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Martine Aubry répond à Arnaud Montebourg

Publié le 13 octobre 2011 par Gezale

« Mon cher Arnaud,J’ai bien reçu ta lettre et j’y réponds avec grand plaisir. Je veux d’abordnous féliciter collectivement du succès des primaires. C’est un grand succèspour tous les socialistes. Ensemble, depuis le Congrès de Reims, nous avonsreconstruit le Parti socialiste et nous l’avons doté d’un projet, ce qui étaitle préalable à la réussite des primaires et de l'alternance. Tu sais combienje voulais lier les primaires et le projet, toi qui as initié l’idée desprimaires avant même le Congrès de Reims. Tu as accepté la présidence de laConvention nationale sur la Rénovation et je suis fière du travail que nousavons accompli. Avec la rénovation, la mise en place des primaires, lenon-cumul des mandats, nous avons redonné sa fierté et sa force au Partisocialiste, et nous avons bien servi la gauche et la démocratie française.Parce qu’il a fallu vaincre de nombreux conservatismes, ces combats ont étédifficiles et je suis heureuse que nous les ayons menés ensemble, avec l’aide,que je veux saluer, de Ségolène Royal.
La campagne des primaires et les débats que nous avons eus ont convaincules Français de venir voter massivement dimanche dernier. C’est dire combien,loin des prévisions les plus pessimistes et des attaques de la droite, ils ontintéressé les Français. Nous avons montré un Parti vivant, nourri par le débatd’idées. La confrontation respectueuse des points de vue est féconde, là où lavolonté d’unanimisme à tout prix sur fond de divisions personnelles, qui a troplongtemps prévalu à la tête du PS, stérilise la pensée et appauvrit lesprojets.Au terme de ces débats, le 1er tour a dégagé une majorité claire et fortepour un changement profond porté par une gauche forte. Les électeurs ont ditleur volonté d’une politique de sortie de crise par l’invention d’un nouveaumodèle économique, social et écologique. Ils ne se retrouvent pas dans unepolitique d’aménagement du système actuel. La volonté de battre le Présidentsortant est forte mais s’y ajoute une volonté de changer ce système qui afailli, une envie d’espoir, l'envie d’une société plus respectueuse, plusjuste, où l’argent ne peut pas tout et où les solidarités sociales, locales etrépublicaines sont reconstruites. On ne battra pas M. Sarkozy avec du flou,mais avec de la clarté.Cette aspiration majoritaire n'est pas une surprise pour moi. Elle confortele projet que j’ai présenté au pays durant la campagne. En 2012, la France neveut pas seulement une alternance : elle veut une alternative. C'est maconviction : si on change de présidence, c'est pour changer de politique. Je nesuis pas moi, par exemple, favorable à ce que nous fassions voter une règled’or après les élections que nous avons refusée avant. De même que je nesouhaite pas associer d’anciens ministres de M. Sarkozy aux futuresresponsabilités. Nos électeurs ne s’y retrouveraient pas. La France ne s’ensortirait pas. Je suis persuadée que doit émerger une gauche d’après crise,porteuse d’un nouveau modèle qui associe les Français, un modèle plus viable, pluséquitable, plus durable.Alors que le débat se poursuit entre les deux tours de nos primaires, jesouhaite répondre et réagir aux propositions que tu m'as transmises. Nosvaleurs sont communes, nos idées se renforcent : ta lettre me permet d'exposerconcrètement et politiquement ce que je crois essentiel.
