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Nicolas Sarkozy : hold-up sur la culture ?

Publié le 18 octobre 2011 par Labreche @labrecheblog

803572-plaidoyer-sarko-a.jpg[1].jpgEn visite jeudi dernier à Chaumont, en Haute-Marne, Nicolas Sarkozy inaugurait le Centre Pompidou mobile (CPM), un nouveau concept de « musée itinérant » apportant au public dans les zones éloignées de la vie culturelle un contact direct avec l’art moderne et contemporain. L’occasion pour Nicolas Sarkozy de parler de culture. Peut-il vraiment convaincre dans un domaine tristement délaissé par la gauche à l’approche de 2012 (voir à ce propos notre article sur les Primaires) ?

La culture selon Combien ça coûte ?

« Une structure d'exposition démontable et transportable, conçue dans l'esprit de la fête foraine » : ce n’est pas une critique acerbe mais la présentation officielle du CPM, le Centre Pompidou mobile. « Fruit d'un partenariat réussi entre le secteur public et le secteur privé » le CPM s’installera dans plusieurs localités françaises grandes ou moyennes (après Chaumont, d’ici 2014 : Cambrai, Boulogne-sur-Mer, Libourne, Le Havre, Nantes et Aubagne), pour des étapes de trois mois. Une quinzaine d’œuvres sont ainsi présentées pour un accès totalement gratuit afin que les habitants des zones rurales, périurbaines ou en difficulté économique et sociale, et particulièrement les écoliers, fassent « l'expérience des chefs d'œuvre de l'art moderne et contemporain ». C’est-à-dire qu’une « médiation » (surtout pas une visite guidée !) permet au public de contempler chaque œuvre pendant trois minutes, soit une heure de visite en tout.


C’est à l’occasion de l’inauguration de cette structure nouvelle que Nicolas Sarkozy a tenu, le jeudi 13 octobre, à consacrer une journée entière à la culture : visite du CPM avec des écoliers, table ronde « sur l’accès et le partage de la culture », intervention présidentielle pour conclure. La visite fut déjà l’occasion pour le chef de l’État de donner une idée de sa conception personnelle de la culture : face au premier monochrome de Klein (Monochrome orange, 1955), Nicolas Sarkozy s’extasie ainsi devant un simple rectangle coloré : « Ça, c'est plusieurs millions », dit-il admiratif. Avec l’ombre d’un regret, toutefois, devant le destin de Klein : « Il était pauvre quand il est mort » (en réalité, Yves Klein, bien que mort prématurément d’une crise cardiaque, à 34 ans, avait déjà été exposé avec succès à Krefeld et avec fracas à New York, ce qui ne le laissa pas riche mais certes pas pauvre, et tout à fait célèbre). D’une curiosité insatiable, il questionne ceux qui l’accompagnent à travers le « musée » : « Léger, c'est cher ? Klein, plus que Léger ? Moins que Matisse ? »

Un budget pas si stable

Plus tard, la table ronde est pour Nicolas Sarkozy l’occasion de dire tout ce qu’il a fait pour la culture et son accessibilité. « Je n'ai pas voulu qu'on touche à un centime du budget du ministre de la Culture parce que la culture, c'est la réponse à la crise. […] C'est par le patrimoine, c'est par la culture qu'on va développer la France avec nos 80 millions de touristes chaque année. » Encore une fois, les aspects financiers sont centraux dans les visées culturelles du chef de l’État. Et s’il est vrai que le budget du ministère de la culture n’a pas baissé, il n’a pas augmenté non plus, constant en volume ces dernières années (+0,9 % en valeur en 2012), c’est-à-dire selon le ministère lui-même « sanctuarisé ». Or, pour ce budget à peu près constant (la hausse demeure tout de même inférieure à l’inflation), les compétences ont augmenté, par exemple avec la charge supplémentaire que représente l’Hadopi (12 M€ en 2011), ou encore le transfert des résidences affectées à la présidence, principale explication de la réduction des coûts de fonctionnement de l’Élysée.

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De fait, nombreuses sont les institutions qui constatent des budgets gelés en valeur (donc érodés par l’inflation) ou même réduits, et ce depuis 2008, le début de mandat ayant été l’occasion des coupes les plus franches (voir les missions 131 « Création » et 224 « Démocratisation » du budget 2008, dont les baisses sont noyées dans les tableaux grâce à l’augmentation du budget alloué au patrimoine monumental). De plus, les difficultés des collectivités territoriales en raison de la crise et de la suppression de la taxe professionnelle ont souvent porté sur les dépenses culturelles, avec plus de la moitié des budgets culturels départementaux en baisse cette année, par exemple. Or, quand le ministère gère un budget de 2,09 Md€ pour la mission « Culture » (c’est-à-dire hors personnel et missions « Recherche culturelle » et « Médias, livre et industrie culturelle ») les trois niveaux de collectivités territoriales cumulés représentaient 5,8 Md€ en 2009. L'impact d'une baisse est donc cruel. Sous le mandat du Président Sarkozy, bien loin de la stabilité, la création culturelle a dû se serrer la ceinture.

Quel idéal ?

