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Sarkozy peut-il encore être candidat ?

Publié le 26 septembre 2011 par Blanchemanche
http://www.mediapart.fr/journal/france/250911/sarkozy-peut-il-encore-etre-candidat
25 SEPTEMBRE 2011 | PAR FRANÇOIS BONNET
Nicolas Sarkozy peut-il encore être candidat ? La question n'avait pas encore été posée publiquement à droite, même si elle provoque depuis des mois de nombreux conciliabules. Cette fois, la voici au centre de la place publique. Le chef de l'Etat peut-il se représenter ? Peut-il conduire une majorité avec quelque chance de l'emporter lors de la présidentielle du printemps 2012 ? Toujours subtil dans l'art du planter de couteau, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin l'a énoncé dès dimanche soir sur les télévisions : « S'il est candidat, Nicolas Sarkozy sera notre candidat. »
Tout est bien sûr dans le « si ». Car Nicolas Sarkozy se trouve aujourd'hui dans une situation tout à fait inédite sous la Ve République. La perte du Sénat par la majorité, une première depuis 1958, vient le souligner de manière spectaculaire. Enfin ! Cette alternance vient utilement, même si trop tardivement, montrer que nous sommes bien dans un régime démocratique, avec certes de dramatiques insuffisances, que nous n'avons jamais cessé de dénoncer à Mediapart. Cette Ve République, faite d'un faux présidentialisme (parce que sans contre-pouvoir), ressort plus de la monarchie républicaine, d'un bonapartisme aménagé, bref, elle organise une démocratie de faible intensité.
Le basculement du Sénat, jusque-là réservé à la droite par le biais d'un scrutin quasi censitaire (un corps électoral de 150.000 grands électeurs avec une sur-représentation des zones électorales traditionnellement conservatrices), vient soudain souligner l'usure du régime. Et, surtout, la défaite de l'hyperprésidence Sarkozy. Il y avait eu les défaites des municipales, des régionales, des cantonales. Et voilà maintenant ce qui ressemble fort à un séisme institutionnel. Pour en prendre la mesure, il suffit de se souvenir de la guerre de tranchées engagée dans les années 1980 entre le Palais du Luxembourg et la présidence de François Mitterrand.
Nous en sommes donc là : aucun président avant Nicolas Sarkozy n'a connu une telle combinaison de facteurs politiques négatifs et de dangers judiciaires. Car, il faut bien sûr le souligner : cette défaite politique intervient précisément au moment où l'Elysée se retrouve cerné par un scandale sans précédent, celui de l'affaire Karachi/Takieddine. Une affaire où se mêlent la mort de onze Français, de présumés financements occultes de campagne électorale mais aussi de possibles faits de corruption et d'enrichissement personnel qui ont perduré – par exemple via des contrats avec le dictateur libyen Kadhafi – jusqu'en 2008-2009.
Versant politique, versant judiciaire : c'est le cœur même de la Sarkozie qui semble sur le point d'être emporté. D'où une inquiétude grandissante des responsables de la droite et cette question : peut-il, doit-il y avoir une candidature alternative pour tenter d'échapper au désastre ?
La réponse se construira progressivement dans les semaines à venir. A partir d'un constat qui semble cette fois partagé : il ne reste plus grand-chose de ce qui avait fait la dynamique de victoire de Sarkozy avant et juste après 2007.
Symbole de ces difficultés présidentielles : la victoire à Paris de Pierre Charon, à la tête d'une liste dissidente contre l'avis du Président. Ce vieil ami de l'ancien maire de Neuilly, reconverti à l'Elysée en bouffon du Roi et protecteur de Carla Bruni, tant ses blagues et ses manœuvres amusèrent, fut limogé il y a quelques mois. Il n'a pas voulu l'entendre ainsi. Et il l'emporte. Comme l'emporta Patrick Devedjian au conseil général des Hauts-de-Seine, lorsqu'il s'opposa frontalement au limogeage décidé par la Sarkozie, emmenée dans ce département par les époux Balkany. Et Isabelle Balkany, après avoir été battue aux cantonales, est d'ailleurs battue ce dimanche aux sénatoriales, doublée par une liste dissidente construite contre les sarkozystes!
