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Un romancier nommé Dhôtel (III)

Publié le 20 octobre 2011 par Siheni
Des vagabonds toujours en devenir. Il y a certes de la sainteté dans la démarche incertaine de chacun d’eux, un état de grâce que pourtant aucune église ne reconnaîtra jamais : il existe bien des évadés qu’aucune forteresse ne veut reprendre. Ici d’ailleurs importe seul ce qui au fond de soi demeure inaltérable, bien que le personnage échoue généralement à le nommer autrement que par approximation : une tentation, une inapaisable aspiration vers autre chose. Ainsi Lumin ne saurait-il exprimer pour sa part ce qui accomplira le mieux cette drôle de ferveur qu’il ne fait que ressentir en lui : l’amour, l’art, le crime ? Le voici du jour au lendemain promu millionnaire par le hasard d’un billet de tombola ; ses anciens bourreaux se disputent dès lors ses faveurs. Mais à la fin il refusera le tout, fortune et réhabilitation, en ne voyant dans l’une et l’autre qu’une imposture. Il leur préférera le retour à un amour d’enfance.

Comme si l’amour, chez Dhôtel, était finalement la grande affaire, celle par laquelle commencent, s’affirment et s’emmêlent les destins les plus obscurs. Une sorte de deus ex machina pour lequel on peut tout envoyer au diable d’un haussement d’épaule, et vers lequel tout converge ici, comme tout y ramène à soi, pour se confondre avec ce premier enchantement sur lequel on n’avait pas su mettre un mot au temps où l’on interrogeait les étoiles. Et si dans l’amour se trouvait enfin la clé la plus sûre pour pénétrer, par exemple, le grand mystère ? Pas étonnant que les destins de Marvaux et de Colydas empruntent l’itinéraire de Lumin : Clarisse pour l’un, Hélène pour l’autre. Pour eux également, des amours d’enfance. Mais que de routes, pour eux aussi, avant de retrouver cet éblouissement d’autrefois, cette part primordiale qui leur réapparaît maintenant aussi neuve qu’au premier jour sous les traits de beautés trop longtemps imaginées, désirées et bannies en vertu d’un principe tout simple : parfois le soleil brille et le lendemain il pleut, c’est comme ça. Cela dit, on assiste à des retrouvailles toujours sans pathos, aussi simples que celles de Petros et d’Hélène : "Il n’y eut pas de paroles. Ils s’embrassèrent." Et qu’importe si, comme ailleurs pour Marvaux et Clarisse, ces retours doivent intervenir par le truchement d’un pauvre cliché envoyé au loin par la bien-aimée : "Antoine mit un peu de temps à la reconnaître. Son attention fut d’abord attirée de façon invincible par le corps gracieux dans la robe fine. Puis il fut saisi par le regard. Les yeux un plus grands dans le visage, lui sembla-t-il. Mais toujours ce même regard où l’on pouvait trouver aussi bien l’indifférence que la haine, ou alors ce refus d’avouer l’amitié ou l’amour. L’expression du visage avait cependant une douceur nouvelle, et l’on pouvait croire que les lèvres s’apprêtaient à sourire."
 
Un romancier nommé Dhôtel (III)
Ainsi comme l’on rêve, on aime. On quitte, on retrouve. Fût-ce en silence, et comme par magie. Comment faire autrement, semble demander Dhôtel avec malice ? On se doute que l’amour, plus que le happy end réconciliateur et attendu, ne représentera jamais moins qu’un des symboles parmi les autres de cet autre côté du miroir que le héros n’avait de cesse d’apprivoiser. Comment ne pas croire que l’aventure continuera même une fois tournée par le lecteur la dernière page ? C’est qu’on n’en finit pas. Pas moyen de faire autrement : Dhôtel avait raison. On croyait lire un conte de fée, avec son train d’infortunes et de miracles ; nous voilà plongés dans la vie. Nous ne l’avions jamais quittée, qu’aviez-vous cru ? C’est d’ailleurs là une des raisons pour lesquelles cette œuvre est toujours actuelle, même si une lecture pressée pourrait faire buter le lecteur d’aujourd’hui sur quelques archaïsmes de fond ou de forme. On sait bien que les hommes ne changent pas, ou si peu ! Les mêmes aspirations demeurent, les mêmes rêves aussi. L’écriture, ici, n’en distraira jamais le lecteur : elle a la simplicité chuchotante des personnages et une légèreté de papillon ; propre à faire écho à la moindre émotion, au moindre souffle comme celui de ces Ardennes qu’ils n’abandonneront parfois, comme leur créateur, que pour venir s’y retrouver tels qu’en eux-mêmes ils n’avaient cessé d’être. Toutes choses qui n’en font qu’une, une même quête à poursuivre.
(Article paru initialement sur le site de Chronicart)

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