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Fallait-il rendre hommage à Kadhafi ?

Par Jazzthierry

Faisant suite à la mort violente du colonel Kadhafi, une manifestation fut organisée vendredi dernier en plein coeur de Paris pour rendre hommage au défunt "Guide". Quand on écoute attentivement ces manifestants, on note qu'ils sont toujours prompts à dénoncer la désinformation que pratiqueraient les médias occidentaux dans le but j'imagine, de diaboliser la figure de Kadhafi, d'aveugler l'opinion publique et de légitimer une intervention militaire. J'ai relevé dans leur argumentation deux cibles principales et un éloge: l'OTAN qui serait une bande de terroristes; le CNT, un groupe de mercenaires alors que tout le peuple libyen serait en réalité derrière le regretté Kadhafi.

Le premier élément qui me gêne d'emblée, c'est que personne ne parle du Printemps arabe, alors qu'il me semblait que l'insurrection libyenne s'inscrivait d'abord dans ce que certains appellent d'une belle expression d'ailleurs "le 89 arabe"; "89" auquel Kadhafi voulait sinon mettre un terme pour éviter son expansion à d'autres pays de la région, du moins exclure la Libye de la "contagion". Le paradoxe c'est que toutes ces dictatures qui tombent les unes après les autres, sont apparues au lendemain des Indépendances et auraient dû en toute logique, poursuivre ce mouvement d'émancipation par une réelle démocratisation politique et sociale. Or c'est précisément le contraire qui s'est produit... On peut désormais considérer que le Printemps arabe ferme cette parenthèse des années 1960-70 (Kadhafi prend le pouvoir en 1969) en réalisant enfin, ce que toute une génération s'était seulement contentée de promettre... Au demeurant quand on prétend que cette intervention militaire n'est qu'une nouvelle guerre du pétrole, on fait fi de cette dimension idéologique et historique, indispensable pour penser l'événement.

Kadhafi était-il populaire en tout cas dans son propre pays ? Ceux qui l'affirment sur un trottoir parisien prennent à mon avis, beaucoup de risques car il est malaisé dans les régimes dictatoriaux d'évaluer la popularité du tyran, dans la mesure où par définition, l'opposition y est condamnée à la prison (dans le meilleur des cas...). J'ajoute que l'exil n'était pas du tout un gage de sécurité pour les opposants libyens car Kadhafi les pourchassaient inlassablement, les faisaient tuer y compris à l'étranger. On peut tout de même tenter de mesurer l'impopularité du "Guide", par le nombre d'opposants qu'il suscite. Si l'on met de côté les tribus favorables au régime, et parmi celles-si surtout la Kadhadfa (avec environ 125 000 membres, disposant de la plus grande armée) ou bien d'autres tribus dont Kadhafi achetait la fidélité, on trouve: la tribu farouchement hostile des Warfallas, concentrée dans l'Est du pays et qui compte tout de même un million de membres (sur une population de 6 420 000 hab. en 2009); les Berbères du massif de Nefoussa, dans l'Ouest (qui sont des adversaires historiques du régime); la tribu des Zaouayas dans le Sud-Est; la majorité des 500 000 Touaregs, etc. A côté de l'opposition politique en exil surtout représentée par le PU et le FNS, il existe également une opposition islamiste dont l'influence n'est pas à sous-estimer et qui se regroupe autour du GICL (Groupe islamique des combattants libyens). Leur prestige est important car dans les années 1990, ils furent les seuls à combattre le régime (la répression fut d'ailleurs particulièrement sanglante en 1993 et 1998). En bref, Kadhafi était populaire dans sa tribu, sa famille, parmi les gens dont il achetait la loyauté, et dans la rue parisienne du premier arrondissement...

Qu'en est-il du CNT, décrit ici comme une organisation de mercenaires ? Pour ma part, je vois que le Conseil nation de transition est dirigé par l'ancien ministre de la Justice, Mustapha Abdeljalil; que parmi les plus actifs, on compte d'anciens membres de gouvernement, de l'armée, des comités révolutionnaires liés au tribus dissidentes que j'évoquais, etc. Comme l'indique son nom, ce conseil assure une période transitoire et doit avec toutes les difficultés qu'on imagine, organisé à l'instar de la Tunisie, une Assemblée constituante. Le CNT a aujourd'hui probablement plus besoin de nos conseils et nos encouragements que d'une critique fondée sur l'ignorance.

Quant à l'Otan, que l'on présente comme "une organisation terroriste quasiment depuis sa fondation", on peut dire qu'elle a bon dos. l'Otan a toujours été une bureaucratie extrêmement fragile, créée pour assurer la sécurité collective dans le contexte de la guerre froide, et dont l'avenir malgré les réformes récentes (son élargissement à 28) est relativement incertain. Elle a finalement participé a très peu d'interventions purement militaires depuis un demi siècle: je ne vois que le Kosovo en 1999, puis l'Afghanistan et enfin la Libye. En réalité, dans la situation actuelle, l'Otan est une simple étiquette car les pays européens d'une part ne peuvent plus intervenir de façon unilatérale (au moins depuis la crise de Suez de 1956), sans qu'on les accuse immédiatement de mener une entreprise néocolonialiste, et d'autre part, ont besoin de la logisitique américaine. Il faut donc avant de nous servir le discours antiaméricain ou antisionniste auquel on commence à être habitué sur l'Internet, se souvenir que ce sont d'abord les exactions commises sur la population civile par Kadhafi qui ont ému la communauté internationale. A la suite de quoi, le 15 mars 1973, la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l'ONU a autorisé l'instauration d'une "no fly zone" et le 19, La France, l'Angleterre et les Etats-Unis intervenaient militairement.


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