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Eric Heyer : « Réduire le déficit public en augmentant le déficit d’emplois »

Publié le 07 octobre 2011 par Delits

En cette rentrée, les Français affichent un pessimisme record à l’égard de leur situation économique. La dernière vague du baromètre Ipsos The Economic Pulse of the World, qui mesure la perception de la situation économique dans 24 pays, révèle que les Français sont sur ce point parmi les plus pessimistes au monde. A peine 8% d’entre eux considèrent que la situation économique du pays est bonne (contre plus de 70% de cet avis en Suède, au Canada ou en Allemagne par exemple) et seulement 3% – le score le plus bas des 24 pays testés – estiment que la situation va s’améliorer dans les 6 prochains mois.

Délits d’Opinion a rencontré Eric Heyer, Directeur adjoint au Département analyse et prévision, pour recueillir son analyse sur cette situation.

Délits d’Opinion : Quel est votre sentiment à l’égard de ce fort pessimisme : la situation économique vous parait-elle également si grave ?

Eric Heyer : Dans l’absolu oui, la situation économique est grave. On voit qu’on n’est pas encore sorti de cette crise économique : on continue à produire moins qu’on ne produisait avant la crise. Le progrès technique faisant toujours augmenter la productivité, on a besoin de moins de personnes pour produire, l’emploi est en berne et le chômage est donc en hausse.

Comme ce phénomène dure depuis plus de deux ans, on constate une explosion du chômage de longue durée. On pourrait consider que la situation n’a pas changé puisque ces personnes étaient au chômage il y a deux ans et qu’elles le sont toujours actuellement. Mais de fait la situation se dégrade, très fortement : lorsque vous restez au chômage longtemps, votre probabilité de revenir à l’emploi s’amenuise, vous tombez de l’assurance chômage aux minima sociaux. Ce dernier saut provoque dans beaucoup de cas le passage à la pauvreté. On voit que la pauvreté, selon les derniers chiffres qui viennent de sortir, a augmenté en 2009. Malheureusement, la vraie progression de la pauvreté est à attendre en 2010, puisqu’en 2009 l’assurance chômage permettait de limiter tout de même ce passage. Ce filet social n’existe plus pour beaucoup de Français.

Nous sommes ainsi dans ce cas de figure où la croissance ne repart pas, la probabilité de revenir à l’emploi s’amenuise et la pauvreté augmente. C’est la situation la plus catastrophique qui puisse être. Même si le pouvoir d’achat moyen augmente, parce qu’il augmente dans les plus hautes catégories, le pouvoir d’achat médian est plutôt en baisse. Si on rajoute à cela un caractère très anxiogène des faillites potentielles des Etats et de l’Etat français, on se dit si on est chômeur : « je suis chômeur, ma probabilité de retrouver un emploi est très faible car la croissance ne repart pas, en plus on m’explique que l’Etat n’a plus les moyens de m’aider ». Conclusion : on a effectivement l’impression d’une situation inextricable, d’où ce fort pessimiste.

Ce qui est plus étonnant c’est que les Français sont plus pessimistes que leurs homogues européens alors que si on regarde les chiffres en relatifs, la situation des Français est moins périlleuse que la situation d’un européen moyen. La crise est en effet un peu moins forte en France qu’elle ne l’est en Europe, la protection sociale est un peu plus élevée en France qu’ailleurs et donc du coup c’est plutôt l’élément relatif qui est étonnant que l’élément absolu. Cet élément relatif n’est cependant pas nouveau : il est courant de voir que les Français sont les plus pessimistes parmi les européens. Ce qui peut sembler curieux c’est que la France est également le pays qui fait le plus d’enfants, or très souvent c’est corrélé avec un certain optimisme. Les Français se déclarent pessimistes mais finalement le sont-ils autant qu’ils le déclarent ?

Délits d’Opinion : Pensez-vous que la montée en puissance de la campagne présidentielle peut clarifier certaines inquiétudes concernant les grands enjeux économiques ?

Eric Heyer : Les questions économiques seront au cœur de la campagne. Je pense qu’entre les deux principaux candidats, le candidat PS et UMP, la ligne de fracture ne sera pas très forte. Les deux n’auront de cesse de répéter que la priorité n°1 sera de réduire les déficits. Pourtant les Français ont l’habitude de mettre en n°1 le pouvoir d’achat et l’emploi. Il risque donc d’y avoir tout de même une différence entre l’objectif prioritaire des deux candidats principaux et celui des Français. Il pourrait donc ici se trouver une grande fracture dont pourrait profiter les candidats périphériques. Les candidats du FN et du Front de Gauche insisteront sur d’autres priorités. Si le débat classique reste entre l’UMP et le PS, on ne clarifiera pas les grands enjeux : on restera sur « on n’a pas le choix », « il faut » réduire les déficits avant tout, ensuite on s’attaquera aux problèmes du chômage. Sauf à être très fort dans leur persuasion, les deux grands partis risquent d’être en décalage important avec les attentes des Français.

Délits d’Opinion : 54% des Français estiment que la dette française constitue « un problème très grave qu’il faut traiter sans attendre quitte à prendre des mesures douloureuses et difficiles ». Pensez-vous que le plan d’austérité présenté il y a quelques jours est à la hauteur de l’enjeu ?