Critiquant les propositions effectuées par l’ex-candidate aux primaires socialistes, Martine Aubry, au mois de juillet, Nicolas Sarkozy a par ailleurs expliqué sa vision d’une bonne politique culturelle. « J'ai vu qu'il fallait augmenter de 50 % le budget du ministère de la Culture. Mais pourquoi pas 100, pourquoi pas 150 % d'ailleurs, pendant qu'on y est ? Ça n'a pas de sens. Ce qui a du sens c'est les projets. » Le mot est lâché, les « projets », voilà ce qui structure la politique culturelle sarkozyste. Le site de l’Élysée précise ceux qu’il faut retenir : le Centre Pompidou-Metz inauguré en 2010, le Louvre-Lens qui ouvrira en 2012, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) prévu pour 2013 à Marseille, la restauration des monuments historiques, en particulier des cathédrales. Ces grands chantiers, qui représentent d’un point de vue financier l’essentiel des réalisations de l’ère Sarkozy dans ce domaine (jusqu’à maintenant), sont bien le signe d’une vision essentiellement patrimoniale de la politique culturelle. La mission culturelle de l’État selon Nicolas Sarkozy, c’est de conserver une valeur évaluée à l’euro près, comme celle du Monochrome orange. Vision vénale, utilitaire, matérialiste dont les origines remontent à Jacques Chirac (le musée du quai Branly marquant l’abandon d’une certaine ambition scientifique du musée pour une présentation décontextualisée d’œuvres sélectionnées selon leur rôle sur le marché des « arts premiers » plus que pour leur intérêt ethnologique), et qui perd jusqu’à la tentative de définir l’importance de la culture pour l’homme ou pour une Nation ― la seule importance concrète que puisse évoquer le chef de l’État étant celle d’un secteur économique (le tourisme).

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La politique culturelle française est mal en point, et ce n’est pas avant tout un problème de budget. Quel homme politique saurait aujourd’hui définir la mission d’un musée ? Le constat dressé par Jean Clair, conservateur des Musées de France, dans son récent ouvrage L'hiver de la culture est terrible, et fait ressembler l’opuscule à un thrène plus qu’à une dénonciation. Car, comme le rappelle l’auteur, « Ouvrir des musées, c’est mettre son espoir dans la pérennité de certains objets, une sorte d’immortalité laïque et républicaine des œuvres ». (p. 35). Or, quelle pérennité peut bien trouver une œuvre sous le chapiteau du Centre Pompidou de Metz que Jean Clair compare à un Buffalo Grill au bord d’une autoroute, ou pis encore sous la tente du CPM ? Les missions assignées au CPM sont ainsi tristement significatives : le but n’est pas d’enseigner l’art, ni de le faire comprendre, mais de faire « l’expérience » d’une œuvre pendant précisément trois minutes. Et les défenseurs de ces « projets » peuvent-ils réellement arguer que « l’expérience » proposée dans ce faux musée conçu ouvertement comme un Luna Park vaut la connaissance d’une œuvre et le regard porté sur elle, choisie dans la multitude, sans que le temps soit compté, au Louvre ou au « vrai » Pompidou ? « La nécessité d’apprendre par le langage, toujours peu ou prou oraculaire de nature, a cédé la place à la satisfaction oculaire d’œuvres que, sans trop questionner, on a déclaré "art" » (p. 56). Et la culture a, elle, cédé le terrain à l'ignorance qu'incarne si bien le Président bling-bling, amateur de Gilbert Montagné et Johnny Hallyday, et pourfendeur de Madame de La Fayette.

Certaines pages de L'hiver de la culture résonnent avec une ironie féroce, dans le contexte actuel, et plus encore après avoir vu une nouvelle fois l’actuel chef de l’État occuper le terrain culturel, depuis des années abandonné par la gauche comme axe politique structurant. Ainsi lorsque Jean Clair cite Georges-Henri Rivière, le créateur du Musée des Arts et Traditions populaires fermé en 2005 et dont les collections seront reprises par le MuCEM (mais pas l’ambition) : « Le succès d’un musée ne se mesure pas au nombre de visiteurs qu’il reçoit, mais au nombre de visiteurs auxquels il a enseigné quelque chose. […] Sinon, ce n’est qu’une espèce d’"abattoir culturel" » Quel succès peut bien avoir le CPM et son « expérience » d’une heure ? Fête foraine, ou abattoir pour cars scolaires ? Qu’importe : l’important est d’avoir pu contempler quelques instants une œuvre qui vaut des millions. Car la première vocation du musée aujourd’hui est bien de conserver un patrimoine marchand. La politique culturelle sarkozyste se voulait pleine de courageux projets : elle n’est qu’un triste symptôme de cette logique vénale désormais dominante. Avec sa quinzaine d’œuvres exposées, le CPM n’a aucune importance. L’avenir du musée, c’est le Fonds national d’art contemporain, ou encore le Schaulager de Bâle dont l’architecture de bunker est encore plus parlante : le musée du XXIe siècle est bel et bien public mais fermé au public, son but n’étant que de conserver des œuvres dans un but spéculatif. L'ère n'est plus au musée, ni même à l'abattoir culturel : elle est au trading dans l'art comme ailleurs.

Crédits iconographiques : 1. Visite de Nicolas Sarkozy au Centre Pompidou Mobile, à Chaumont, le 13 octobre 2011. DR. | 2. Le Centre Pompidou Mobile installé à Chaumont © 2011 AFP/François Nascimbeni. | 3. © 2011 Flammarion.


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