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Mémoires de mes putains tristes (grandeur et misère du corps)

Par Borokoff

A propos de L’Apollonide – Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello 3.5 out of 5 stars

A Paris, à la fin du XIXème siècle, une maison close tenue par une « mère maquerelle » est à l’apogée de sa gloire. Mais derrière ce succès de façade, la réalité est dure et triste pour les prostituées qui y vivent et y travaillent. Quelques années plus tard, le « lupanar » menace de fermer ses portes, la faute à des loyers devenus exorbitants et à un préfet qui, tout en les tolérant (l’État ponctionne 50 à 60 % des recettes de l’établissement), ne peut rien contre la flambée de l’immobilier…

L’Apollonide – Souvenirs de la maison close est la chronique d’un monde sur le déclin et vivant en vase clos. Une époque qui s’achève. Au luxe et au faste envoûtants des soirées mondaines et libertines répondent la misère humaine et la pauvreté des prostituées sur les salaires desquels la tenancière de la maison close (Noémie Lvovsky) retient des gages parfois imaginaires.

Ce microcosme, Bonello le dépeint tel qu’il est, c’est-à-dire coupé du monde comme il l’est resté aujourd’hui. Les femmes « tapinent » depuis 1946 dans les rues (année de la fermeture des « bordels ») mais la tristesse sur leur visage n’a pas changé.

De cet âge d’or des maisons closes sous la IIIème république à leur effondrement progressif au XXème siècle, Bonello a tiré le portrait émouvant d’une communauté de femmes unies, menant une vie dure mais solidaires entre elles. Filmé depuis le point de vue de l’une d’entre elles, Clotilde (Céline Sallette), 28 ans et à la « maison » depuis 12 ans, son tableau ne manque ni d’élégance ni de profondeur dans la manière à la fois documentaire et intimiste, réaliste et poétique avec laquelle il décrit le quotidien de ces jeunes femmes somptueusement vêtues et maquillées en soirée mais vivant à côté dans une solitude et un dénuement matériel qui confinent à l’isolement.

Alice Barnole

La photographie est sublime, mais L’Apollonide – Souvenirs de la maison close n’est pas qu’une galerie de portraits superbement filmés. Ce n’est pas non plus une suite de poses lascives comme on pourrait le croire. Non, le cinquième film de Bonello est plus profond. Très bien documenté, il peut être interprété de plusieurs façons (politique notamment avec la manière dont ces femmes sont traitées comme des esclaves par les hommes) mais c’est d’abord la peinture intimiste d’un groupe de femmes dont Bonello observe avec attention, presque avec attachement, les états d’âmes.

Il y a comme de la mélancolie dans leurs yeux, une tristesse profonde qui les relie dans leur parcours et plus tard leur déchéance, le mépris avec lequel elles seront traitées par les hommes. Clotilde tombe amoureuse d’un bourgeois qui ne peut s’accommoder d’une « seule putain » car il s’ennuie avec elle. L’Italienne Julie, dont est tombé amoureux un vieil aristocrate qui plus tard l’abandonnera sans classe, est atteinte de la syphilis, l’Algérienne Samira (Hafsia Herzi) est achetée par un homme très riche, etc…

Mais L’Apollonide – Souvenirs de la maison close est d’abord l’histoire d’une femme, Madeleine (Alice Barnol), surnommée « La Juive ». C’était autrefois la plus belle des prostituées, mais un client psychopate la défigura à vie en lui déchirant les joues au couteau. Le film s’ouvre sur un cauchemar justement prémonitoire que Madeleine raconte à ce client. Son personnage hante le film comme un fantôme malade, le spectre de toutes ces femmes au regard absent, sortes de « paumées magnifiques » qui errent dans cette maison close comme dans une maison des morts. Madeleine, un peu comme la Vénus hottentote et de manière tout aussi malsaine, deviendra une « freak », la créature monstrueuse fétiche des soirées parisiennes.

Ce drame que Madeleine a vécu et qui a brisé sa vie, elle le ressasse et le revit inlassablement. On pense à Jean Eustache et à Une sale histoire (1977). Et pour son imaginaire, la beauté plastique et picturale de sa dernière scène, on se prend à rêver de retourner voir cette séduisanteApollonide – Souvenirs de la maison close. Déjà…

www.youtube.com/watch?v=Yjx5Xx18UBA

Film français de Bertrand Bonello avec Hafsia Herzi, Céline Sallette, Jasmine Trinca… (02 h 05)

Scénario : 3.5 out of 5 stars

Mise en scène : 3.5 out of 5 stars

Acteurs : 4 out of 5 stars

Dialogues : 3.5 out of 5 stars


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