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L’origine française du laissez-faire

Publié le 31 octobre 2011 par Copeau @Contrepoints

Dans cet extrait de Capitalism, The unknown ideal, 1966, Ayn Rand nous rappelle l’origine historique de la notion de laissez-faire et sa vertu doctrinale.

Par Ayn Rand
Document publié en collaboration avec l’Institut Coppet (*)

L’origine française du laissez-faire
Puisque la « croissance économique » est le grand problème de notre époque, et que notre gouvernement actuel promet de la « stimuler » – d’instaurer la prospérité pour tous par toujours plus d’interventions de l’État, tout en dépensant une richesse non encore produite – je m’interroge sur le nombre de personnes connaissant la réelle origine du mot laissez-faire ?

La France au XVIIème siècle, était une monarchie absolue. Son système a été décrit comme un « absolutisme limité par le seul chaos ». Le roi détenait un pouvoir illimité sur la vie, le travail et la propriété de chacun – et seule la corruption des représentants de l’État offrait au peuple une marge de liberté non-officielle.

Louis XIV était un archétype de despote : une médiocrité prétentieuse conjuguée à une ambition grandiose. Son règne est considéré comme une des plus brillantes périodes de l’Histoire de France : il a fourni au pays un « objectif national », sous la forme de longues guerres victorieuses ; il a fait de la France la puissance majeure et le phare culturel de l’Europe. Mais les « objectifs nationaux » coûtent cher. Les politiques fiscales de son gouvernement ont mené à une situation chronique de crise, résolue par une pression fiscale accrue, véritable saignée à travers une taxation en perpétuelle augmentation.

Colbert, principal conseiller de Louis XIV, était un des premiers étatistes modernes. Il était convaincu que la régulation gouvernementale pouvait engendrer la prospérité nationale et que seule la « croissance économique » pouvait permettre des taux d’imposition plus élevés ; alors il se consacra à rechercher « une augmentation de la richesse en encourageant l’industrie ». Cet encouragement consistait à imposer d’innombrables contrôles gouvernementaux, des circulaires régulatrices qui étouffaient l’activité ; le résultat fut un funeste désastre.

Colbert n’était pas un ennemi des affaires ; pas plus que ne l’est notre gouvernement actuel. Colbert souhaitait vivement aider les victimes sacrificielles à s’enrichir – et lors d’une occasion historique, il interrogea un groupe d’industriels sur ce qu’il pouvait faire de mieux pour l’industrie. Un industriel nommé Legendre lui répondit : « laissez-nous faire ! »

Apparemment, les industriels français du XVIIème siècle avaient plus de courage que leurs homologues américains du XXème et une compréhension plus fine de l’économie. Ils étaient conscients du fait que l’ « aide » gouvernementale au monde du travail est aussi désastreuse que la persécution gouvernementale et que la seule manière pour un gouvernement d’être utile à la prospérité de tous est de ne pas s’en mêler.

Prétendre que ce qui était vrai au XVIIème siècle ne peut plus l’être aujourd’hui, parce que nous nous déplaçons en avion quand ils n’avaient que des carrosses tirés par des chevaux, équivaut à dire que nous n’avons plus besoin de nourriture, comme c’était le cas dans le passé, parce que nous portons des imperméables et des pantalons en lieu et place de perruques poudrées et de jupes à volants. C’est cette sorte de superficialité de pacotille – autrement dit cette incapacité à saisir des principes, à distinguer l’essentiel du superflu – qui rend les gens aveugles au fait que la crise économique que nous traversons est la plus ancienne et la plus récurrente de l’Histoire.

