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Un beau Goncourt possible… Rencontre avec Lyonel Trouillot, pour La belle amour humaine

Publié le 02 octobre 2011 par Mademoiselledupetitbois @MlleduPetitBois

Pour une fois : un auteur français, et un prix littéraire. Je vous gâte… Je m’écarte de ma ligne de conduite habituelle, mais la liste des sélectionnés au Goncourt vient de sortir et, ô merveille, le livre de Lyonel Trouillot y figure ! Belle, très belle surprise (que j’avais gardée par-devers moi). D’autant que je me souviens avoir observé le haussement d’épaules cynique et/ou blasé d’un confrère à entendre le titre : « La belle amour humaine… Pfff. » Suivi d’un disgracieux petit rire de gorge. Ouh, comme je savoure la présence de ce livre au Goncourt ! Car voilà un écrivain éminemment intéressant, intelligent et généreux, pas cynique pour un sou, avec qui je me suis entretenue sur son livre en juin dernier à Paris.

Un beau Goncourt possible… Rencontre avec Lyonel Trouillot, pour La belle amour humaine

Du réalisme magique, dans un style simple et magnifique

Dans un style aussi léché que limpide, le roman parle, en peu de pages savamment construites, ni plus ni moins de l’Humanité avec un grand H. Et elle n’est pas si belle que ça chez Lyonel Trouillot, qui entre deux paroles sensées et une bouffée de cigarette, glousse comme un gamin qui dirait des bêtises. Dans sa fable moderne, Anaïse, jeune étudiante occidentale, se rend de Port-au-Prince à Anse-à-Foleur, village côtier à quelques heures de la capitale, sur les traces de l’histoire paternelle. Dans ce paradis perdu vit une communauté paisible, où pêche et silence rythment les journées, et où personne ne semble savoir comment ni pourquoi s’est déclaré l’incendie qui a tué les deux retraités, un général et un commerçant. Sur la route, Anaïse questionne Thomas, son guide taxi. Disert, l’homme raconte, et nous embarque dans ce récit qui d’abord enchante, captive, puis devient moins confortable…

Cette écriture est trempée dans une encre humaniste et réaliste à la fois, séchée sous le soleil intense d’une vie de joies et de violences. Où on lit ceci : « De nos jours les choses vont si mal, même les illusions ne sont plus ce qu’elles étaient. » Mais aussi cela : « Et la terre qui t’appartient, c’est celle où tu plantes tes rêves. » C’est bien le défi de ce livre, qui pour l’écrivain revient à « être réaliste sans être cynique. Mais la définition stricte de la réalité n’interdit pas le rêve, et ça passe par le regard ».

Pas question de revenir sur les calamités que vit son île depuis janvier 2010 : le tremblement de terre, le choléra… « “Haïti année zéro”… ça n’a aucun sens ! Ce sont les structures qui font l’éternité d’un pays, et c’est ça qu’il faut changer. Quand je vois tous ces gens qui veulent aider, ils ne comprennent pas que tremblement de terre ou pas, ce qu’il faut changer dans ce pays c’est la structure sociale. Dans ce livre il y a pour moi, à travers deux personnages, la figuration des oligarchies qui dirigent Haïti, totalement méprisantes de la culture populaire, du pays. Cette élite du bord de mer qui ne fait qu’importer/exporter. Qui accapare par la corruption les biens de l’Etat. »

Politique, ce livre ? Disons encore réaliste, à travers une fable où les personnages sont ou bons, ou mauvais. « Je viens d’une société fondée sur l’inégalité entre les êtres, où certains personnages ne sont pas amendables. La bonté et la méchanceté, ça existe encore ! Il y a des pratiques et des structures sociales qui produisent du bonheur, et d’autres du malheur. J’ai voulu les opposer. Mais il n’y a pas d’angélisme dans le livre. » On n’est pas chez Disney… On se situe plutôt du côté du réalisme merveilleux à la Garcia-Marquez.

Avec une question clé : « que peut-on faire de sa présence au monde ? Les gens oublient de se poser la question. Ils sont sortis du paysage, comme si les territoires de beauté ne les touchaient plus. J’ai voulu donc écrire un livre un peu rêveur : et si on faisait ça… Et si on pouvait s’entendre sur la production d’un peu de bonheur… Même si je parle de la réalité telle que je la vois, où domine l’appropriation du monde pour soi seul. »

Un beau Goncourt possible… Rencontre avec Lyonel Trouillot, pour La belle amour humaine

Rêveur et réaliste : c'est possible ? Oui.