Tu connais mon engagement à reprendre la main sur la finance. C’est unpréalable au nouveau modèle que nous devons bâtir : l’efficacité dans lajustice ! Les mesures que j’appelle de mes vœux n’ont pas changé tout au longde cette campagne : recapitaliser les banques en faisant entrer l’Etat à leurconseil d’administration et en leur imposant en contrepartie d’une part unestricte limitation des bonus bancaires, d’autre part des obligations précisesde financement des entreprises et des ménages ; séparer les banques de dépôtset les banques d’investissement, c’est essentiel pour protéger l’épargner desFrançais ; interdire certaines pratiques spéculatives comme les ventes àdécouvert ; plafonner les frais bancaires et mieux encadrer le crédit revolvingqui plonge dans le surendettement de nombreux ménages ; créer à l’échelleeuropéenne une taxe sur les transactions financières pour casser laspéculation, faire porter le poids du remboursement de la dette au systèmebancaire et non aux contribuables nationaux, mais aussi pour lancer desprogrammes d’investissement ; mettre en œuvre une agence de notation publiqueeuropéenne ; interdire les relations des établissements financiers et bancairesavec les paradis fiscaux et bancaires qui sont le trou noir de la financemondiale, ainsi qu'agir pour la suppression des paradis fiscaux à l'échelleeuropéenne et du G20.En parallèle, nous devrons créer une Banque Publique Européenne, à partirdu Fonds de Stabilisation Financière, pour empêcher la spéculation contre lesdettes souveraines, et en France même, créer une Banque publiqued’investissement sous forme de fonds régionaux. La finance doit être mise auservice de l’économie et non l’inverse, et l'économie au service de l'humain.Concernant le commerce international, tu sais le travail que j’ai mené ausein de notre parti pour dépasser une forme de libre échangisme dogmatique quia trop longtemps prévalu dans nos orientations générales. Tu sais aussi quej’ai tenu à convaincre nos partenaires européens de militer à nos côtés pourune Europe qui protège son économie, ses industries et ses travailleurs. Le PSEet le SPD ont repris à leur compte nos propositions pour réguler les échangeset les rendre plus justes. C’est une avancée décisive, car, à l’évidence, nousne pourrons pas pratiquer cette politique tout seuls. Nous avons besoin de lefaire avec nos partenaires, à l’échelle de l’Europe. Aujourd’hui, une nouvellepolitique commerciale européenne fondée sur une réciprocité exigeante estpossible. C'est à l'Europe de la pratiquer sans attendre : nos intérêts enseront renforcés dans la compétition mondiale et nos exigences mieux prises encompte dans les négociations internationales. Europe ouverte, oui ; Europe offerte,non.
Je suis pour l’égalité dans les échanges commerciaux. L’Europe devraaugmenter les droits de douane au niveau européen sur les produits nerespectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ouenvironnementale. Comment être de gauche sans être intransigeants sur le socialet l’environnement ? Elue présidente de la République, je proposerai à nospartenaires européens de renforcer les clauses de sauvegarde et de réciprocitévisant à garantir la loyauté des échanges. Il n’est pas acceptable, parexemple, que la Chine impose aux entreprises étrangères de produire localementpour alimenter son marché alors que l’Europe ne se donne pas les moyensd’obtenir la réciprocité : je ne me résigne pas à la fatalité desdélocalisations de nos industries hors d’Europe. Je n’accepte pas davantage quenos marchés publics soient ouverts à des entreprises non européennes quand ceuxde la nationalité de ces entreprises ne le sont pas. L'Europe doit être active,pas naïve. C'est tout le sens du combat pour la réindustrialisation que je n'aicessé de mener depuis que je suis à la tête du Parti socialiste.
