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TUNISIE - Élections tunisiennes : retour de l'ancien régime et percée islamiste

Publié le 21 octobre 2011 par Pierrepiccinin

Tunisie - Élections tunisiennes : retour de l'ancien régime et percée islamiste (Centre de Recherche sur la Mondialisation, 20 octobre 2011)

Tunis
   ©  photo Pierre PICCININ

   

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En Tunisie, comme en Egypte, l’enjeu principal qui a suivi les troubles et la chute du chef de l’État consiste en la réforme de la constitution et l’ouverture du pouvoir à l’opposition.

L’opposition tunisienne, qui s’organise peu à peu, demeure cependant, à ce jour, exclue du gouvernement provisoire, toujours composé, pour l’essentiel, des ministres choisis par Mohamed Gannouchi, l’ancien premier ministre de Ben Ali, et qui s’emploie à orienter les réformes en faveur du maintien des prérogatives de l’establishment politique et financier.

Ce gouvernement a pourtant subi plusieurs remaniements depuis l’exil en Arabie saoudite du président Ben Ali, le 14 janvier 2011.

L’historique de ces remaniements est riche d’enseignements sur la manière dont la « révolte » a été gérée par les autorités. Et il convient de s’y arrêter, pour comprendre la manière dont la « révolution » a été enrayée, le cas tunisien, outre qu’il fut le déclencheur de ce « Printemps arabe », étant aussi, sur ce plan, le plus complexe à disséquer.

Le premier ministre Mohamed Gannouchi avait, dans un premier temps, espéré maintenir en place l’ensemble de l’appareil politique, tablant sur le fait que le départ du chef de l’État aurait constitué un exutoire suffisant à la révolte populaire ; il avait ainsi annoncé « la vacance de la présidence » et assuré lui-même l’intérim, le temps que le Conseil constitutionnel, en vertu de l’article 57 de la Constitution, désignât comme successeur le président du parlement, Fouad Mebazaa, fidèle du régime et membre de tous les gouvernements de Ben Ali. Ce dernier, toujours en vertu de la Constitution, recevait la charge d’organiser des élections présidentielles dans les soixante jours.

En outre, dès le vendredi 14 janvier au soir, l’état d’urgence avait été proclamé, sous le prétexte que des « pillards » semaient le chaos dans la plupart des grandes villes du pays et que la « priorité absolue » du gouvernement devait être le rétablissement de l’ordre public. En conséquence, l’armée, dont le commandement, depuis le début des événements, s’était officiellement engagé à défendre le peuple, y compris contre la police du régime, et s’était dès lors attiré la sympathie populaire, a, sans difficulté, repris le contrôle de la rue, encadrant étroitement les manifestations et empêchant tout débordement, sécurisant les lieux du pouvoir.

Il apparaît clairement que le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), a ambitionné à ce moment-là de conserver intacte l’ensemble des institutions.

Si une partie des contestataires avait déjà été satisfaite par le départ du président Ben Ali et a déserté la rue, la manoeuvre n’a cependant pas réussi à duper une large fraction d’une population tunisienne éduquée, qui a dès lors poursuivi son mouvement, revendiquant une nouvelle constitution et des élections présidentielles et législatives et exigeant le départ de tous les ministres issus du RCD.

À l’occasion de ces manifestations, les intentions du commandement militaire sont apparues sous un jour moins idéal, l’armée intervenant régulièrement pour disperser la foule, violemment parfois et en coordination avec la police.

Le premier ministre Gannouchi s’est essayé alors à une seconde manoeuvre, le 19 janvier, par un effet d’annonce du remaniement du gouvernement, de l’ouverture à l’opposition et de la démission du RCD de tous les ministres en exercice. En fait d’ouverture, seulement trois ministères furent concédés : l’enseignement, le développement régional et la santé. Et seule l’opposition officielle, « autorisée » sous la présidence de Ben Ali, fut invitée à participer.

Cette seconde manoeuvre fut également un échec : conscients de la supercherie, les membres de l’opposition qui avaient accepté un portefeuille ont démissionné dans les heures qui ont suivi leur nomination et les manifestations se sont poursuivies.

