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« on a peur de sila qui donne les tempetes ».les inuit ou la sagesse du territoire !(7)

Publié le 10 octobre 2011 par Regardeloigne

« ON A PEUR DE SILA QUI DONNE LES TEMPETES ».LES INUIT OU LA SAGESSE DU TERRITOIRE !(7)

« ON A PEUR DE SILA QUI DONNE LES TEMPETES ».LES INUIT OU LA SAGESSE DU TERRITOIRE !(7)
"Le printemps marque le retour des caprices atmosphériques. Tantôt c'est un froid piquant accompagné de giboulées de neige, tantôt c'est le dégel et la pluie. Donc, à notre grande surprise, nous avons le 26 mai un violent orage : les éclairs, sans interruption, zigzaguent au-dessus de la rivière. Une pluie torrentielle s'abat et, en quelques heures, le vent est devenu si violent, que nous préférons renverser notre tente plutôt que de lutter pour l'empêcher d'être emportée. Nous ne nous sentons pas précisément à l'aise sous cette toile qui claque à nos oreilles.[...] Le campement est dans un état lamentable. Le sol n'est plus qu'une boue mouvante, sillonnée par le ruissellement d'une pluie qui n'en finit pas. [... arrive une famille, trempée et affamée, venue chercher là quelques vivres ...] La journée tirait à sa fin et, à la longue, j'étais si fatigué d'être enroulé dans une tente humide que je jugeai préférable d'en sortir pour voir si mes compagnons de campement avaient besoin de mon concours. Je commence par me rendre auprès des nouveaux venus qui tout à l'heure n'avaient pas un fil de sec sur le dos. En approchant de leur tente, j'entends, à ma grande stupéfaction, des chants joyeux. [...] Maintenant qu'ils ne sont plus tiraillés par la faim, le goût du chant les a immédiatement repris. [...] Tout cela était chanté gaiement, et il était évident que ces gens n'avaient pas besoin de moi. Pour eux, le mauvais temps n'avait aucune importance. KNUD RASMUSSEN.DU GROENLAND AU PACIFIQUE.PLON

" Si elle n'est pas nouvelle, la géographie culturelle suscite un regain d'intérêt depuis une décennie. Elle met l'accent sur les fondements culturels de la relation à l'espace et au milieu, insiste sur les valeurs attribuées à l'espace par ceux qui l'habitent, sur les pratiques et la transmission des héritages.

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Elle accorde de ce fait une attention particulière aux études ethnogéographiques qui rendent compte des savoirs géographiques de groupes culturels spécifiques, qu'il s'agisse de savoirs vernaculaires ou savants, présents ou passés....

" La géographie des perceptions rappelle que la géographie est affaire d'hommes, qui vivent leur rapport à l'espace en fonction de leur sensibilité, de leur histoire et de leur psychologie propres. Elle s'est attachée à saisir une représentation individuelle et collective de l'espace autrefois négligée. La prise en compte de l'expérience subjective dans l'étude des relations homme - lieux constitue une avancée importante dans la compréhension des modalités d'anthropisation des milieux physiques. " BEATRICE COLLIGNON.LES INUIT.CE QU'ILS SAVENT DU TERRITOIRE.L'HARMATTAN.

Selon l'auteur, la géographie culturelle va graviter autour du concept de territoire : Lieu de vie du groupe, où s'établit un équilibre écologique au fil du temps et d'où il tire les expériences au travers desquelles il reconstitue l'univers et élabore sa conception du monde

" L'existence de la culture crée en effet le territoire et c'est par le territoire que s'incarne la relation symbolique qui existe entre la culture et l'espace. Le territoire devient dès lors un "géosymbole", c'est-à-dire un lieu, un itinéraire, un espace, qui prend aux yeux des peuples et des groupes ethniques, une dimension symbolique et culturelle, où s'enracinent leurs valeurs et se conforte leur identité." "Le territoire est tout à la fois "espace social" et "espace culturel ." "... le territoire fait appel à tout ce qui dans l'homme se dérobe au discours scientifique et frôle l'irrationnel : il est vécu, affectivité, subjectivité, et bien souvent le nœud d'une religiosité, terrienne, païenne ou déiste . [...] Le territoire naît ainsi de points et de marques sur le sol : autour de lui, s'ordonne le milieu de vie et s'enracine le groupe social, tandis qu'à sa périphérie et de façon variable, le territoire s'atténue progressivement en espaces secondaires aux contours plus ou moins nets." BEATRICE COLLIGNON.OP CITE.

