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Xabi Molia, Avant de disparaître, Seuil

Publié le 25 octobre 2011 par Irigoyen
Xabi Molia, Avant de disparaître, Seuil

Xabi Molia, Avant de disparaître, Seuil

Ecrivain, scénariste, réalisateur, Xabi Molia est de ces êtres que la dispersion artistique n'effraie pas, bien au contraire. N'étant pas cinéphile, je ne vous dirai rien de Huit fois debout, son premier long-métrage avec Julie Gayet et Denis Podalydès sorti il y a deux ans et primé à l'étranger. En revanche, je connais mieux Xabi Molia l'écrivain qui signe, en cette rentrée littéraire, son cinquième livre dont voici le début :

La nuit est en train de tomber. Des hommes pressés rentrent chez eux. Sur le boulevard, une pluie fine trempe les trottoirs boueux et les abris en toile. On devine des silhouettes dans le halo de quelques lanternes, à l'intérieur des tentes. L'air humide s'épaissit par endroits. Des bancs de brume dérivent, effaçant les contours des immeubles et happant les derniers passants, des figures noires qui semblent marcher sans but dans une plaine vide. Je longe les baraques adossées au mur de l'usine. Une jeune femme, son parapluie devant elle, me heurte et me salue en risquant un air de débauche sur son visage aux traits tirés. La pluie ruisselle dans son cou. Je lui donne une cigarette, qu'elle allume sous son parapluie, en s'éloignant sans un mot.

On notera d'emblée une succession de plans dont la noirceur plonge le lecteur dans une France au régime autoritaire, en proie à une épidémie. Roman d'anticipation direz-vous ? Pas sûr quand on lit Xabi Molia décidément toujours concerné par les problèmes de son temps – rappelons-nous Reprise des hostilités - :

La reconstruction du pays commençait à peine lorsque l'épidémie se déclara. Après plusieurs années d'effondrements boursiers, de banqueroutes et de plans de rigueur, de grandes grèves, de pénuries qu'on croyait réservées à des républiques lointaines, d'attentats politiques et de combats de rue dans des quartiers autrefois respectables, on s'apaisait enfin, on reprenait espoir. Les indicateurs de croissance, comme des astres, s'alignaient. Au Parlement, le programme de réconciliation nationale venait d'être adopté. On s'était solennellement engagé à rétablir dans leurs droits des concitoyens que, dans un moment d'égarement collectif, on avait déchus de leur nationalité pour des motifs divers, tandis que leurs persécuteurs, accusés d'avoir cédé à la colère aveugle qui vous submerge dans des moments de désespoir (la crise en était un), bénéficiaient de mesures d'amnistie. Le Président, sobre, grave et repentant, portait ce renouveau. Il n'y aurait plus de bouc émissaire ; on se sauverait par la concorde : ensemble était le maître mot.

Antoine et Hélène étaient ensemble eux aussi mais ils ne le sont plus. La compagne de ce médecin vivant dans un appartement communautaire a disparu du jour au lendemain, ne laissant aucune trace derrière elle, du moins dans un premier temps. A-t-elle été tuée ? Qui lui en voudrait ? Peut-être ceux qui n'ont jamais supporté le héros de bande-dessinée auquel elle a donné naissance et dont les aventures peuvent être comprises comme une critique du régime. Sa disparition aurait-elle un lien avec l'épidémie d'altrisme – et non altruisme - qui frappe de plein fouet le pays et dont les symptômes sont le contraire même d'un amour pour autrui ?

