Magazine Culture

Le rôle de la veille dans une démarche d'innovation (3/3) : La veille comme moteur de l'innovation

Publié le 26 octobre 2011 par _

acceleration

Finalement, le détour théorique par Oded Shenkar (voir ici) appuie l'idée selon laquelle la veille serait un moteur de l'innovation. Cela ouvre le champ d'une vision pragmatique de l'innovation laquelle, comme tout processus dans l'entreprise, aurait besoin d'inputs pour fonctionner. Malgré tout, une simple approche processus de l'innovation ne suffit pas pour comprendre le passage de la veille à l'innovation. Il faut faire intervenir la fonction « créativité ». C'est elle en effet qui assure la transformation d'un repérage de la veille en idée innovante – c'est-à-dire en idée créatrice de valeur pour l'entreprise. Dès lors, la gestion et le management des idées semblent au moins aussi essentiels que l'alimentation systématique en inputs exploitables.

L'accélération de l'innovation par la veille


Dans son article « La veille, outil de l'innovation1 », François Libmann envisage la possibilité d' « innover à partir des innovations ». Le principe : « il faut faire l'effort d'analyser les innovations détectées et en particulier leur « principe de fonctionnement » […]. On pourra alors voir quel est l'intérêt de ce principe de fonctionnement, et comment, éventuellement modifié, il pourrait se concrétiser de diverses façons2 ». Nous sommes bien ici dans cette capacité d'innover par l'imitation grâce aux apports de la veille. Mais l'auteur rajoute : « C'est une démarche de créativité visant à générer de nouvelles idées qui doit être menée de façon rigoureuse. Elle peut alors générer un nombre important d'idées intéressantes avec un ratio idées intéressantes / idées générées très largement supérieur à ce que l'on obtient avec un simple brainstorming mené de façon classique ». Voilà donc l'apport de la veille par rapport à un processus d'innovation classique : l'augmentation des idées pertinentes. La veille serait en ce sens un accélérateur de l'innovation.

L'innovation apparaît ainsi comme le produit d'une démarche de veille et d'une démarche de créativité orientée par les résultats de la veille. La veille dans ce contexte a un rôle moteur dans l'innovation et est donc connectée avec la capacité de l'entreprise à rester pérenne dans la compétition économique. « Mettre en relation veille et innovation, c'est penser à un type de configuration particulière où l'exploitation des données, de la documentation et de l'information, par le biais d'activités spécialisées, est en relation directe avec des enjeux majeurs de l'entreprise, ce qui la conduit d'autant plus à rechercher opérationnalité et efficacité3 ». Si l'innovation peut se passer de la veille, il semble donc que la veille ait son sens dans sa relation à l'innovation.

Malgré tout cet accélérateur de l'innovation qu'est la veille n'a de sens que dans une structure capable de convertir les idées innovantes en opérations effectives. Pour résoudre ce problème, la démarche de créativité doit être collective et être pratiquée directement par les métiers en lien avec l'innovation résultante. En effet, qui mieux que les métiers eux-mêmes pour apercevoir les conditions opérationnelles d'une innovation ? C'est ce que veut dire Muriel Séménéri, responsable Veille & Innovation chez Essilor Internationnal, lorsqu'elle déclare : « Couplée à des démarches collectives, la veille permet la transformation de l'information en pistes d'action4 ». Dans l'idéal, l'ensemble des collaborateurs devraient être intégrés à une démarche de créativité systématique à partir de repérages de veille, ce qui permettrait à l'innovation résultante de trouver rapidement des responsables en charge de sa mise en œuvre. Le veilleur devient alors une sorte d'intermédiaire capable d'apporter des informations pertinentes à des métiers et de faire transformer cette information en innovation opérationnelle par l'échange et l'intégration de tous à une démarche de créativité collective et orientée.

Au final, si on part du principe que la veille n'a de sens que dans une démarche d'innovation opérationnelle, le veilleur ne peut pas se contenter de fournir des informations, il doit assurer la transformation de ces informations par l'échange et une démarche collective de créativité qu'il aurait pour mission d'animer. Cette vision n'est pas sans analogie avec le processus de création de connaissances organisationnelles de Ikujiro Nonaka qui repose notamment sur des champs d'interaction et des réflexions collectives au sein de l'entreprise5. Et c'est bien ce qu'il veut dire lorsqu'il écrit : « la création de connaissances alimente l'innovation mais les connaissances en soi ne le font pas. En d'autres termes, le processus par lequel les nouvelles connaissances sont créées dans l'organisation – sous la forme de nouveaux produits, services ou systèmes – devient la pierre angulaire des activités innovantes6 ». Les repérages seuls du veilleur ne suffisent pas à accélérer l'innovation. Il faut que ces repérages prennent place dans un dispositif plus général de créativité et d'opérationnalité qui ne peut être assuré que par la transversalité de la veille et sa capacité à mobiliser des équipes métiers.



Le cycle de l'innovation


Le passage de la veille à l'innovation est donc assuré par l'implication des métiers dans des démarches de créativité qui rend ainsi possible l'opérationnalité des idées innovantes. La veille est un moteur de l'innovation dans sa capacité à fournir des inputs exploitables à des métiers préparés et habitués à des réflexions créatives. L'innovation devient alors un processus maîtrisable dans lequel la veille joue un rôle central.

Une fois définis des axes de recherche, une entreprise peut donc mettre en place un dispositif d'innovation en continu avec une fonction « veille » et une fonction « créativité » fortement orientée métiers. L'opérationnalité résultante permettant à son tour de redéfinir des objectifs de surveillance pour la veille car « à mesure que l'on avance dans la démarche d'innovation, les sujets de veille évoluent naturellement » comme « réciproquement les informations recueillies par la veille ne sont, au moins pour certaines d'entre elles, pas sans influence sur la démarche d'innovation7 ». Ici on peut donc construire un cycle de l'innovation dans lequel la veille trouve tout naturellement sa place :

cycle innovation

Ce cycle assure un processus d'innovation maîtrisable et autonome de la définition des axes de recherche relatifs au contexte stratégique de l'entreprise jusqu'au lancement de projets innovants. Précisons également que ce cycle est horizontal. Sa fonction première n'est pas de répondre aux questions ad hoc de la hiérarchie, mais d'impulser au sein des métiers un esprit d'innovation par l'imitation. On peut dès lors comprendre le rôle de la veille dans une démarche d'innovation.


___________________________________________________

1François Libmann, « La veille, outil de l'innovation » in Documentaliste – Sciences de l'information, vol. 48, n°1, 2011, pages 38-40

2Ibidem, page 40

3Alpha Diallo, Corinne Dupin, «L'entreprise innovante : un espace privilégié de veille... et d'intelligence » in Documentaliste – Sciences de l'information, vol. 48, n°1, 2011, pages 35-36

4Encadré page 35 dans : Documentaliste – Sciences de l'information, vol. 48, n°1, 2011

5Ikujiro Nonaka, Hirotaka Takeuchi, La connaissance créatrice, De Boeck, 1997

6Ibidem, page 256

7François Libmann, « La veille, outil de l'innovation » in Documentaliste – Sciences de l'information, vol. 48, n°1, 2011, page 40


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


_ 104 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte