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Jean d’Ormesson, homme de conservation et de conversation

Publié le 30 septembre 2011 par Frontere

Jean d’Ormesson, homme de conservation et de conversationLa conversation à la française un genre élevé au rang d'un art. Elle évoque l'époque des salons mondains et littéraires. Parmi les écrivains contemporains l'un de ses meilleurs représentants est l'académicien Jean d'Ormesson (sa conversation avec Emmanuel Berl¹  est une petite merveille), il n'est pas progressiste, c'est un homme de tradition et de conservation, il appartient à une lignée dont le modèle reste Valéry Giscard d'Estaing. Mais il faut reconnaître qu'il a du talent le bougre.

Ainsi « La Conversation» publié chez Héloïse d'Ormesson (restons en famille!). Une conversation entre Bonaparte, le corse, et Jean-Jacques Régis de Cambacérès, le montpelliérain, respectivement premier et deuxième consul. Nous sommes au début de l'hiver 1803-1804. Bonaparte vient de mettre fin à dix années de désordres et au Directoire. Sa popularité auprès des Français est immense. Politiquement, il entend se situer à équidistance des Bourbons et des Jacobins. Il ne veut ni de l'hérédité monarchique des premiers, ni du nivellement démocratique des seconds.

S'il retient un soir  Cambacérès c'est qu'il veut tester auprès de cet éminent juriste, à qui on doit entre autres le Code civil, et faire légitimer par lui, l'idée de proclamer l'Empire ; Bonaparte sera le successeur de Charlemagne, pas celui de Louis XVI. Pour mettre définitivement un terme au retour possible des Bourbons et lever cette hypothèque il fera enlever dans le duché de Bade le duc d'Enghien dont le corps criblé de balles tombera dans les fossés du château de Vincennes. Chateaubriand dans les Mémoires d'Outre-tombe écrira ses plus belles pages pour condamner cette infamie, un homme coupable uniquement parce que du sang bleu coulait dans ses veines.

Cambacérès est un authentique républicain qui a voté la mort du roi - "avec réserves" ajoute cruellement d'Ormesson - il doit sa position à Bonaparte et à Sieyès. Dans cette conversation il sert de faire-valoir à Bonaparte car si l'auteur fait dire au premier consul des propos qu'il a réellement tenus, comme : « Les gens de lettre qui ont réussi se croient le centre du monde » (autoportrait de Jean d'Ormesson?) ou : « Je ne veux en France ni jacobins ni royalistes. Je ne connais plus de partis [...] Je ne suis d'aucune coterie »², il invente entièrement les phrases de Cambacérès, bref les protagonistes ne sont pas au même niveau...

Et, surtout à la fin du livre, Cambacérès finit par tomber dans les travers de la flagornerie. Il faudrait vérifier dans la biographie que lui a consacrée Laurence Chatel de Brancion³ les traits de sa personnalité. Cependant cet échange est brillant, l'écriture y est incisive et nerveuse grâce à des phrases courtes, le style coupé du XVIIIe siècle, Jean d'Ormesson est égal à lui-même, ce qui le place au plus haut, dans ce livre savoureux malgré la gravité de son propos.

(Jean d'Ormesson, La Conversation, éditions Héloïse d'Ormesson, 2011, 15 €)

Post-scriptum : dans le même genre, la forme dialoguée, je vous recommande aussi L'un de nous deux de Jean-Noël Jeanneney paru aux éditions « Portaparole »

Notes

¹ Emmanuel Berl, Jean d'Ormesson, Tant que vous penserez à moi, éditions Grasset & Fasquelle, 1992
² phrase qui se souvient de Saint-Just : « Je ne suis d'aucune faction, je les combattrai toutes » (Discours pour la défense de Robespierre)
³ Laurence Chatel de Brancion, Cambacérès, Maître d'oeuvre de Napoléon, Perrin, 2001


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