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La zone du dehors (Damasio)

Publié le 25 février 2008 par Vincent

3675b0a84570820c10555117230e8e07.jpgDisons-le d'emblée une lecture saine. Et d'ailleurs, ajoutons tout de suite, ce livre n'est pas un livre de science fiction (si bien entendu par science fiction, on entend vaisseaux spatiaux, petits hommes verts ou que sais-je encore mais bon, là on est dans la caricature, le préjugé). Mis à part que l'action se déroule non loin de Saturne, dans le futur (2084, date dont le choix est orwellien, bien sûr), tout le reste est bien loin du divertissement science-fictionnesque (à supposer que la science-fiction soit un divertissement mais on en parlera une autre fois si vous voulez bien).

Commençons par une piqûre de rappel. Platon, antidémocrate virulent et élitiste à souhait, remarquait dans sa Républiqueque toute démocratie se renversait un jour ou l'autre en tyrannie.  On aurait pu croire que c'était normal que Platon dise cela vu qu'il n'était pas démocrate. Tocqueville, démocrate, en observant la jeune démocratie américaine parvient au même type de conclusion: si l'on n'est pas vigilant, la démocratie peut devenir un despotisme soft (d'où la nécessité de contre-pouvoirs mais qui évidemment supposent un peuple intelligent, capable de s'affranchir de toute manipulation médiatique, pour faire entendre sa voix) . Deux personnes aussi différentes dans leur principe de départ qui arrivent à la même conclusion, cela ne peut être un hasard, il y a une vérité à prendre.

Le livre de Damasio nous remet en présence de cette vérité non sans l'adapter aux spécificités actuelles et à venir (apparaissent ainsi la télé réalité, les sondages ...etc.). Je ne vous cacherai pas que l'action est lente (surtout pendant la première moitié du livre) et que le style peut rebuter au premier abord. La Zone du dehors fourmille de jeux de mots (et quel plaisir soit dit entre parenthèses qu'un tel livre ait écrit en français), d'allusions philosophiques au dessus desquels on peut se permettre de passer - mais on se prive alors de comprendre tout l'arrière-fond philosophique de l'ouvrage. Des exemples parmi tant d'autres: Deviens ce que tu hais, reprise euphonique mais modifiée de la célèbre formule de Nietzsche: Deviens ce que tu es. Ou encore: Change l'ordre du monde plutôt que tes désirsqui est l'inversion de la formule de Descartes (qui lui  considérait qu'il était plus simple de changer ses désirs que l'ordre du monde dans la droite ligne de la tradition stoïcienne). Il y aussi le boulevard Bentham qui est une allusion au fondateur du panoptique qu'on retrouvera dans Le Cerclon. On pense  beaucoup à Tocqueville, Michel Foucault, Deleuze, Machiavel et Nietzsche.

Pour Tocqueville, on pourrait rapprocher cette phrase du livre: "Que l'exercice du pouvoir se fasse léger et imperceptible, qu'il ne se répande plus en ostentations et en démonstrations criardes, voilà ce que mes prédécesseurs et moi-même avons toujours souhaité " de celle-là de Tocqueville: "(le souverain) ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger". Et pour Machiavel, on pourrait comparer cette phrase de Damasio : "Que nous importe ce que fait Capt ou Kamio ou Slift (trois personnages en résistance contre le régime) si la masse statistique obéit de toute façon aux prévisions ?" à celle là du Prince: "Le vulgaire est toujours séduit par l'apparence et par l'évènement: et le vulgaire ne fait-il pas le monde ? Le petit nombre n'est écouté que lorsque le plus grand ne sait quel parti prendre ni sur quoi asseoir son jugement". N'oublions  pas enfin parmi les références sous-entendues  le théoricien de l'anarchisme Bakounine qui disait du suffrage universel qu'il était un "leurre", ce qui prend une singulière résonance à une époque où les sondages précédant les élections influencent l'opinion et font l'élection. 

J'arrête là la liste mais bien entendu il y a beaucoup d'allusions directes et indirectes à tous ces philosophes qui d'une manière ou d'une autre ont pensé la chose politique. Je me répète mais je pourrais dire de Damasio ce que je disais de Whittemore: il n'est pas important de les connaître mais juste de se laisser porter par l'écriture qui joue perpétuellement avec les mots et les concepts au risque de rebuter mais également au détour de certaines pages d'enchanter par des formules incisives bien trouvées. Je n'en dirais pas plus sur l'histoire, je vous laisse le soin de la découvrir ou de regarder la fiche sur Le Cafard cosmique ou d'écouter l'émission correspondant à l'oeuvre de La salle 101. Ce qui est sûr c'est que je suis content d'avoir pris le risque d'acheter le livre en grand format. Cette chronique achevée, je vais pouvoir le ranger dans ma bibliothèque en me disant que je le relirai sans doute un jour (ce que je ne me dis pas pour tous les livres de ma bibliothèque).  


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