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Docteur-libraire ?

Par Pierre71

Nous sommes tous aujourd'hui, à notre façon des prescripteurs, mais le libraire n'est-il pas encore le mieux à même de faire le tri, de partager ses coups de cœur et de nous contaminer de sa passion des livres, de certains livres, au milieu de tout ce tumulte consumériste ?

La réponse du cœur est "oui", la grande question est "comment" ? Comment faire, lorsque l'on est libraire, pour garder le leadership du conseil littéraire ? Comment rester le gourou de sa clientèle ?
Au delà du monde des livres, la question se pose d'ailleurs pour toute activité, qu'elle soit économique ou culturelle, ou bien à la lisière des deux. C'est un débat passionnant, et c'est parce que je vis ce genre de défi chaque jour dans mon propre métier, que je vais donner mon point de vue. A en juger le nombre de sites, blogs, clubs, café littéraires, salons du livres, et... évènements organisés par les libraires eux-mêmes, on peut faire un constat enthousiaste : les lecteurs ont besoin de conseils, ils les recherchent, voire les provoquent. Ce foisonnement d'informations qui émerge aussi bien sur la Toile que dans les lieux physiques du livre, m'encouragent : le livre et ses prescripteurs sont loin d'être morts !

Mais quid de la place du libraire dans ce capharnaüm ? Je pense que seuls les libraires qui perdent la foi sont amenés à disparaître. Il ne s'agit pas d'être un petit, un moyen ou un grand ours libraire, d'être ou ne pas être présent sur le Net, pour déterminer son succès commercial. Imaginez une librairie à l'atmosphère pesante, au décors poussiéreux, où les ouvrages sont rangés comme des boîtes de conserve, catalogués selon une logique énigmatique propre au chantre de ces lieux. Imaginez ce dernier esquissant un sourire en biais, celui du dernier des aigris, habillé en négligé de soi, sentant un mélange de vieux papiers et de transpiration, esquivant vos tentatives d'approche : vous aimeriez lui poser des questions, mais finalement il ne vous en donne pas l'envie. Alors vous allez trainer encore quelques minutes dans l'espoir de trouver une idée, et puis vous sortirez bredouille non sans avoir adressé au vieux bonhomme gris un inaudible "Au-revoir". Ce dernier retournera dans son arrière boutique (là où il cache Entrevue, le calendrier des postes avec ses vacances et une cafetière jamais nettoyée) en maugréant : "Encore un qui se promène..."

Imaginez maintenant une librairie avec une devanture propre, une vitrine transparente avec une exposition de livres aux sujets variés, aux couvertures rutilantes, un ou plusieurs thèmes qui vous donnent envie d'entrer. Et puis derrière cette vitrine, au loin, on voit des tables avec pleins de bouquins, il y a même quelques sièges... Sur la porte est indiqué "Entrée libre...pour la culture !" Allez, je rentre... "Bonjour Monsieur ! Je suis Yves, je vous laisse découvrir les lieux et si vous avez besoin de conseils, je ne suis jamais très loin. Bonne lecture !" Puis il reprend son activité. Vous voyez, ce Monsieur Yves est un très bon commerçant : il ne m'a pas sauté dessus comme si j'étais un porte-monnaie sur pâtes ! Il a simplement signalé sa présence et son aide éventuelle. Je suis maintenant en confiance et je parts à l'assaut des lieux. L'atmosphère est étonnante ici, ce n'est pas comme ailleurs. Je ne suis pas chez le vieux bonhomme aigri, et pourtant derrière le comptoir-caisse du XIXème il y a une vieille dame permanentée. Sans doute la maman de Yves, nous sommes clairement dans une librairie familiale ici. Je la regarde faire un moment (déformation professionnelle) : elle encaisse une dame avec des gestes et des mots précis : "Excellent choix madame, si vous avec aimé ce livre, nous pourrons vous conseiller d'autres livres sur le même thème lors de votre prochaine visite" ; elle met un petit document avec le livre dans le sac, sourire, au revoir à bientôt, la cliente part toute frétillante. Les tenanciers ne sont pas là pour faire du social, ils savent conseiller et vendre mais ils ont un atout supplémentaire : ils le font avec classe ! Et que le client soit votre maman guindée aux Galleries Lafayette ou votre fils iPodé de la tête aux pieds, il apprécie d'être pris en haute considération.

Continuons. La boutique n'est pas très grande : 80 m2 à tout casser, ce n'est pas la FNAC mais on s'y sent bien, je dirais même mieux. Le fond de rayon est rangé de façon classique sur les quatre murs. Au centre, des tables abordant des thèmes différents. Rien ne concernant l'Aventure avec un grand A, mais après-tout aujourd'hui l'aventure consistera à sortir de mon domaine de prédilection. Je furète, je prends, je repose, je tourne autour des tables à la recherche d'une idée de lecture qui pourrait me sortir de mes habitudes... Et puis je m'aperçois d'une chose que je n'ai pas vu ailleurs : certains livres possèdent des fiches bristols encartées. Dessus sont inscrites des infos, une notation, une mention : "Ce livre a été sélectionné par le jury du café littéraire machin chose..." Intéressant, mais ça consiste en quoi ? Je me retourne à la recherche de Yves. Celui-ci est occupé au clavier d'un ordinateur portable, mais son sixième sens du commerce l'a averti ; il se dirige vers moi et nous entamons une conversation. J'apprends qu'il organise tous les mois des soirées café-littéraire, des séances de signatures (auxquelles il n'attire que des auteurs régionaux mais "C'est déjà un début"), des expos collectives avec d'autres libraires dans les MJC, bibliothèques, école, salles communales. Puis il me parle du livre que j'ai entre les mains et j'apprends qu'il en a fait un petit laïus sur son blog littéraire.

A la caisse, j'aurai droit aussi à un document glissé dans le sac avec le programme, l'adresse du blog, une véritable lettre littéraire d'un libraire passionné. Cette librairie est sympa, les employés sont agréables, compétents et impliqués. Je reviendrai et en ferai la pub. Je suis devenu prescripteur...

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