Les sujets souffraient d'abord de fortes fièvres et se plaignaient en râlant de fluxions pulmonaires, qui les clouaient au lit. Puis, au bout de quelques jours, alors que la fièvre baissait, de vives douleurs musculaires, des convulsions, leur arrachaient de longues plaintes rauques. L'altération commençait. Leur peau se couvrait par endroits de taches sombres tirant sur le violet. Des débris squameux apparaissaient sur leurs paupières, et les infectés perdaient au même moment leurs cheveux par poignées. Traversés de soubresauts, les muscles des bras et des jambes se raidissaient, la salive moussait au coin des lèvres, les ongles devenaient des griffes, le visage un masque grimaçant où brillaient leurs yeux vitreux. Les malades entraient alors dans un état flegmatique pendant lequel, recroquevillés sur leurs lits, ils poussaient quelques grognements et paraissaient dormir. Puis ils se jetaient sur les hommes, les tuaient, les dépeçaient.

Ecrit avant l'émergence du mouvement des Indignés, ce livre arrive néanmoins à capter un esprit de révolte qui bouillonne en ce moment chez de nombreux citoyens révoltés par l'inconscience des financiers et leur quête du toujours plus.

L'intérêt du propos, me semble-t-il, n'est pas de pencher pour l'un ou l'autre. Les malades d'altrisme n'ont pas raison, pas plus que le pouvoir, qu'il soit politique ou économique. Entre ces deux extrêmes, il y a le peuple qui subit la réalité de plein fouet. Antoine en fait partie, comme Sélim son assistant, Chenowitz ou encore Aslan. On peut lire ce roman comme un hommage rendu au peuple – c'est un gros mot aux yeux de nombreux éditorialistes -, à sa capacité à encaisser les coups durs, à maintenir une vie en commun malgré le chaos :

Dans Paris, depuis que les infectés nous encerclent, les gens ont besoin, pour se sentir proches, d'obtenir des inconnus quelque chose comme un aveu, au sujet de leur passé, de leur vie secrète, de leurs convictions intimes.

Tout concourt a priori à ce qu'Antoine ne puisse pas enquêter sur la disparition de sa femme. Mais il maintient le cap, faisant fi d'une guerre entre son pays et l'Amérique, passant outre le danger sanitaire, ignorant le président Bel qui fait son show en se mêlant incognito à la population pour prendre son pouls ou qu'il tente de relayer sa propagande via Radio-Paris – c'était aussi d'une station durant l'occupation allemande en France, Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand -. Antoine veut savoir et rien ne peut l'arrêter :

Je ne demande pas à comprendre ce qui s'est passé. Je n'exige même pas qu'elle revienne. Mes besoins sont plus modestes : je veux des faits. Ensuite, peut-être, l'ordre reviendra dans ma tête. Ce qui s'est passé, je le mettrai à la place manquante de cette nuit où elle a disparu. Je cherche la tranquillité d'esprit.

Antoine a quelque chose d'héroïque, en ce sens qu'il ne dévie pas de son chemin même lorsqu'il comprend que le commissaire chargé de l'enquête n'est pas à la hauteur, ce qui le contraindra à faire appel à un détective privé, Archer. Il ira jusqu'au bout même quand il devra partager l'intimité d'une certaine mademoiselle Caron à laquelle les autorités ont décidé d'attribuer le logement vacant d'Hélène.

Le personnage apprendra bien tard ce qui s'est passé, preuve que son aveuglement perdure. Aveuglement par rapport à sa compagne Hélène chez qui il ne suspecta jamais rien mais aussi par rapport à son fils, Baptiste qui refait surface à la fin du livre, une fois achevés ses deux ans sous les drapeaux, plus décidé que jamais à régler ses comptes avec son géniteur :

tu as menti toute ta vie, tu t'es caché la vérité, c'est ton tour de souffrir.

Cette enquête mènera Antoine très loin : géographiquement sans doute mais aussi psychologiquement. Et c'est peut-être ce que sous-tend ce roman haletant de Xabi Molia : il n'y a pas de place pour l'inattention. Gare à celui ou celle qui baisse la garde. Il faut exercer son pouvoir de citoyen et se méfier de ceux qui prétendent parler au nom du peuple :

Le temps des prophètes est fini. L'art ne peut rien. Rien de rien. L'art est trop faible et n'a aucune emprise. C'est par l'action qu'on se sauvera.

Comme cette piqûre de rappel est jouissive !


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