Elle est assise en retrait sur un des bancs jaunes installés pour le spectacle qui fient de finir. Près d’elle, ses parents, qui la soutenaient quelques minutes plus tôt quand son âme avait semblé la fuir, quand ses jambes ont cessé de la porter, quand elle s’est mise à tanguer puis à tomber dans l’herbe verte. Le public a tourné le dos à cet espace et les yeux se lèvent à présent vers les trapézistes évoluant avec grâce devant la façade rouge brique de l’immeuble le plus haut de la cité. Je ne peux oublier cette jeune fille qui a perdu connaissance quelques instants, à la toute dernière scène de Sélection naturelle, un spectacle de Makadam Kanibal.
S’il fallait qualifier les caractères des personnages, on pourrait dire qu’ils étaient affreux, sales et méchants. La SPA ne leur aurait pas confié un animal. Leur naturel était violent, et ils ne savaient exprimer leur affection qu’avec fusils, sabres et coups de pelle. Et cette violence est allée crescendo. Chez la grand-mère, une marionnette, qui avait l’air désespéré, la fille avait un penchant pour les femmes des magazines, les deux garçons, des hommes, ne cessaient de vouloir en découdre.
Le public appréciait les tours de force : avaler du verre, une tige métallique, tenir l’équilibre sur une échelle verticale, déclencher un incendie… Mais l’histoire a pris un tour sanguinolent.
En peu de temps, l’un des hommes a tué un chat, la grand-mère, son frère, sa sœur, et le sang a giclé. Rires et exclamations de dégoût se sont mêlés ; mon voisin m’a glissé : « Nos songes, cette nuit, vont ressembler à des cauchemars. » Le dernier survivant, ne semblant pas comprendre qu’il avait tué tous les autres, les a sortis de l’espace où ils gisaient et, finalement, s’est tué lui-même. Il faut préciser que chaque coup de fusil n’était qu’un « pan ! » sorti de sa bouche. Le dernier fut donc pour lui. Et le public semblait soulagé que cela finisse. Mais il s’est relevé, et, comme s’il se réjouissait de retrouver les autres dans un au-delà, il a ouvert la bouche et son t-shirt blanc est devenu tout rouge.
C’est alors que la jeune fille s’est évanouie, au moment même où les applaudissements ont claqué en cette fin d’après-midi. « Il faut prévenir la sécurité », s’empressa quelqu’un. Puis la jeune fille, tellement blanche qu’on aurait cru que son sang l’avait quittée, a repris conscience. Ses parents l’entouraient, inquiets sans doute, mais souriants.
Un autre spectacle commençait. J’y suis donc allé. J’avais besoin de me changer les idées avant de reprendre les transports en commun.