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que nous opérons des distinctions dans notre environnement ,selon qu'il porte ou non les marques de l'action humaine ; ce que les géographes conceptualisent par l'opposition entre ECOUMENE ET EREME, entre les lieux que les hommes fréquentent au quotidien et ceux où ils s'aventurent plus rarement

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Philippe Descola, pour sa part, précise ce dernier point en soulignant : Jardin et forêt, champ et lande, restanque et maquis, oasis et désert, village et savane, autant de paires bien attestées qui correspondent à cette opposition laquelle recoupe celle de sauvage ou de domestique..

" Rien n'est plus relatif que le sens commun, surtout lorsqu'il porte sur la perception et l'usage des espaces habités. Et si l'accès à la mentalité de nos ancêtres du paléolithique est malaisé, nous pouvons au moins considérer la manière dont les chasseurs-cueilleurs contemporains vivent leur insertion dans l'environnement. Tirant leur subsistance de plantes et d'animaux dont ils ne maîtrisent ni la reproduction ni les effectifs, ils tendent à se déplacer au gré de la fluctuation de ressources parfois abondantes, mais souvent distribuées de façon inégale selon les lieux et les saisons. Ainsi les Eskimos Netsilik, qui nomadisent sur plusieurs centaines de kilomètres au nord-ouest de la baie d'Hudson, partagent-ils leur année en au moins cinq ou six étapes : la chasse au phoque sur la mer gelée à la fin de l'hiver et au printemps, la pêche au barrage dans les rivières de l'intérieur en été, la chasse au caribou dans la toundra au début de l'automne et la pêche au trou sur les rivières récemment gelées en octobre. Vastes migrations, donc, qui exigent de se familiariser à intervalles réguliers avec des endroits nouveaux ou de retrouver les habitudes et les repères anciens que la fréquentation d'un site où l'on s'était autrefois établi avait fixés dans la mémoire " . PHILIPPE DESCOLA .PAR DELA NATURE ET CULTURE.GALLIMARD

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Au nom pourtant de la distinction sauvage/domestique, on a longtemps considéré comme sauvage des peuples qui vivent de chasse et de cueillette leur déniant la conscience de modifier l'écologie locale au fil du temps par leurs techniques de subsistance.

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Il y avait là des gens dont l'indifférence à l'ordre, aux systèmes, aux hiérarchies, aux disciplines, au matérialisme et aux artifices d'une autre forme de civilisation formaient, aux yeux des colonisateurs, la preuve d'une condition humaine "simple", non évoluée. Les coutumes des pionniers, tout comme l'application de la législation aux droits à la terre des peuples indigènes, se fondaient sur une vision de l'évolution humaine selon laquelle les chasseurs-cueilleurs occupaient le bas de l'échelle du développement et les Européens, le sommet. Leur faible nombre et leur dispersion entrainait une vision de " terre sauvage " ou " terra nullius ", inhabitée et bonne à prendre. Ce point de vue permettait la dépossession, et même le meurtre, des chasseurs-cueilleurs. La disparition de ces peuples devenait un sous-produit du " progrès ", sinon son préalable. De nos jours encore, la notion de territoire " sauvage " (dont on assure la préservation au moyen de réserves), continue à récuser la conception de l'environnement que les peuples inuit ou aborigènes ont forgée et les rapports multiples qu'ils tissent avec lui, mais surtout elle ignore les transformations subtiles qu'ils lui ont fait subir. Philippe Descola cite ainsi les propos d'un un leader aborigène australien des Territoires Du Nord, lorsqu'une partie de leurs terres fut convertie en une réserve naturelle : " Le parc national Nitmiluk n'est pas un espace sauvage [...], c'est un produit de l'activité humaine. C'est une terre façonnée par nous au long de dizaines de millénaires - à travers nos cérémonies et nos liens de parenté, par le feu de brousse et par la chasse . " les campagnes de préservation de la faune se font parfois au mépris de ces peuples : ainsi après avoir converti les inuit à la traite en abandonnant la chasse, on a restreint ou interdit le commerce des fourrures , obligeant les mêmes inuit désormais sédentarisés autour des comptoirs à s'acculturer et à vivre de subventions.