Le 25 janvier, Mohamed Gannouchi présenta un gouvernement dont seuls neuf des anciens ministres conservaient leur portefeuille. Cette troisième manoeuvre réussit : bien que la plupart des nouveaux ministres fussent issus des rangs de l’establishment benaliste, anciens hauts fonctionnaires, diplomates ou financiers liés au régime, seconds couteaux inconnus du grand public, ils furent acceptés par les manifestants. Mohamed Gannouchi, qui restait seul contesté, démissionna lui-même, le 27 février, mettant ainsi un terme aux derniers mouvements de protestation de masse susceptibles de menacer le régime. Il a été remplacé par Béji Caïd Essebsi, ancien président de la chambre des députés.

Ce dernier remaniement fut accompagné du discours du commandant en chef de l’armée, le général Rachid Amar, qui s’est adressé directement aux manifestants, le 25 janvier, dévoilant un peu plus encore le jeu de l’armée : jouant sur les divisions qui ont commencé à naître au sein de la population (des manifestations pour la reprise du travail se sont heurtées à celles qui exigeaient la démission du gouvernement), le général Amar a demandé à tous les manifestants de rentrer chez eux, leur garantissant que l’armée défendrait le processus de démocratisation du pays.

Depuis, si quelques changements bénins ont eu lieu, c’est cette équipe-là qui gouverne la Tunisie, cette équipe dont le ministre des affaires étrangères, Ahmed Ounaës, en déplacement auprès de la Commission européenne, le 2 février, avait déclaré : « le renversement de Ben Ali n'a rien à voir avec une révolution. (...) Ce régime fut une simple parenthèse despotique, mais qui a su apporter la modernisation de l'économie et faire passer la Tunisie du socialisme au libéralisme », propos qui ont entraîné sa démission le 13 février.

Fait notable également, la police politique du régime benaliste n’a pas été démantelée et continue de surveiller et d’inquiéter les opposants. « Le dictateur est parti, la dictature est toujours en place. »

Ce gouvernement provisoire, au sein duquel les ballets et tours de passe-passe ont réussi a maintenir une majorité d’anciens membres du RCD, a tenté depuis lors, principalement, de hâter au maximum l’élection de « l’Assemblée nationale constituante », qui sera chargée de rédiger une nouvelle constitution, avant des élections législatives et présidentielles.

Cela étant, dès le mois de mars, l’opposition a créé la « Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique », organe autoproclamé rassemblant des représentants de différentes formations politiques et d’organisations syndicales, professionnelles et régionales.

C’est là un fait unique dans ce « Printemps arabe » : l’opposition a réussi (mais partiellement seulement) à remplacer les institutions de l’ancien régime par une instance issue de la révolte.

Cette Haute Instance a décrété la création d’une « Instance supérieure indépendante pour les élections » (ISIE), chargée de superviser les élections, en lieu et place du ministère de l’intérieur. Elle a aussi décrété que la plupart des membres du RCD ayant occupé des fonctions officielles ne pouvaient être candidats aux élections.

En outre, initialement prévue le 24 juillet, l’élection de l’Assemblée nationale constituante a été reportée au 23 octobre 2011.

Mais l’opposition historique n’a pas réussi à surmonter ses divisions et a présenté des listes concurrentes.

Les vainqueurs de ces élections pourraient donc bien être les islamistes du parti Ennhada, d’une part, dont les candidats parcourent les provinces, distribuant argent et denrées (brimé sous Ben Ali, Ennhada était exsangue et encore sans ressources quelques mois avant la campagne électorale ; la question est donc de savoir quelle est l’origine des fonds qui alimentent cette onéreuse campagne).

D’autre part, à côté de ces partis de l’opposition historique, sont apparues plus d’une centaine d’autres formations, soit plus de 10.000 candidats pour les 217 sièges de l’Assemblée constituante ; 1.635 listes déposées, presque 1.500 retenues, dont 146 pour les 18 sièges réservés aux Tunisiens de l’étranger.

Nombre de ces formations masquent le retour en lice de l’ancien régime et laissent aujourd’hui planer le doute sur l’avenir du projet de constitution, qui pourrait ainsi se jouer entre les islamistes et l’ex-RCD.

Lien(s) utile(s) : Centre de Recherche sur la Mondialisation.

Lire aussi :

- Tunisie : « tout changer, pour que tout reste pareil »…

- Entretien avec Moncef Marzouki, président du parti du Congrès pour la République

- Entretien avec Radhia Nasraoui et Hamma Hammami

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