Magazine Banque

Les agences de notation : thermomètres ou détonateurs de la crise

Publié le 25 octobre 2011 par Sia Conseil

illustration_rating Au cœur des débats en ces temps de crise à répétition, les agences de notation, omniprésentes dans l’actualité, sont l’objet de nombreux commentaires. A tel point que la remise en cause du système de notation actuel est de plus en plus envisageable.

Présentation du système de notation

L’activité principale des agences de notation consiste à diffuser régulièrement des avis sur la qualité des crédits et la capacité à honorer les obligations financières d’un émetteur ou d’un instrument financier à travers une note (les barèmes de notes étant propres à chaque agence). Ces notations, fondées sur les flux de revenus, la structure des bilans et les performances financières de l’entité notée, classent les émetteurs selon des catégories de risque de défaillance plus ou moins élevés (risque élevé, « catégorie spéculative », risque faible, « catégorie investissement »). A cela s’ajoute pour certaines agences, d’autres activités financières comme le conseil en investissement.

Ce principe de notation et le système qui l’accompagne naissent aux Etats-Unis au milieu du 19eme siècle, suite à une panique sur le marché financier en 1837. Le besoin d’évaluer la solvabilité des entreprises devient alors nécessaire. D’autant plus qu’il convient de rassurer les investisseurs pour ne pas freiner l’essor des compagnies ferroviaires qui font appel  au marché obligataire.
En 1841, nait donc The Mercantile agency, première société d’analyse financière de crédit.
Au fil des crises et banqueroute, l’activité des agences de notation se structure, mute (analyse des créances à court terme en plus des créances à long terme), pour se retrouver dans les années 70, au début de la désintermédiation, de plus en plus régulée notamment par la SEC et ses lois financières (création du statut NRSRO sans lequel aucune agence de notation ne peut fonctionner sur le marché américain) et leurs activités s’internationalisent.
En France, leur apparition date du début des années 1980, Pierre Bérégovoy les jugeant nécessaires à l’obtention de conditions financières favorables lorsque la France commence à émettre des emprunts d’état et à placer sa dette à l’étranger.
Dans la foulée les premières agences nationales font leur apparition : en France l’agence d’évaluation financière voit le jour en 1986.

La création des agences, leur développement et leur internationalisation est le fruit de la volonté de l’ensemble des acteurs du marché (régulateurs, emprunteurs, émetteurs d’emprunt, …) afin  d’accompagner et d’accélérer le mouvement d’intermédiation pour lui donner de l’ampleur.
L’introduction des agences de notation dans le système Bale II n’a fait que renforcer leur puissance en leur donnant un pouvoir quasi régulatoire voire régalien.
Dans ce cadre, la méthode dite « standard » autorise les banques à utiliser les notes des agences sous réserve qu’elles soient agréées (« external credit assessment institution » (ECAI)) pour déterminer le niveau de fonds propres approprié.
Cet agrément, difficile à obtenir afin de garantir le système Bâlois, est basé sur des critères d’objectivité, d’Independence (elles ne doivent pas être des institutions publiques, ni compter des banques dans leur actionnariat), de transparence (information du public) et nécessite un niveau de ressources (financières ou humaines) suffisant pour mener à bien leurs missions.

Aux moments des discussions de Bale II auxquelles elles n’ont pas participé, les agences elles-mêmes se sont montrées opposées à leur instrumentalisation qui ne pouvait se traduire que par plus de régulation.
Certaines agences sont spécialisées dans certains marchés, par exemple Canadian Bond Rating Service, ICRA (Investment Information and Credit Rating Agency of India), MicroRate (notation de micro-crédits).
Au total, en 2010, 150 agences de notations financières étaient répertoriées dans le monde mais peu d’entre elles ont une vocation mondiale (notant banques et sociétés industrielles transnationales ou des pays souverains) : 7 en 1975, mais plus que 3 en 2004 surnommées « The Big Three » :

Les agences de notation : thermomètres ou détonateurs de la crise

Les limites du système actuel

La transparence et l’indépendance de l’évaluation étant devenues un enjeu majeur pour les marchés financiers, plusieurs critiques sont apparues dans le sillage de récentes crises : ENRON, Subprimes, crise Grecque.