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" Dans la forêt équatoriale ou dans le Grand Nord, dans les déserts d'Afrique australe ou du centre de l'Australie, dans toutes ces zones dites " marginales " que, pendant longtemps personne n'a songé à disputer aux peuples de chasseurs ' c'est un même rapport aux lieux qui prédomine -L'occupation de l'espace n'irradie pas à partir d'un point fixe mais se déploie comme un réseau d'itinéraires ,marqué des haltes plus ou moins ponctuelles et plus ou moins récurrentes. Socialisé en tout lieu parce que parcouru sans relâche, l'environnement des chasseurs-cueilleurs itinérants présente partout les traces des événements qui s'y sont déroulés et qui revivifient jusqu'à présent d'anciennes continuités. Traces individuelles, d'abord, façonnant l'existence de chacun d'une multitude de souvenirs associés : les restes parfois à peine visibles d'un camp abandonné ; une combe, un arbre singulier ou un méandre rappelant le site de la poursuite ou de l'affût d'un animal ; les retrouvailles d'un lieu où l'on a été initié, où l'on s'est marié, où l'on aenfanté ; l'endroit où l'on a perdu un parent et qui, souvent devra être évité. C'est également la fonction des cairns que les Inuit édifient dans l'Arctique canadien. Signalant un site autrefois habité, parfois une tombe, ou matérialisant des zones d'affût pour la chasse au caribou, ces monticules de pierre sont édifiés de manière à évoquer dans le lointain la silhouette d'un homme debout; leur fonction n'est pas d'apprivoiser le paysage, mais de rappeler des parcours anciens et de servir de repères pour les déplacements présents. "PHILIPPE DESCOLA OP.CITE.

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Le fait est à souligner que pendant 90% de notre généalogie, nous avons vécu en tant que chasseurs-cueilleurs:

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terme générique, qui concerne des peuples qui vivaient des ressources locales, végétales ou animales, plutôt qu'en travaillant la terre pour y cultiver des espèces exotiques. Il y a 12000 ans, les économies de chasseurs-cueilleurs modelaient la vie humaine en Europe et en Tasmanie, dans la vallée de la Tamise ou le bassin de l'Amazone comme au long de l'Orange River ; sur les côtes de la Méditerranée et celles de l'océan Indien. Partout où vivaient les hommes, ils le faisaient en connaissant leurs territoires ainsi ils pouvaient y chasser et récolter. Dans les déserts de sable ou de neige et de glace, dans les forêts tropicales et dans les savanes sèches, le long des mers chaudes et des océans glacés, les chasseurs-cueilleurs accumulaient les informations nécessaires et élaboraient des modes de vie.

Cependant, en dépit de cette diversité, tous les chasseurs-cueilleurs avaient certaines caractéristiques communes qui tenaient à la nature de la relation qu'ils ont avec le monde dans lequel ils vivent. Le bien-être matériel naissait de la connaissance de l'environnement plutôt que de sa transformation. Les chasseurs assuraient que les animaux n'acceptent d'être tués que si on leur témoignait du respect, dans la vie comme dans la mort. La préoccupation essentielle des systèmes économique et spirituel des chasseurs-cueilleurs était de maintenir le monde naturel en l'état. C'est ce qu'à constaté Knud Rasmussen au cours de la 5 ème expédition de Thulé, en partageant un moment la vie des " esquimaux chasseurs de phoques ".

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" Dieu sait si je les connais ! J'ai mené avec eux une existence primitive et j'ai pénétré entièrement dans leur intimité.

