgétaire, mais instaurer un plafond de la dépense publique en fonction de la richesse nationale. La sécurité de l’euro en serait automatiquement garantie puisque seule la dette publique mine l’euro.

La non sortie de la récession semble donc n’avoir qu’une raison, non pas la dette publique mais le refus des gouvernements de s’engager à long terme sur cette dette. On objectera que des élus du peuple n’accepteront jamais de se priver du droit à la dépense ; mais on entendit le même argument contre l’indépendance des banques centrales ou le libre-échange. Si le plafonnement constitutionnel de la dépense publique n’est pas encore acceptable, c’est donc que la crise n’est pas encore comprise. Les peuples, écrivit Hayek, n’apprennent que de leurs propres erreurs. Mais ils apprennent.

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