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Les deux vies des schizophrènes

Publié le 13 octobre 2011 par Lana

Les deux vies des schizophrènes

Où est passée notre folie? Que sont devenus nos corps minces, élancés et beaux? Nos yeux délirants? Les cigarettes consumées par l’angoisse? Nos fuites dans la nuit, les marches solitaires rattrapées par la déraison? Nos obessions insomniaques et nos peurs terrifiantes? Nos enthousiames grandiloquents, nos amours destructrices? Les mondes parallèles qui nous happent? Les voix qui nous suivent et nous détruisent et nous aiment et nous détestent et nous harcèlent et nous rassurent? L’angoisse qui nous mange le ventre? Où est notre singularité mortelle? Où est passée notre lucidité? Notre clairvoyance délétère? La connaissance de l’envers du monde qui nous a fait si mal? La transparence des intentions et des pensées qui nous blessaient à mort? Que sont devenus nos boîtes craniennes transparentes, nos pensées offertes à tout vent, notre peau élastique et déchirée? Nos organes dégoulinants? Notre coeur dévoré?La bête qui nous mangeait de l’intérieur s’est-elle fait manger à son tort?

Les deux vies des schizophrènes

Notre folie est camisolée. Nos corps se sont avachis, relâchés, engraissés. Nos yeux sont las, et dans le fond ils ont quelque chose de cassé, entourés de cernes noirs. Nos cigarettes sont fumées par ennui dans un hôpital sans vie. Nos nuits sont longues, et les réveils difficiles, et les matins ralentis. Nos peurs ont laissé place aux questions pratiques sur le lendemain. Nos amours sont réalistes, ou absentes. Le monde n’est que le monde. Les voix se sont tuent, tuées par les médicaments et notre raison retrouvée. L’angoisse est diminuée, comme notre singularité. Notre lucidité a laissé place à un défaitisme amer qui préfère fermer les yeux sur le monde, ou les ouvrir comme tout le monde, mais pas trop grand pour ne plus en crever. Notre corps ne se tranforme plus pour nous seuls, il porte les stigmates de nos années de combat et de souffrance, visibles par tous. La bête est tapie, elle n’est pas morte, bien sûr que non, juste assommée, endormie par le traitement.

Ce sont les deux vies des schizophrènes, et parfois on réveille la bête par lassitude de notre deuxième vie, et on s’y brûle les ailes et le coeur et l’âme et la vie et les sentiments encore une fois.


Filed under: Réflexions personnelles

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