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Le souffleur (16)

Publié le 25 février 2008 par Vincent

Je me suis réveillé dans la blancheur de la page. Pour seule nuit – des signes qui s’étendaient horizontalement et verticalement à l’infini sans jamais se croiser. Je me suis surpris à rêver d’un soleil pour mettre en mouvement tous ces caractères. Puis je suis revenu à la réalité – j’étais toujours coincé et à la différence du paradis des songes, je n’avais pas encore compris comment l’on sortait. Devais-je transformer un mot en radeau pour m’évader ?  C’est à ce moment que j’ai entendu du bruit au dessus de moi. Il y avait quelqu’un qui s’approchait. J’ai regardé en l’air et j’ai vu que tout en haut les mots disparaissaient un par un. Mon premier réflexe a été de sauter sur le U juste en dessous. Puis je me suis dit : à quoi bon si c’est pour retarder d’une ligne ou deux l’échéance ? J’ai attendu, attendu, attendu. La menace se précisait sous la forme d’un vent qui s’avançait inexorablement. Et puis il est arrivé. Le souffleur de mots.

Il s’est présenté à moi – c’est comme cela que j’ai appris qui il était. Sa fonction était de ressusciter les bribes du monde qui s’étaient cristallisé en mots. Pour m’être agréable, il m’a fait une démonstration de son art. Il a d’abord soufflé sur le mot silence. Le mot a disparu et évidemment rien n’est apparu car qui a jamais vu le silence ? Ceci dit, au moment d’en rire, je me suis aperçu qu’aucun son ne sortait de ma bouche. Quel étrange situation que celle d’être au milieu de plein de mots et de ne pas pouvoir en dire un seul. On  a mis du temps à trouver le mot bruit mais on a fini par le rencontrer. J’ai fait signe au souffleur de mots de le délivrer, ce qu’il a fait mais ce n’était pas une bonne idée car aussitôt régna dans la page un vacarme assourdissant. Le souffleur de mots rétablit la situation en soufflant un nouveau silence suivi de parole.

On a joué longtemps à souffler les mots. C’est comme cela que sont successivement apparus une autruche (qui s’est cassé la figure sur le mot cristal ! Qu’est-ce qu’on a pu rire !), un navire, un bâton, une tour, une symphonie, un parfum

Et puis le souffleur de mots m’a regardé, l’air gêné. Je ne suis pas prêt d’oublier la tristesse qu’il y avait dans ses yeux quand il m’a soufflé et que j’ai disparu.


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