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L'Occident : une frontière mentale (suite et fin)

Publié le 28 octobre 2011 par Egea

Suite et fin de ma série sur l'Occident... après ici 1 et ici 2

L'Occident : une frontière mentale (suite et fin)
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Là est le vrai trouble contemporain, cette interrogation ultime et existentielle de ce qu’est l’Occident, dont les limites sont si imprécises qu’elles passent au travers des individus au lieu de séparer des groupes. Peut-être faut-il y voir la raison de l’appétence actuelle à fabriquer de l’ennemi : ce fut un temps Huntington, avec sa théorie partielle du choc qui veut identifier en l’islam la nouvelle menace : on le crut un temps, jusqu’à comprendre que la « guerre globale contre la terreur » menait aux pires impasses, et que le printemps arabe contredisait les hypothèses du raisonnement. On le croit aujourd’hui, avec cette notion d’émergence qui n’a pas encore reçu sa théorie, mais qui semble si pratique pour donner naissance à un nouveau clivage, enfin un qui redonnerait du sens à cet Occident à la recherche de lui-même.

Hélas ! Hélas ! Trois fois hélas ! L’émergence ne donnera pas plus satisfaction car elle n’est caractérisée que par une chose, sa diversité. Certes elle prend plaisir à tailler des croupières et prendre sa revanche, mais elle ne propose rien, aucun projet alternatif, aucune structuration du monde, refusant les responsabilités. Et regardez son inquiétude récente à voir l’Occident vaciller, qu’il s’agisse du déclin américain ou de l’incertitude européenne. L’émergence est encore une construction d’Occidental, encore une de ses névroses.

C’est ici qu’il faut parler de désoccidentalisation : non pas seulement la moindre maîtrise du monde par l’Occident, ainsi que l’exprime brillamment Karim El Karoui , mais la perte de la substance occidentale par l’Occident lui-même. Car l’Occident n’est plus chrétien, même s’il est encore de culture chrétienne et qu’il devrait soigner ces racines ; il n’est plus démocrate, puisque ses systèmes politiques semblent inefficaces ; il n’est plus libéral, puisque tout le monde pratique, avec des accommodements et des corruptions latentes, le système de l’économie de marché, et que les crises de 2008 et de 2011 en interrogent le bien-fondé ; il n’est plus triomphant, puisqu’on sait aujourd’hui que la puissance militaire, technologiquement centrée, n’est conçue que pour un combat qui n’aura pas lieu ; il n’est plus ce lieu des peuples blancs, puisque l’Amérique va au Pacifique et menace d’imploser, quand l’Europe ne cesse d’hésiter et hésiter encore sur ce qu’elle est et ce qu’elle doit faire. L’Occident n’est pas seulement dissolu : il est dissous.

L'Occident : une frontière mentale (suite et fin)

Au fond, la seule frontière qui reste à l’Occident est celle de la peur, conformément à l’intuition de Dominique Moïsi . La seule frontière qui reste est cette frontière mentale d’un Occident saisi par un doute ontologique, qui dépasse le simple sens critique qui fit longtemps sa force : doute devant le réveil du monde, finalement plus complexe qu’on avait cru le penser ; doute de l’apprenti sorcier qui a éveillé un monstre qui se met à danser, un marteau sans maître qui menace de frapper son créateur. Au fond, doute devant la croissance des autres : croissance économique, au travers de cette fascination pour la Chine, sans voir les fragilités de celle-ci ; croissance de la foi, face à cette fascination morbide pour l’islam, animé d’une foi si surprenante désormais pour un occident athée, sans voir que l’islamisme est un modernisme ; fascination pour la croissance démographique du sud et ce fantasme de l’immigration régulée, sans voir que le sud, justement, est en fin de transition démographique et que son alphabétisation et sa féminisation constituent autant d’opportunités à saisir.

Cette frontière est mentale, mais a des effets réels. Elle explique tous les raidissements « populistes » en Europe ou aux Etats-Unis ; elle explique surtout les constructions des murs, qui barrent l’horizon de bien des frontières : barrière d’Arizona et du Nouveau-Mexique, clôtures de Schengen, bordures électrifiées des présides espagnols de Ceuta et Melilla, mur de sécurité israélo-palestinien, zone démilitarisée entre les deux Corées… Parcourir tous ces murs dressés permet, finalement, de lever la carte des frontières de l’Occident, celles qui subsistent et traduisent non seulement des réalités politiques, mais des angoisses non soignées. Nous avons fêté la chute du mur de Berlin, pour aussitôt construire d'autres murs qui nous enferment autant

Nos frontières mentales se traduisent par des constructions réelles, qui nous enferment autant qu’elles nous protègent. L’Occident, autrefois sans limites, se retrouve aujourd’hui bien limité.

O. Kempf


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