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Leçon marocaine en Arabie saoudite

Publié le 27 septembre 2011 par Gonzo

Les Saoudiennes sont désormais des citoyennes presque comme les autres puisqu’elles pourront participer aux élections municipales de… 2015. Il leur reste tout de même deux ou trois petites choses sur la voie de l’émancipation : le droit de conduire une voiture par exemple, ou encore de voyager sans un kafîl, un “garant” (mâle), à leur côté. Désireuse de redonner quelques couleurs à un allié dont l’image à l’étranger n’est pas améliorée par son rôle de “briseur de révolution arabe” (accueil du président Ben Ali, regrets manifestes après la chute de Moubarak, soutien au président Saleh au Yémen en dépit de l’importance des manifestations populaires et surtout intervention militaire au Bahreïn…), la diplomatie des USA n’est probablement pas totalement étrangère à cette décision. Bien entendu, le roi Abdallah affirme le contraire, et il est vrai qu’un certain nombre de signes traduisent une évolution favorable de la condition féminine dans nombre de pays de la Péninsule arabe. (Voir ce précédent billet, écrit en mai 2009, et qui attend une suite depuis des mois !)

Parmi toutes les voix qui se félicitent de cette décision, on note, en France, celle de Rachida Dati, qui parle d’une “décision historique“. L’ancienne ministre, aujourd’hui euro-député UMP, s’exprime sans doute sur cette question en tant que femme, mais aussi au nom de ses origines familiales. Car le Maroc reconnaît le droit de vote aux femmes depuis 1963 (1952 pour le Liban, 1946 pour Djibouti : autres données disponibles en suivant ce lien). En contrepoint des déclarations de celle qui aurait souhaité naguère prendre la tête de l’Institut du monde arabe à Paris, l’article publié il y a deux jours dans Al-Quds al-’arabi par Madawi Al-Racheed, universitaire “originaire de la Péninsule arabe” comme elle aime à signer pour ne pas avoir à user du nom du seul État dans le monde “baptisé” (si l’on ose dire !) d’un patronyme familial, apporte un autre éclairage sur la situation de la femme saoudienne, précisément à la lumière de l’expérience marocaine.

L’article s’ouvre sur le rappel de la polémique qu’a connue le Royaume d’Arabie saoudite lorsque la commission pour l’accueil de la main-d’œuvre étrangère a autorisé l’emploi de domestiques marocaines, souvent de “mauvaise réputation” dans l’opinion locale [voir notamment ici ou encore là]. Dans ce contexte, des Saoudiennes bien intentionnées ont voulu prendre leur défense, tantôt en faisant état de leur propre expérience avec ce type de personnel, tantôt en soulignant que les qualités esthétiques universellement reconnues des femmes saoudiennes font qu’elles n’ont rien à craindre d’éventuelles rivales !

Pour Madawi Al-Rasheed, la médiocrité intellectuelle d’un tel débat a le mérite de mettre en évidence le mode de fonctionnement de la société saoudienne où hommes et femmes s’accordent en définitive à juger de la valeur d’une femme comme un vulgaire bien de consommation. En se libérant, pour certaines d’entre elles, des charges domestiques grâce à la richesse pétrolière du pays, les femmes saoudiennes ont perdu leur rôle dans leur foyer où elles sont désormais remplacées par leur domesticité mais sans arriver pour autant à trouver leur place dans le secteur économique (elles ne représentent que 12 % de la main-d’œuvre locale, un des taux les plus faibles au monde). Et la situation n’est pas meilleure sur le plan politique…

Si la venue de ces employés de maison fait l’objet de tels débats, c’est que l’institution du mariage est en crise pour des raisons à la fois économiques et sociales [voir à sujet notre série Du mariage et du divorce dans le monde arabe, en septembre 2009]. Dans ce contexte, la femme saoudienne tente pitoyablement de retrouver – y compris à ses propres yeux – sa valeur en tant que bien désirable sur un marché hautement concurrentiel du fait de la présence de nouvelles venues du monde entier.

Ces débats qui ont rempli les pages de la presse locale auraient été mieux inspirés, toujours selon Madawi Al-Rasheed, s’ils avaient mentionné les femmes marocaines pour faire état de leurs combats qui ont ainsi permis des avancées importantes notamment sur le plan juridique avec le code du statut personnel (Moudawana) et plus largement politique, depuis les luttes au temps de l’indépendance jusqu’aux femmes qui militent dans les partis politiques et les associations de la société civile. A la différence des Saoudiennes, le combat des femmes marocaines leur a permis d’affirmer leur existence au sein de la nation en tant que maîtresses de maison, travailleuses, intellectuelles, travailleuses émigrées…

En prenant leur défense de cette manière, les Saoudiennes révèlent surtout l’étendue de leurs problèmes vis-à-vis de Marocaines qui ont su imposer chez elles la reconnaissance de droits dont la femme saoudienne rêve encore. Comment expliquer une telle différence entre leurs situations respectives ? Certains ont invoqué le Wahhabisme, d’autres les traditions tribales de la société saoudienne. Pourtant, des millions de musulmans montrent que leur religion n’implique pas la marginalisation de la femme. Quant au facteur tribal, on le retrouve dans bien d’autres sociétés. En réalité, deux facteurs expliquent la persistance de la marginalisation que subit la femme saoudienne dans sa société : l’économie pétrolière qui ne lui a pas donné de place en tant que travailleuse, et la politique de l’État qui considère que la réclusion des femmes est partie intégrante de sa légitimité religieuse.

Aujourd’hui, les femmes sont devenues l’enjeu de rivalités politiques entre les partisans des anciennes formes de légitimité et ceux qui soutiennent un projet de modernisation. Si les Saoudiennes veulent aller de l’avant, il faut qu’elles commencent par lancer une lutte féminine qui soit étroitement associée à la libération également de l’homme saoudien. Et pour cela, elles feraient bien de s’inspirer des luttes des Marocaines !

Quel écho cette “leçon marocaine” peut-elle trouver dans les pays pétroliers du Golfe et en Arabie saoudite en particulier ? Très peu sans doute du côté des actuelles maîtresses de maison en proie à leurs soucis domestiques… Mais peu importe en définitive. En revanche, on aimerait  mieux savoir comment les générations montantes voient les choses…


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