Par exemple, certains observateurs notent que les 3 grandes agences auraient des méthodes en défaveur du droit Français par rapport  au droit anglo saxon ce qui soulève un problème de concurrence puisqu’un avantage pourrait exister, en fonction du système juridique dans lequel l’opérateur évalué évolue.
Plus généralement le système est perçu comme opaque. L’argument le plus souvent mis en avant est le financement de l’évaluateur par l’évalué (les institutions privées payent pour être notées mais le service est gratuit pour les états), source d’éventuels conflits d’intérêt.
Risque accru dans le cas de notation de produits structurés pour lesquels la notation se fait a priori, contrairement à la notation d’une obligation d’entreprise : l’agence entre avec la banque d’affaire dans le processus de structuration du crédit. En d’autres termes l’agence est conseillère et évaluateur.
Ce type de conflit d’intérêt est inévitable dès lors que le crédit structuré est fait de gré à gré et non sur un marché organisé.
De plus, ce type d’opération fait l’objet de contrats spécifiques (pas de contrats cadre) rédigés par une poignée de cabinets d’avocats spécialisés omniprésents. Les agences travaillent donc avec les mêmes cabinets d’avocat sur différentes opérations, ce qui peut être également source de conflits d’intérêt.
Le manque de transparence en ce qui concerne la méthodologie utilisée par les 3 grandes agences (notamment dans le processus de création de la note) est également montré du doigt, en particulier le caractère non systématique et peu procédurale des méthodes utilisées.
Remarque d’autant plus vraie en matière de titrisation : le dialogue entre émetteurs et agences prépondérant dans la procédure de calcul de la note finale peut sembler faussé, les agences s’appuyant principalement sur les conseils juridiques des émetteurs qui par ailleurs rémunèrent eux même les agences.

Le paradoxe qui consiste à noter que la répétition des crises n’a jamais été aussi importante sur les marchés desintermédiés que depuis l’émergence de ces organismes censés les anticiper et guider les investisseurs, alimente le débat sur leur responsabilité.
Par exemple, lors de la crise dite des subprimes, il leur a été reproché le fait de ne pas avoir   correctement évalué le risque des produits structurés incriminés.
En réalité cette crise a mis en lumière le fait que l’évaluation de ces produits apparait comme structurellement inefficiente: les agences ont bien évalué les produits structurés en question mais elles l’ont fait comme s’il s’agissait de pool de crédits indépendants présentant chacun un faible risque.
Or ces produits étant en fait adossés à un risque commun (l’immobilier), lorsque les taux d’intérêt ont augmenté et que le prix de l’immobilier a baissé, les produits constituant le pool de crédit ont réagis comme un ensemble homogène et leur valeur a chuté entrainant une contagion de la crise de liquidité à l’ensemble du système bancaire.
Le problème de nature des modèles d’évaluation qui prennent très mal en compte les facteurs macro économiques de risque est donc apparu au grand jour.
Nonobstant ce constat, les agences  apparaissent comme les protagonistes ayant le moins dysfonctionné durant cette crise. Des manquements plus flagrants étant apparus concernant les autres acteurs (régulateurs, émetteurs des crédits, repackageurs des crédits…). D’autant que ce fut une crise de liquidité et que l’évaluation du risque de liquidité n’entre pas dans leur prérogative.
Autre exemple : il a été reproché aux agences d’avoir maintenu une bonne notation pour Enron jusqu’à 4 jours avant sa faillite, d’où une question légitime sur leur indépendance.
Enfin lors de la récente crise de la dette publique Grecque, leur rôle dans l’alimentation de la spéculation des marchés financiers a été dénoncé.
Au delà de la responsabilité réelle ou supposée des agences de notation dans les crises successives, c’est l’absence de responsabilité juridique qui apparait comme le dernier argument de poids des opposants au système actuel.
Le statut actuel des agences de notation ne permet pas aux autorités publiques de prononcer une quelconque sanction administrative que ce soit la SEC aux Etats Unis ou L’AMF en France.
Cette absence de sanction rendant inopérant tout type de contrôle et quasi inutile toute mise en cause des agences.