Il n'est guère au monde de pays plus dur plus désolé et plus privé de tout ce qui paraît indispensable à la vie. Et pourtant ces hommes ont su, pendant de nombreuses générations, mener la lutte pour la vie de telle sorte que l'étranger ne peut s'empêcher de dire : ici vit un peuple qui ne désire pas de meilleurs terrains de chasse que ceux où les ancêtres ont créé laculture particulière à laquelle ils sont restés fidèles de père en fils.

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L'hiver remplit la moitié de leur vie. C'est un hiver dur et capricieux. Il va de septembre à la mi-juillet. Pendant les mois d'hiver, ils luttent contre un grand froid qui oscille entre - 30° et - 50° C. Au printemps, ;quand la chaleur devrait venir, le temps est si rude et si venteux qu'on a souvent le plus grand mal à se procurer de quoi manger. Il peut arriver en mai, juin, juillet, août, que l'on ait ça et là une belle journée chaude où la nature s'éveille. On éprouve alors de si douces sensations qu'on a tôt fait d'oublier toutes ses misères, qu'on trouve la vie délicieuse. Mais le charme est vite rompu et l'on est de nouveau à la merci d'un climat auquel on ne peut résister que si l'on a des vêtements chauds et une robuste santé.

Jamais la nourriture n'est trop abondante et pendant la courte période où le disponible excède les besoin' du moment, il faut constituer des réserves pour les nombreux jours de disette où la chasse n'est pas possible.

je me disais que l'été venu, ils seraient amplement dédommagés. L'été venait et ils se mettaient à pêcher le saumon, dans l'intérieur. Le temps n'était pas précisément froid mais il était rude et la pluie avait succédé aux gelées. On n'était pas bien à son aise sous les tentes à peine abritées du vent. Et pourtant, du matin au soir, ils jouaient vêtus de misérables guenilles et ils ne s'arrêtaient pas un instant à l'idée que leur sévère tabou allait bientôt leur défendre de se faire des vêtements neufs et des couvertures pour l'assaut des tourmentes de neige de novembre.

Ces gens , si maltraités par la nature, ne sont pas du tout un peuple malheureux . Ils sont généralement grands et forts. La taille de 1m 70 est courante chez, les hommes. Ils sont d'humeur joviale, de tempérament sain et ne connaissent guère d'autres maladies que les épidémies de grippe du printemps et de l'automne ". KNUD RASMUSSEN.OP.CITE.

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en souligner le paradoxe à l'encontre du sens commun et de nombres d'anthropologues qui n'y voyaient que misère et dénuement. La société des chasseurs cueilleurs ne serait pas une société de dénuement mais bien d'abondance :argument qui repose sur la distinction méconnue de deux formes d'abondance : Se satisfaire en produisant beaucoup et en travaillant beaucoup ou se satisfaire en désirant peu. Dans ce dernier cas, on n'a pas besoin de travailler beaucoup puisqu'on a peu de besoins. : "

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,dans son ouvrage AGE DE PIERRE, AGE D'ABONDANCE,(GALLIMARD)a pu poser la question du statut de l'économie primitive et La conception qui nous est familière, celle de Galbraith, est fondée sur des hypothèses plus particulièrement adaptées à l'économie de marché : les besoins de l'homme sont immenses, voire infinis, alors que ses moyens sont limités quoique perfectibles ; on peut réduire l'écart entre fins et moyens par la productivité industrielle, au moins jusqu'à ce que les " besoins urgents " soient pleinement satisfaits. Mais il y a aussi une voie " Zen " qui mène à l'abondance, à partir de principes quelque peu différents des nôtres : les besoins matériels de l'homme sont finis et peu nombreux, et les moyens techniques invariables, bien que, pour l'essentiel, appropriés à ces besoins. En adoptant une stratégie de type Zen, un peuple peut jouir d'une abondance matérielle sans égale - avec un bas niveau de technologie ". Tel est, je crois, le cas des chasseurs ; et ainsi s'expliquent certains aspects paradoxaux de leur comportement économique : leur " prodigalité ", par exemple, leur propension à consommer en une seule fois tous leurs stocks... comme si les biens de ce monde leur tombaient du ciel. Ignorant cette obsession de la rareté qui caractérise les économies de marché, les économies de chasse et de cueillette peuvent miser systématiquement sur l'abondance ".

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Tel aurait été le choix des sociétés " primitives ". Inversement et pour reprendre le contre exemple déjà évoqué, l'abandon de la chasse de subsistance au profit de l'économie de traite des fourrures, dans des comptoirs remplis de biens de consommation ,l'introduction de l'échange généralisé à la place du partage, ont multiplié les besoins des Inuit et contribué en partie à leur acculturation.

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" Au jugé, selon la longueur de la bête, le brillant et l'épaisseur des poils, la touffe de la queue, John estime la valeur de la peau. Ouloulîk, de son coin, surveille en silence ; il n'interviendra pas, il a confiance.

- Soixante-cinq couronnes pour, marmonne enfin John, en jetant la fourrure par-dessus son épaule.

Cet argent brûle les doigts d'Ouloulîk. Un nouvel homme aussitôt se dresse. Sa face extraordinairement mobile s'est modifiée. Perpétuellement acteur, il a, en l'espace d'une seconde, changé de rôle ; toujours maître de lui, il joue maintenant le coléreux. Autoritaire et brutal, il ne quittera la boutique qu'après y avoir dépensé ses derniers billets et pièces. Accroché à la table pour ne pas perdre son tour, c'est lui désormais qui décide :

- Niouvertoq ! donne-moi ça, ça ; Massakoût ! tout de suite/ Touavi ! hâte-toi donc!... Il jette ses couronnes sur la planche.

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- ... Le fusil, cette casserole à droite, un kilo de café, ces cartouches dans le fond à gauche, vingt cigarettes, cette pipe-là dans le coin ; et puis tout à la fin... Tamâssa !... Tamâssa, tout... Ah ! ah ! ah !..., s'exclame-t-il en se retournant avec un énorme rire.

Du fond de la boutique à l'étalage, l'employé ne cesse d'aller et venir. John interprète les désirs confus d'Ouloulîk en les précisant, en leur fixant une dimension. Compter, peser sont des pratiques d'autant plus inhabituelles que depuis 1910, elles sont, en ces lieux de pisignarfik (de commerce) avec les Blancs, indignes de lui.

- ... Enfin regarde, lui dit doucement Imina ; il n'y a plus que trois couronnes.

John ne répond toujours pas ; il s'occupe d'une cliente qui lui a remis une liste interminable de parfums et de chocolat.

- Voilà mon "mari qui vient payer, répète-t-elle, en se tournant vers la porte... Donne-moi mon chocolat ". JEAN MALAURIE.LES DERNIERS ROIS DE THULE

Les inuit illustrent bien les recherches de Marshall Sahlins

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:ils étaient étroitement dépendants du rapport ressources - territoire, car leur économie primitive ne reposait que sur le prélèvement. En l'absence de toute action de transformation du milieu pour l'enrichir, ils devaient donc adapter leur occupation de l'espace à la répartition des ressources exploitables. La taille du groupe et sa répartition spatiale dépendaient donc tant de son niveau techno-économique que de la richesse écologique du milieu exploité. Aussi n'est-il pas étonnant de constater que, jusqu'à la sédentarisation, tous les groupes de l'Arctique central étaient numériquement faibles et spatialement très dispersés. Chaque groupe devait en effet déployer ses activités sur un territoire étendu afin de nourrir tous ses membres. les ressources alimentaires ne pouvant venir que du territoire de chasse, elles étaient limitées : un chasseur ne pouvait nourrir qu'un petit nombre de bouches. La petite taille des familles - par la limitation des naissances et un recours fréquent à l'adoption - associée à de très faibles densités était une réponse de l'organisme social aux conditions techno-écologiques du moment.