Eric Heyer : Le plan d’austérité qui vient d’être présenté, le deuxième plan en fait, permettrait à la France de respecter ses engagements vis-à-vis de la Commission européenne. Avec cette programmation annuelle, le plan annoncé ne fait que compenser le manque de croissance qu’il va y avoir et va ainsi combler à peu près le déficit annoncé.

Mais cette stratégie est dangereuse : le Gouvernement a mis en place ce nouveau plan d’économie car il a révisé ses prévisions de croissance, celles-ci ont été révisées parce que le plan d’austérité initial mis en place avant était trop douloureux : on ne pouvait pas faire 2.25 % de croissance avec ce plan d’austérité. Le gouvernement fait donc l’hypothèse d’une croissance à 1.75%, donc il remet un nouveau plan d’austérité pour combler le manque à gagner fiscal, qui aura à son tour un impact négatif sur la croissance…. au bout du compte on arrivera pas à nos objectifs de déficit à 4,5 points de PIB sauf à refaire à nouveau un plan d’austérité … Au-delà, c’est la logique d’ensemble qui n’est pas bonne. On est dans une course-poursuite et clairement c’est le serpent qui se mord la queue, à un coup, en outre, extraordinaire en termes de déficit d’emplois. On va effectivement parvenir à réduire le déficit public mais en augmentant le déficit d’emplois. Ca va se payer très cher en termes d’augmentation du chômage et d’augmentation de la pauvreté. La dette est certes un problème, mais le chômage en est un autre : on ne regarde que l’un en faisant fi du second.

Au final, je pense qu’on s’est trompé de logique : on est passé de 2.25 à 1.75, il va donc manquer 10 milliards, on fait donc un plan sur 10 milliards. Soit c’est indolore, ce qui signifie que ces 10 milliards constituaient un gaspillage complet, il fallait donc le faire bien avant cette situation de crise. Mais ce plan contient l’augmentation de la CSG, de certains prix : l’effet ne sera donc pas nul. Cela aura donc un impact sur la croissance, du coup ce n’est pas 10 milliards qu’il faudra trouver mais un peu plus.

Délits d’Opinion : Vous anticipez sur ma prochaine question : est sorti récemment le rapport de l’IGF qui met en avant un certain nombre de mesures et de niches qui ne servaient pas forcément à grand-chose. On peut aussi évoquer le détricotage de la loi TEPA, première grande mesure de Nicolas Sarkozy, qui constitue un poids considérable sur les finances publiques pour un effet au mieux peu évident : tout cela peut constituer des mesures qui peuvent réduire les dépenses sans casser la croissance ?

Eric Heyer : Oui, tout à fait, c’est ce qui aurait dû être fait depuis un moment. Le plus étonnant c’est le calendrier : on fait des annonces pour expliquer qu’il faut économiser, quelques temps après sort un rapport qui décrit les niches inefficaces… En toute logique aurait dû tout d’abord sortir ce rapport qui met en évidence des mesures au multiplicateur nul, voire négatif : supprimons-les ! Du coup on peut penser qu’il y a des dépenses publiques en France qui sont inefficaces. Typiquement les heures supplémentaires, en période de croissance économique et de chômage c’est très bien. En période de récession ou d’augmentation du chômage, c’est très mauvais. Ces 4.5 milliards, non seulement il ne fallait pas les mettre mais si vous les retirez, vous économisez beaucoup plus de 4.5 milliards : car sans cette mesure, vous avez plus de créations d’emplois, de recettes fiscales etc. Cela aurait été bien plus intelligent, de mon point de vue, que le Gouvernement remette tout à plat en ciblant les mesures qui fonctionnent dans une conjoncture élevée et celles qui fonctionnent dans une conjoncture basse. Cela aurait été beaucoup plus clair.

Délits d’Opinion : Plusieurs parlementaires de la majorité se sont prononcés pour rabaisser le seuil de revenus des ménages les plus aisés soumis à un impôt exceptionnel, quitte à créer de facto une nouvelle tranche fiscale : pensez-vous l’idée pertinente ?

Eric Heyer : Oui et non. Je pense que l’impôt doit être progressif : plus vous gagnez, plus votre taux augmente. Qu’on crée en période de crise un nouveau taux, pourquoi pas…

A l’heure actuelle le taux progressif existe déjà, le problème c’est qu’il y a tellement de niches fiscales, de possibilités d’échapper à l’impôt que vous pouvez très bien créer un impôt supplémentaire, si vous laissez l’ensemble de ces niches qui permettent une optimisation pour les riches, vous ne verrez pas ce nouvel impôt en taux effectif. Il s’agira d’un taux théorique. On voit bien qu’une autre façon de faire c’est de plafonner l’optimisation possible. Créer un seuil supplémentaire en laissant les niches à côté ne sert à rien. Au final, l’idée paraît assez séduisante effectivement mais on a eu de cesse en France depuis 10 ans de réduire cet impôt sur le revenu et de mettre plutôt des tax flat, de façon à ce que tout le monde paye le même taux. Revenons vers plus de progressivité, avec notamment une lutte contre l’optimisation fiscale qui permettrait d’éviter que les plus riches aient un taux d’imposition plus faible que les personnes qui gagnent moins.

Par ailleurs, il faudrait essayer de prendre en ligne de compte les revenus du capital et le patrimoine.

Propos recueillis par Olivier.


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