Parmi les mesures que tu évoques, je suis favorable à un contrôle nationalet européen de toute acquisition étrangère d’entreprises dont les technologiesmettent en cause notre souveraineté. Les Etats-Unis le font. Pourquoi pas nous? En matière de délocalisation, le principe qui doit prévaloir est simple :celui du délocaliseur payeur. Il s'agira, pour une entreprise qui réalise desbénéfices et qui ferme un site rentable, de rembourser les aides publiques,dépolluer le site et reclasser les salariés.Quant aux entreprises qui déménagent l'outil de travail ou les brevets,elles pourront être mises sous tutelle sur décision de la justice saisie parles salariés. Je tiens aussi à préciser que la réindustrialisation de la Franceréclame davantage qu’une politique strictement défensive. Nos emploisindustriels réclament une vraie stratégie de compétitivité-qualité: je souhaiteaugmenter progressivement nos dépenses de R&D ; je souhaite relancerl’investissement public national et européen dans les secteurs d’avenir ; jesouhaite que les PME et leurs capacités d'innovation soient réellementsoutenues par les grands groupes et naturellement par les banques ; j'entendsréorienter la fiscalité et l'épargne vers l'outil productif plutôt que vers lafinance et la rente.A mes yeux, la vraie performance passe beaucoup par une sécurisation desparcours professionnels pour réduire la précarité dans l'emploi, par la présencedes représentants des salariés dans les instances de décision des grandesentreprises, ainsi que par la prévention des maladies professionnelles etl'amélioration des conditions de travail Tu le vois, je plaide pour unestratégie offensive et protectrice pour la France et pour l'Europe. En cela,mon projet est porteur d'une vraie alternative qui lui permet aujourd'hui derassembler beaucoup de celles et ceux que le débat sur l'Europe en 2005 avaitdivisés.
Concernant la transformation de notre économie, je suis fière d’avoiraffirmé au coeur de notre projet le besoin d’un nouveau modèle. Notre volontén’est pas seulement d’aménager ou d’humaniser le marché, mais bien detransformer le modèle de production libéral capitaliste. Plutôt que lafinanciarisation et la recherche du profit maximal à court terme, enrichissonsnotre base productive par les valeurs et les méthodes des entreprises dusecteur mutualiste et coopératif. Nous les soutenons dans les Régions et lesDépartements que la gauche dirige, mais l'actuel Gouvernement, hélas, lesignore souvent quand il ne les méprise pas carrément.J’ai eu aussi l’occasion, durant cette campagne, d'exprimer ma volonté dedévelopper et de soutenir l’économie sociale et solidaire, dont j’ai rencontréde très nombreux acteurs. Il faudra leur faciliter l’accès à la commandepublique. De même, je me suis engagée à favoriser, en matière agricole, lescircuits locaux de l'agriculture paysanne et le renforcement des droits desproducteurs face à la grande distribution et ses marges abusives : les paysansne sont pas seulement des jardiniers du territoire, ils doivent pouvoir vivrede leur travail et subvenir aux besoins de leurs familles. Cette transformationsera d'abord sociale et écologique. Elle conduira la société française àproduire, à consommer, à se déplacer autrement. J'ai pris des engagements trèsfermes sur la manière de conduire cette transition, à la fois en matièreénergétique, pour le logement et pour les transports.Concernant la démocratie, tu sais les engagements clairs que j’ai pris surle non-cumul des mandats et des fonctions. J'ai souhaité, avec l'immensemajorité des militants socialistes, que ces règles soient applicables dèsmaintenant et pour 2012 et sans attendre la loi qui doit venir ensuite. Je n'ignorepas les résistances qui s'expriment encore aujourd'hui, mais sache bien que jeserai intransigeante sur ce point.
Au-delà, l’essentiel pour moi est de changer profondément la République.Mon engagement est clair : je veux une nouvelle République qui mette fin à lamonarchie présidentielle anachronique de la Ve République. L'échec del'hyper-présidence Sarkozy nous montre, s'il en était besoin, la voie à ne passuivre.Dans cette République, la mobilisation des citoyens sera l'une desconditions des changements que nous voulons. Je sais comment l'action publiquepeut être revivifiée par les budgets participatifs, les débats publics, lesréférendum d'initiative populaire, mais aussi en associant loyalement,effectivement, les réseaux associatifs, les mouvements de consommateurs, et enouvrant largement à tous les données publiques.J'ajoute – car c'est pour moi un combat constant depuis vingt ans – que ledroit de vote aux élections locales sera étendu aux étrangers en situationrégulière sur le territoire national. Je veux une République exemplaire quicombattra sans compromis ni compromissions les conflits d’intérêt –renforcement des incompatibilités de fonctions, amélioration des contrôles,surveillance accrue du lobbying – et qui sera sans merci contre la corruptionici et ailleurs. Je défendrai le principe d'inéligibilité pour les éluscondamnés par la justice pour des faits de corruption. Et je réduirai de 30 %la rémunération du chef de l’Etat comme celle des ministres.