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BEATRICE COLLIGNON a ainsi étudié les INUINNAIT de L'arctique Central (qu'on nommait ESKIMO DU CUIVRE), région formée de L'archipel arctique canadien et de la bordure septentrionale du continent nord-américain dont sont exclus le Nouveau Québec et le Labrador Tous ces habitants successifs de l'Arctique nord-américain y développèrent des cultures de chasseurs-cueilleurs nomades. La pratique nomadique s'appuyait sur une connaissance intime de l'espace qu'elle organisait, connaissance construite année après année de fréquentation attentive et régulière. Les Inuinnait n'ont jamais été très nombreux. Sans doute 700 ou 800 au début du siècle ils sont aujourd'hui environ 3 500.
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La famille nucléaire simple (de 4 à 6 membres) était l'unité de base de la société inuinnait. Elle s'intégrait dans un petit noyau de peuplement, le "camp", structure souple dont la localisation, la taille et la composition varient en fonction des saisons. Le plus souvent composé d'une ou deux familles en été, il pouvait en rassembler plus d'une vingtaine en hiver. Ces variations saisonnières étaient d'une grande régularité. D'une année à l'autre, chaque saison voyait se constituer sur les mêmes lieux pratiquement les mêmes camps. Toutes ces familles qui nomadisaient sur un même territoire entretenaient entre elles des relations étroites et formaient un sous-groupe, dont les membres étaient liés par l'exploitation de ce territoire dont ils tiraient leur identité. Chaque sous-groupe se désignait d'ailleurs par un nom construit sur un toponyme attaché à une entité remarquable de son territoire. Le nomadisme des Eskimo centraux était organisé à l'échelle de chaque sous-groupe et suivait un cycle annuel. Déplacements et occupation des différentes parties du territoire étaient étroitement liés aux fortes variations saisonnières auxquelles est soumise la zone polaire : variations des températures bien sûr, mais aussi de la nature des précipitations et de la luminosité Les températures jouent un rôle de premier ordre dans les profondes transformations annuelles du milieu : selon l'intensité du froid, les plaines sont de véritables marécages difficiles à traverser ou des surfaces dures propices à la circulation ; la mer est un liquide salé (tariuq : "le sel" et par extension, "la mer") ou une croûte de glace solide où il est possible de demeurer (hiku : "le couvert glacé", la banquise). Par ailleurs, la longueur du rayon d'action quotidien des chasseurs depuis les camps dépend de la luminosité : plus les jours sont longs, plus ils peuvent aller loin. Au cœur de la période sombre, leurs déplacements étaient très limités.

Ce système d'occupation du territoire reposait sur la mise en valeur alternée de deux écosystèmes bien différents. La mer (tariuq) et la terre (nuna). L'opposition entre ces deux types d'espaces était renforcée par une série de tabous qui interdisaient tout mélange entre ces deux éléments.

L'alternance saisonnière était bien plus qu'une donnée de l'organisation économique des Inuinnait : c'est selon son principe que s'organisait la vie de la communauté et que se maintenait son équilibre. La terre ferme était associée à l'été, à la chasse au caribou et à l'éclatement du groupe ; la banquise à l'hiver, au phoque et au resserrement du groupe. La terre était le temps de l'individu, la banquise celui de la communauté. Un espace était en revanche totalement ignoré : la mer en tant qu'élément liquide. Les Inuinnait n'ayant pas de kayaks de mer, ils ne pouvaient chasser le phoque en eau libre. Quant à la côte, elle n'était pas vraiment exploitée. Zone de transition, on n'y séjournait que dans l'attente de conditions favorables à une installation plus définitive ailleurs.

Au début du siècle, l'alternance saisonnière suivait un schéma bien établi. En octobre, les familles se regroupaient en quelques points précis de la côte. Là, elles attendaient que la mer gèle et que la banquise soit suffisamment solide pour s'y installer et y chasser. Pendant cette période de transition les femmes consacraient tout leur temps à la confection de vêtements neufs pour chacun des membres de la famille. Quand la banquise était suffisamment solide (décembre ou janvier selon la latitude et les années), les Inuinnait quittaient la terre ferme pour s'installer sur la banquise.. Les hommes pratiquaient en commun la chasse à l'aglu(trous de phoques d'autant plus efficace qu'un plus grand nombre de trous de respiration sont surveillés en même temps. Les ours polaires étaient chassés à l'occasion.. Pendant cette période, chaque camp se déplaçait lentement, abandonnant une aire de chasse lorsque les prises y devenaient moins fréquentes. Le "temps de la banquise " était aussi celui de la vie communautaire et des longues veillées dans les iglous. Au début du printemps (mars), de nombreuses familles profitaient des bonnes conditions de circulation (glace encore bien dure, journées plus longues) pour aller rendre visite à des parents résidant dans d'autres camps, à l'intérieur de leur territoire ou sur celui d'un sous-groupe

