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Du vide

Publié le 20 novembre 2006 par Jérôme / Khanh Dittmar / Dao Duc
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L’ennui dans le jeu vidéo c’est plutôt courant, ça fait même partie de son intérêt. On devrait pouvoir définir et évaluer un jeu non par l’excitation ou l’étonnement qu’il nous propose mais par sa capacité à nous ennuyer. Jouer est évidemment profondément inutile et c’est justement pourquoi on joue. Si jouer servait à quelque chose, le jeu vidéo deviendrait utile et alors son inutilité, sa futilité perdrait son attrait. Jouer nous distrait ce qui par définition n’a rien de commun avec le courant des choses nécessitant une définition utile de l’être au monde. Je joue, donc je ne suis rien, je refuse d’être. En jouant le temps n’est pas alternatif, disjoint, parallèle, il est nul. Jouer c’est affirmer sa volonté du zéro, du vide, contrarier le courant implacable des choses qui nous oblige. C’est un acte anarchiste, individualiste, éventuellement un espace de méditation, une retraite. Parfois en jouant on ne joue pas, on se crée un rapport paradoxal, on pense à autre chose, le jeu nous invitant, malgré lui, à errer dans notre cerveau. Chaque image de jeu vidéo, n’étant justement jamais image, laisse une marge, un espace de liberté d’où nous pouvons diverger. Face au jeu je ne me peuple pas du monde, d’images, je me peuple de vide. Ce vide n’est évidemment pas nul comme valeur, au contraire, ce vide c’est ma liberté. Ma liberté d’inventer des images qui existent à partir d’images nulles. Ces images du jeu vidéo ne peuvent donc exister que pour moi, selon moi, et c’est pour cela que l’image du jeu vidéo ne peut avoir d’autre existence, puissance, force, valeur, ailleurs que dans mon rapport au jeu. Ce qui le rend unique, sans équivalent historique. Ce rapport au zéro (le jeu) et au un (nous) tient peut-être même de l’expérience la plus singulière dans toute la production artistique que nous connaissons. Que le jeu vidéo ne montre rien, voilà justement la chance de participer pour la première fois à une authentique expérience du vide, pas du néant. Car ici on habite –le jeu vidéo c’est bien moins s’enrichir qu’enrichir quelque chose, un espace, ce vide. Il ne nous peuple pas, comme le cinéma, nous le peuplons par cette possibilité d'être peuplé par le vide. Sans nous le jeu vidéo n’est rien, il n’existe pas, il faut l’avoir essayé pour connaître notre éventuelle capacité à nous y installer et lui donner sa valeur. Valeur évidemment nulle puisqu’elle n’existe que selon certaines conditions et seulement pour celui qui joue. Jouer ne peut donc être qu’une révolution neutre, ou parfois négative. Mais c’est un autre problème.

Jérôme Dittmar


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