Vers un nouveau système de notation

La multiplication des critiques et la remise en cause du système de notation actuel ont abouti à une réflexion globale, certains prônant une meilleure régulation du système actuel, d’autres sa refonte totale.
En matière de régulation, par exemple, dès le 10 septembre 2007 le président Sarkozy et la chancelière Merkel ont rédigé une déclaration commune visant à mieux encadrer les organismes de notation. L’idée étant d’encadrer leur méthodologie plus que leur statut ou leur nombre.
L’axe d’amélioration principal qui revient le plus souvent consiste à durcir les règles en matière de conflit d’intérêt afin d’éviter que les agences se retrouvent en situation de juge et partie.
Par ailleurs, l’idée d’imposer des standards plus exigeants en matière de contrôle des informations fournies aux agences de notation a également émergée.
Un autre axe d’amélioration concerne les banques centrales qui pourraient alerter lorsque le prix d’un actif deviendrait manifestement irrationnel (les principaux marchés ont des données historiques longues qui permettent de calculer des valeurs fondamentales de long terme permettant de voir quand le marché s’emballe).

La surveillance des agences par les autorités de marché (déjà le cas aux USA depuis 2006 (Credit rating agency reform act), est également à creuser du coté de l’union Européenne.
Plusieurs propositions ont trait spécifiquement au processus de titrisation et visent en premier lieu à permettre une plus grande transparence des méthodes de notation et du rôle exacte des agences dans ce cadre.
Par exemple apparait l’idée d’une différenciation marquée entre métriques de notations obligataires et structurés soit par l’adoption d’une échelle de notation spécifique aux produits structurés soit en complétant la notation existante avec une mesure de sa volatilité en période de stress de marché ou de stress de liquidité.
En ce sens, les agences elles même réfléchissent à la mise en place d’une notation spécifique du risque de liquidité et ce, malgré la difficulté de l’exercice.
La question du Business model des agences est également un élément de réflexion qui s’articule autour de deux points essentiels : le statut des analystes et l’abandon du principe « évalué payeur ».

En ce qui concerne l’évolution du statut des analystes de crédit au sein des agences, il s’agirait d’aller vers une professionnalisation qui entrainerait le régime de responsabilité et les attributs qui en découlent  (formation spécifique, méthodologie). Cependant, il est difficile de distinguer des analystes de crédit sous prétexte que ceux-ci travaillent pour des agences de notation.
Les réflexions autour de l’abandon du système « évalué payeur » ont débouché sur deux idées :

  • soit ce sont les investisseurs qui paieraient pour connaitre la note de telle entreprise (ce qui de facto, ferait disparaitre le caractère public des notes)
  • soit les agences deviennent un service public dans lequel les investisseurs paieraient un forfait  pour un service qu’ils seraient obligés d’accepter (les agences travailleraient sous la tutelle d’une autorité qui pourrait imposer ses méthodes et ses moyens).

Dans ce sens l’idée de la création d’une agence de notation Européenne a été émise au printemps par le chef de file des ministres des finances de la zone euro Jean-Claude Juncker et reprise dans la foulée par Angela Merkel. L’argument principal étant qu’une telle agence permettrait d’apporter « une compréhension de base » des mécanismes économiques, différente de celle des agences existantes, plus orientée vers « la pérennité » de l’économie et moins vers le court terme.

Enfin, certains économistes s’opposent à une trop forte régulation du système qui conduirait à déresponsabiliser tous les acteurs alors que le risque d’erreur serait toujours présent, mais lui préfèrent l’idée de redonner la responsabilité aux banques et aux investisseurs d’évaluer leurs contreparties ou les crédits qu’elles contractent.
Pour eux, plus il y aura de réglementation, et plus il y aura un risque de dégradation de la notation : il n’y aura plus le garde fou de la réputation, et le risque d’effet GOODHEART (le système va optimiser en fonction d’indicateurs standards qui n’auront donc plus aucune valeur) serait bien réel.
De plus, si la méthode est normalisée alors une éventuelle erreur dans la méthode sera généralisée.

Le problème ne vient pas tant de la notation mais plutôt de l’utilisation qui en a été faite aussi bien par les régulateurs que par les acteurs du marché (banques, investisseurs…), en transformant une simple opinion censée éclairer la prise de décision en une quasi certification.

Sia Conseil


Tags :

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sia Conseil 159 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines