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Mark Knopfler éclipse (un peu) Bob Dylan à Bercy (+ extrait vidéo)

Publié le 18 octobre 2011 par Marc Villemain

IMG_0025Soirée excessivement sage, hier à Bercy, qui accueillait donc ce que l'histoire du rock et de la musique folk, blues et country, dans la très large acception de ces termes, a produit de plus consistant et de plus enthousiasmant depuis plusieurs décennies : deux de ces hérauts qui, à leur manière, ont donné naissance à des courants musicaux pétris de tradition et d'intuition, aussi soucieux de leurs héritages que de leur legs, et, pour l'un d'entre eux au moins, incarné la protestation d'une époque. On n'en mesurera que mieux l'incongruité d'une salle sans fosse, transformée en un respectable parterre de sièges en velours rouge (il est vrai que le public n'a plus vingt ans - ni même quarante -, et qu'on vient davantage, ce soir, pour célébrer une grand-messe en famille que pour éprouver la transpirante énergie du rock'n'roll.) Il faudra attendre le dernier quart d'heure du set de Mark Knopfler pour que le public envoie valser tout ça et se rue sur les devants la scène, apportant un peu de chaleur à cette salle tristement orwellienne - où l'on finit presque par se battre pour, entre les deux parties, gagner le sas de décompression et griller sa cibiche, dûment encadrés par des gorilles fluorescents exhibant muscles et oreillettes : soit dit en passant, le public des CSP + ne se tient pas mieux que les autres. Bref.

A ces deux hérauts, d'ailleurs, le gigantisme ne va pas. On ne comprend (que trop) les raisons qui conduisent à limiter la charge des tournées et à les concentrer en une poignée de dates : mais ce qui convient à Rammstein ne convient pas à des musiciens tels

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que ces deux-là, dont on voudrait pouvoir entendre le timbre cassé et le murmure des doigts sur les frettes ; pas plus d'ailleurs qu'il ne convient à un public qui, s'il aime cette musique, doit en aimer d'abord l'émotion contenue, la nostalgie un peu joueuse, l'intimisme - et, pour Knopfler, la virtuosité.

A cette note dubitative s'ajoutent quelques autres motifs de mécontentement, même relatif. Ainsi du sentiment d'avoir été un peu floué : ceux qui prêtaient foi aux organisateurs clamant que Knopfler et Dylan se partageraient la scène en sont pour leurs frais : de la formule, il fallait retenir l'ambiguïté. Ainsi y eut-il deux concerts parfaitement distincts, Knopfler et Dylan jouant successivement et sensiblement le même temps (assez court), le premier ayant pour charge supplémentaire de jouer à l'étalon : ceux, immensément majoritaires, qui s'attendaient à le voir rejoindre Dylan sur scène attendent toujours. Le son, enfin. Très correct, il faut bien dire, pour Knopfler (on peine à écrire : pour la première partie), il fut à tout le moins approximatif pour Dylan. La section rythmique, notamment la contrebasse, claquait bizarrement, avec quelque chose de creux, métallique, saturé : quant à la voix de Dylan, sur-mixée, sur-amplifiée, des spirales d'écho lui faisaient perdre un peu de sa singularité, même si le débit sec, traînant, n'a, en soi, rien perdu de son charme.

Il ne s'agit pas ici de comparer les deux parties du concert. Si Knopfler et Dylan ont bien des choses en commun, les deux ont évolué sur des registres un peu différents, Dylan n'hésitant plus à traîner ses guêtres du côté d'un quasi rockabilly, Knopfler revendiquant de plus en plus ses tentations gaéliques. Par ailleurs, Knopfler incarne dans le rock l'image même du cool, cette grâce un peu dégingandée, ce petit air de chien battu, ce visage d'adolescent au cheveu gris, ce refus presque maniéré du spectacle, du jeu visuel, du show : il joue à Bercy comme il jouerait dans la salle municipale de la plus modeste contrée, et s'il est vrai que c'est là un esprit dont on appréciera, en ces temps de grande débauche, la profonde humilité, l'on ne peut pas non plus

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réprimer la petite voix qui nous souffle que, dans ces conditions, autant ne pas choisir Bercy... S'agissant de Dylan, c'est un peu différent : c'est qu'il est un peu plus cabotin. Aussi ne déteste-t-il pas surjouer son rôle de personnage renfermé, un tantinet ombrageux, et, pour ainsi dire, presque désagréable. Pas un mot, pas un signe, pas un salut, pas même un rappel, un simple geste de la tête pour dire adieu et signifier que c'en est fini (il aurait pu, peut-être, faire mine de soulever son chapeau.) Autant le groupe de Knopfler existe, ses musiciens se regardent, se sourient, se répondent, autant le groupe de Dylan a quelque chose d'un agrégat d'individualités, qui marquent leurs territoires propres, un peu avares d'elles-mêmes, cherchant à créer, avec plus ou moins de subtilité, une sorte de posture d'hommes en noir tels que, peut-être, un Tarantino pourrait vouloir les filmer. Enfin quoi, oui, il m'a manqué de voir un groupe, quelque chose de cohérent, homogène, fraternel. Le jeu de jambes un peu stéréotypé de Dylan et ses quelques pas de danse ne suffisent pas à donner beaucoup de chaleur à cette représentation roborative, certes, mais un peu froide, et à chasser la vilaine idée que tout cela est tout de même fait un peu par-dessus... la jambe. Cela ne signifie pas que ce soit mauvais, c'est entendu, et Blind Wille McTell, Things Have Changed, Ballad of a Thin Man, All Along the Watchtower, constituent de jolis moments, qui plus est interprétés par des musiciens très en place : simplement, là, ce soir, ces titres n'accédaient pas au niveau de la légende.

C'est l'avantage de Knopfler, dont on n'attend pas une quelconque prestation, mais seulement une sorte d'excellence dans l'interprétation. Et si ses compositions, depuis quelques années, n'ont pas l'éclat, l'originalité, pour ne rien dire de l'ambition des premiers temps de Dire Straits, elle sont assumées et revendiquées avec un tel naturel, une telle aisance, qu'elles touchent sans peine un public qui plus est conquis par ce jeu de guitare somptueux, précis, fluide, riche d'une très belle variété de timbres et de sonorités ; Knopfler, pour moi, a toujours été au rock ce que Metheny est au jazz, le genre de type à pouvoir tout jouer tranquillement, le virtuose capable d'aller arracher le silence, soucieux de donner une atmosphère à chaque composition. L'efficace et straitsien What it is, en ouverture, fera semblant de donner le ton, et il n'est pas désagréable d'entendre ces musiciens, violon, accordéon, banjo, cornemuse, investir l'héritage celte et y puiser une certaine gaieté désuète. Et si le rappel (au moins, il y en eut un) convoque un titre qui m'a toujours semblé un peu faible de Dire Straits (So far away), on est content, tout de même, d'avoir un aperçu de l'album promis pour 2012, avec ce chouette morceau qu'est Privateering. Sur scène, donc, la prestation est un peu molle, sage, attendue sans doute, mais, musicalement, il n'y a pas grand-chose à redire.

Avec Dylan, on a parfois l'impression que le public force un peu son enthousiasme, et sans doute a-t-il raison de le faire : on ne négocie pas son admiration avec une légende, on la lui accorde, inconditionnelle. Et parce que c'est lui, on réclame sans plus tarder un rappel, ne serait-ce qu'un seul. Mais non. Les lumières de la salle ne mettent pas dix secondes à se rallumer. Les gens se regardent, l'air un peu surpris, déçus, pas même le temps de fredonner sur les derniers accords de Like a Rolling Stone. Sûr que certains, en rentrant, vont ressortir quelque vieille galette : c'est du sûr.

Premier extrait - Bob Dylan, Times Have Changed


Bob Dylan, Times Have Changed - Bercy, 17 octobre 2011 


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