Je veux une République équilibrée, avec un Président qui préside, unGouvernement qui gouverne et un Parlement capable de jouer pleinement son rôlede contrôle. Le Conseil constitutionnel deviendra une véritable Courconstitutionnelle, dont le mode de nomination sera revu. La nouvelleRépublique, c’est une justice pleinement indépendante. Beaucoup de magistratsm'ont confortée dans ce choix.Je ne transigerai pas avec l’indépendance du parquet que je réaliserai enrendant la nomination des procureurs et le déroulement de leurs carrièresindépendants du pouvoir politique ; je mettrai fin par la loi aux instructionsindividuelles qui ont été réintroduites par J. Chirac puis N. Sarkozy depuis2002. De même, le statut pénal du chef de l'Etat et des ministres sera réviséafin qu'ils répondent de leurs actes devant des juridictions de droit commun,comme tout citoyen. J’abrogerai les dispositions choquantes du code pénal quesont les peines planchers et la rétention de sûreté, et j’engagerai uneprofonde réforme du code de procédure pénale. Je maintiendrai la spécificité dela justice des mineurs. Je rendrai la justice et la défense accessibles à tous,notamment par une revalorisation de l’aide juridictionnelle.La nouvelle République, c’est aussi le pluralisme des médias. Il faut enfinir avec cette spécificité française qui voit les principaux médias écrits etaudiovisuels appartenir à des groupes de l'armement ou des travaux publics quivivent de la commande publique. J'imposerai par la loi des règlesanti-concentration pour consacrer l’indépendance des rédactions. Cesengagements exigeront des modifications législatives et constitutionnellesprofondes que je soumettrai aux Français par référendum. Nous procéderons à larévision la plus importante de notre loi fondamentale depuis son établissementpar le Général de Gaulle et Michel Debré. Nous ferons entrer notre Républiquedans le XXIe siècle.
Dès 2012, je tiens aussi à le rappeler, il ne faudra pas attendre lesmodifications constitutionnelles pour s’attaquer concrètement aux problèmes desFrançais. Le vote de dimanche dernier a confirmé la grande aspiration desFrançais à plus de justice sociale. Il faudra refonder notre système éducatif,rétablir l’accès à la santé pour tous, rendre effectif le droit au logement,garantir le droit à une retraite décente et l’âge légal de départ à 60 ans,permettre la revalorisation des salaires et notamment du SMIC, agir pour lepouvoir d’achat en encadrant certains prix et revoyant la tarification desbiens essentiels comme l’eau et l’énergie.
Cette réponse que je t'adresse confirme et approfondit la Lettre que j'aiécrite aux Français en août dernier. J'y disais notamment : «En Europe comme enFrance, nous savons bien que la crise n’est pas ponctuelle. Il ne suffira pasd’éteindre des incendies, toujours plus coûteux, mais bien d’être lesarchitectes d’un nouveau modèle de développement économique, social etdurable».Depuis des mois et des semaines, je fais une campagne de propositions, pasde communication ni de clientélisme. Je resterai constante, fidèle à ce que jesuis et à ce que j’ai dit aux Français. C’est cela aussi la morale enpolitique. Tu seras d’accord avec moi pour dire que la première rénovation enpolitique, c’est de défendre ses idées devant ses électeurs et de respecter lemandat que l’on a reçu d’eux.
Sur cette base claire et ambitieuse, je souhaite qu'ensemble, nouspuissions continuer pour la France en 2012 le travail que nous avons déjàaccompli depuis 2008. Nos convergences ne sont pas de façade ou decirconstance. Tu peux compter sur moi et j’espère pouvoir compter sur toi. Nosélecteurs nous regardent : dimanche, je ne doute pas qu’ils feront le choixd’un vrai changement et d’une gauche forte.
Bien amicalement à toi,Martine Aubry

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