Et puis, en offrant une cigarette, il confie son désappointement indigné vis-à-vis d’une sorte « d’abattement généralisé face à l’inégalité. J’ai l’impression que plus rien n’est insupportable, qu’on ne sait plus ce qui est souhaitable. Ailleurs, on ne peut pas se permettre ce luxe. On m’a demandé un jour “contre quoi peut-on encore se révolter aujourd’hui ?“ La question elle-même est révoltante, et elle ne pouvait être posée qu’en Occident ! »

Et il éclate de rire. Dans le livre, son regard est aussi drôle qu’impitoyable envers ces Occidentaux qui évoluent à l’étranger, touristes comme humanitaires. « Ce sont des gens que j’ai rencontrés… Souvent ils se déplacent, mais ne vont pas vers l’autre. Ils prennent le monde pour leur territoire. Ecouter, c’est pourtant fondamental. L’autre, et soi-même. Mais tant de gens n’ont pas ce souci-là. Moi à Paris je me fiche de la tour Eiffel, je veux rencontrer des Français ! Et quand on sait comment s’organisent les fonctionnaires de l’humanitaire… Ils vivent à l’intérieur de colonies supérieurement coupées des populations qu’ils sont censés aider. »

Lyonel Trouillot n’a jamais quitté sa ville, Port-au-Prince, où il puise son inspiration. Dans certaines pages, les sons de la capitale, son atmosphère, y sont rendus de façon éblouissante. « J’ai assisté à la transformation de la ville, sans jamais la fuir. Elle était conçue pour 200 000 habitants, il y en a maintenant trois millions. Ma mère me dit souvent “où tu es allé chercher ça ? Ce n’est pas ma ville…!” Mais elle change, cette ville, et je suis fier de l’avoir choisie. »

Sa mère, qui disait : « Il a toujours été un menteur ce garçon ! » C’est précisément ce que disait le père de Gabriel Garcia-Marquez… Est écrit dans le livre : « On commence par ses parents »« C’est vrai, on commence par ce qui nous précède, et ils sont les premiers sur la liste ! Certaines personnes n’ont jamais pu sortir de l’enfermement parental. Il y a souvent des choses à rejeter chez les parents… J’ai pour ma part été un mauvais garçon très tôt ! »

De là ce métier, donc ? « Je n’ai aucun souvenir de moi n’écrivant pas. Tout romancier est un racoleur, un bricoleur qui prend des bouts de son expérience par ci par là.  Il est aussi, par essence, un écrivain public. Son boulot c’est de devenir l’autre. C’est pourquoi il y a une littérature que je n’aime pas, où l’auteur est le personnage. Les livres que j’aime sont ceux où il ne compte pas. On n’écrit pas qu’avec soi-même. »

Au-delà de la fonction de l’écrivain, on cesse aussi « d’être humain quand on ne se pose plus la question de l’Autre. » Sa solution pour éviter ça ? Dans un dernier sourire, il prend quelques secondes puis glisse : « Je ne sais pas, aimer la mer peut-être ? Il y a des signes de beauté dans le monde… »

La beauté qui sauve, les routes, les collines et le bord de mer d’Haïti… Autant de paysages dans lesquels on a adoré se balader en taxi avec Thomas et Anaïse, superbes passeurs de cette Belle amour humaine. Je ne veux pas être aussi cynique que certains de mes confrères (politique, lobbying…), et il y a dans la liste Goncourt d’autres belles ouvrages… Mais, rêveuse que je suis, voilà un choix qui offrirait, dans le monde des lettres parisien, un peu de beauté.

Propos recueillis par mes soins. © Mademoiselle du Petit Bois.

- La belle amour humaine, de Lyonel Trouillot, Ed. Actes Sud, 160 pages, 17 euros.

- A lire aussi, du même auteur : Yanvalou pour Charlie. Très fort.

Ps. de dernière minute : je viens de manquer de m’étrangler en découvrant que Le grand corps du président Mao de Patrick Grainville est sélectionné pour le prix de l’Académie française… C’est sûr, ce monsieur sait écrire, et disons que le style porte beau, mais ce roman (pour faire court et ne pas flinguer une œuvre en long et en large, j’aime pas faire ça) n’est franchement pas son meilleur. J’ai détesté…


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