Il est ainsi frappant de voir combien de proches ou de ceux qui furent « fabriqués » ou promus par Nicolas Sarkozy ont aujourd'hui basculé dans l'opposition au chef de l'Etat : Rachida Dati, Rama Yade, Jean-Louis Borloo, Hervé Morin, Patrick Devedjian, Pierre Charon, Fadela Amara, Dominique Paillé... De la grande stratégie d'ouverture tant vantée par le président, il ne reste rien – à la notable exception, il est vrai, d'Eric Besson, qui n'est plus grand-chose : Jean-Pierre Jouyet fait désormais la campagne de François Hollande, et Martin Hirsch ne manque plus une occasion de dire le mal qu'il pense de cette majorité. Tandis que d'autres personnalités (Christian Blanc, Bernard Kouchner) ont sombré dans les oubliettes.
Juppé, Borloo, Villepin, Bayrou, Raffarin
Où est donc cette « dream-team » ou cette « Star-Ac » qui permit la dynamique du début de mandat de Nicolas Sarkozy ? Elle s'est dissoute, ne laissant que quelques acteurs comme Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet et Xavier Bertrand : on conviendra que l'opinion a du mal à les remarquer...
Hors Nadine Morano – qui reprend avec une conviction sincère le rôle de Frédéric Lefebvre – et Claude Guéant, le chef de l'Etat n'a donc plus de spectaculaires grognards à même de faire vibrer l'opinion. Et ses colères, régulièrement rapportées par la presse, lorsqu'il enjoint aux uns et aux autres de monter en défense de l'Elysée, viennent bien souligner cet isolement nouveau.
Isolé mais aussi cerné désormais par tous ceux qu'il avait négligés, combattus ou humiliés avant et aussitôt après son élection de 2007. Les chiraquiens sont là, tels Juppé, Baroin, Le Maire, Bachelot, certes engagés à plein dans ce gouvernement mais demeurant si ce n'est étrangers, en tous les cas distants.
Ils l'ont déjà fait ou vont le faire savoir plus bruyamment à l'occasion des développements judiciaires du scandale Karachi/Takieddine. Eux ont fait la campagne de Chirac en 1995 et n'ont donc rien à voir, vont-ils souligner, avec le système de financement occulte qui apparaît avoir été construit sur les contrats d'armement. Ils n'ont rien à voir avec ce premier cercle sarkozyste dont les chevilles ouvrières ont été durant plus de vingt ans Patrick Gaubert, Nicolas Bazire, Brice Hortefeux, Claude Guéant et qui sont, aujourd'hui, tous inquiétés à des titres divers par la justice, si ce n'est déjà mis en examen.
Soupçons de financements occultes, corruption, enrichissement, surveillance téléphonique, pressions sur la justice, trafic d'influence : il y a un an l'affaire Bettencourt avait fait surgir ses possibles délits (ils sont encore à l'instruction). Voilà que le scandale Takieddine leur donne une tout autre dimension puisqu'il aide à dévoiler, non pas seulement la seule affaire du financement de la campagne présidentielle de 1995, mais la mise en place d'un système qui pourrait avoir perduré jusqu'en 2009, comme le montrent nos nombreuses enquêtes publiées depuis le début de l'été.
La droite ne pourra pas assumer un scandale de cette ampleur qui s'ajoute à d'incessantes défaites électorales. C'est déjà l'avertissement lancé par Jean-Louis Borloo et Hervé Morin qui se disent déterminés à construire une candidature centriste restant amarrée à l'UMP. C'est aussi en ce sens qu'il faut analyser la trajectoire marginale de Dominique de Villepin, qui a décidé la semaine dernière de saborder son mouvement République solidaire, pour, dit-il, retrouver une pleine et entière liberté. Juppé, Borloo, Villepin, Bayrou, Raffarin : cette configuration fait rire aujourd'hui. Mais dans trois mois ?

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