Mais dès que sous l'action de la chaleur la glace commençait à fondre en surface, le temps venait de quitter la banquise pour la terre ferme (vers avril / mai, selon les latitudes et les années). Le matériel inutile pour les migrations estivales (traîneaux, couteaux à neige, harpons à phoques, etc.) était entreposé sur certains points hauts des îles côtières et du littoral. Par ailleurs, de la viande de phoque était déposée dans des caches pour être consommée plus tard, en novembre / décembre, période de soudure souvent difficile où les tempêtes et l'obscurité gênent la chasse au caribou alors que celle au phoque demeure impossible sur une banquise trop fine. Sur la terre ferme, les Inuinnait se séparaient pour voyager en très petits groupes : parfois une seule maisonnée, rarement plus de deux ou trois ; l'été était le temps de l'éclatement du groupe.

Le début de la migration se faisait souvent en traîneaux, par le fond encore enneigé des vallées. Dès que la neige faisait défaut, traîneaux et harnais étaient soigneusement entreposés, si possible sur des pitons rocheux, à l'abri des renards et de la curiosité des ours. Les familles partaient alors à pied, chargeant sur leurs dos et ceux de leurs chiens l'équipement indispensable à la vie dans la toundra. Il arrivait qu'on laissât en arrière, avec quelques réserves, les vieillards insuffisamment valides pour suivre. Les déplacements sur la terre ferme s'organisaient d'abord en fonction de la chasse au caribou. La pêche lacustre n'était qu'une activité secondaire, bien que ce fut souvent elle qui gardât les Inuinnait de la famine. Les camps étaient éphémères, démontés et remontés plus loin tous les quatre ou cinq jours. La viande de caribou comme les poissons étaient immédiatement consommés pour partie, sèches puis mis dans des caches pour le reste. Les Inuinnait avançaient le plus loin possible à l'intérieur des terres, suivant des itinéraires qui variaient peu d'une année à l'autre. Puis, vers le milieu de l'été, ils mettaient un terme à leur progression et retournaient vers la mer, s'arrêtant sur le chemin du retour aux caches de viande élevées quelques semaines plus tôt, afin d'y récupérer la nourriture qu'ils y avaient déposée. Les caches sont ainsi les témoins les plus fidèles des migrations estivales.

On peut ainsi se rendre compte d'après ce qui précède de ce qu'est le territoire pour les Inuinnait : un espace parcouru, régulièrement fréquenté, mis en valeur économiquement et investi affectivement, par la parole et par les gestes. Il appartient à ceux qui l'utilisent. Cette appropriation, dans le contexte culturel eskimo, n'a de réalité ni politique, ni juridique. Elle ne s'accompagne pas d'un processus d'exclusion, comme on l'on observe chez d'autres chasseurs-cueilleurs. Le territoire est à celui qui l'utilise régulièrement, ce qui n'empêche pas qu'un autre l'exploite aussi. Tout homme peut s'installer et exploiter une zone donnée, même si elle est associée à un groupe spécifique qui en porte le nom. Le suffixe -miut souligne d'ailleurs que les hommes appartiennent autant au territoire que celui-ci leur appartient. Aussi est-il plus pertinent de parler de filiation plutôt que d'appropriation. Le sous-groupe innuinait se désigne d'ailleurs à partir d'une entité géographique, emblème de son territoire de nomadisation. Ce dernier porte donc l'histoire des hommes qui y vivent comme de ceux qui y ont vécu et dont la mémoire s'accroche aux lieux. La prise de possession du territoire prend de multiples aspects : construction de formes caches à viande, pièges et surtout l'inukhik "des cairns de pierres empilées de telle sorte que la construction ait une forme humaine ; points de repères destiner à aider les hommes à s'orienter, ou leurres utilisés lors de chasses estivales au caribou ce qui est comme un homme",



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