Considérez l’essentiel. Si les interventions gouvernementales n’ont pu aboutir qu’à la paralysie, la disette et l’effondrement dans l’ère pré-industrielle, que peut-il se passer quand on reproduit ce schéma sur une économie hautement industrialisée ? Qu’est-il plus facile à réguler pour les bureaucrates : les opérations manuelles de tissage ou  des forges – ou les opérations dans les aciéries, les usines de productions d’avions et les complexités liées à l’avènement de l’électronique ? Qui est le plus susceptible de travailler sous la contrainte : une horde d’individus brutalisés effectuant des opérations manuelles ne nécessitant pas de qualifications ou un nombre incalculable d’individus doués de la créativité nécessaire pour construire ou maintenir une civilisation industrialisée ? Et si le Tout-État a déjà échoué dans le premier cas, de quel abîme d’auto-suffisance les étatistes modernes tirent-ils l’espoir de réussir dans le second ?

La méthode épistémologique des étatistes consiste à débattre éternellement de toutes sortes de sujets sans jamais les intégrer dans leurs interactivités, sans jamais se référer à des principes fondamentaux ou tenir compte d’effets pervers, induisant ainsi un état de désintégration intellectuelle de leurs sujets. Le but de ce verbiage fumeux est de masquer la disparition de deux fondamentaux : (a) que la production et la prospérité ne sont que les produits de l’intelligence humaine et (b) que le pouvoir d’un gouvernement est un pouvoir de contrainte par la force physique.

Une fois ces deux faits reconnus, la conclusion devient inévitable : l’intelligence ne fonctionne pas sous la contrainte, l’esprit humain ne peut fonctionner une arme braquée sur la tempe.

Voilà la question essentielle à considérer ; toute autre considération devient détail trivial par comparaison.

Les détails économiques d’un pays sont aussi variés que le nombre de cultures et de sociétés. Mais toute l’histoire de l’humanité fait la démonstration pratique du même principe fondamental, quelles que soient les variances dans leurs formes : le degré de prospérité, de réussite et de progrès humain est en directe corrélation avec le degré de liberté politique. En témoignent : la Grèce antique, la Renaissance, le XIXème siècle.

Dans notre ère, la différence entre l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est est une démonstration on ne peut plus éloquente de l’efficacité d’une économie (comparativement) libre face à une économie centralisée au point que toute discussion sur le sujet perd toute utilité. Aucun crédit ne saurait être accordé à un théoricien éludant ce constat, laissant ses implications sans réponse, ses causes non identifiées, ses leçons non retenues.

Maintenant, considérez le sort de l’Angleterre, « l’expérimentation pacifique du socialisme », l’exemple d’un pays qui s’est suicidé par le vote : il n’y a pas eu de violence, pas de bains de sang, pas de terreur, simplement le processus d’étranglement des libertés par un État omniprésent imposé « démocratiquement », mais, observez l’Angleterre se lamenter de la « fuite des cerveaux », du fait que les meilleurs hommes, les plus compétents, particulièrement les scientifiques et les ingénieurs, désertent l’Angleterre pour retrouver ne serait-ce qu’un reste de liberté sur n’importe quel point de la planète.

Souvenez-vous que le mur de Berlin a été érigé pour assécher une même « fuite de cerveaux » de l’Est vers l’Ouest ; souvenez-vous qu’après 45 ans d’économie totalement centralisée, la Russie soviétique, qui possède parmi les meilleurs terres agricoles au monde, est incapable de nourrir sa population et doit importer du blé de la semi-capitaliste Amérique ; lisez East minus West= zero de Werner Keller, pour une vision graphique (et irréfutable) de l’impotence de l’économie soviétique et ensuite jugez à cette lumière la question de la liberté opposée à l’étatisme.

Quel que soit l’objectif de celui qui compte s’en servir, la richesse doit d’abord être produite. En ce qui concerne l’économie, il n’y a aucune différence entre les mobiles de Colbert et ceux du président Johnson. Tous deux souhaitaient atteindre la prospérité pour tous. Que la richesse ainsi confisquée par l’impôt soit au bénéfice immérité de Louis XIV ou de celui des « personnes en grande difficulté » ne fait aucune différence en termes de productivité économique d’une nation. Qu’un individu soit enchaîné pour une « noble cause » ou une ignoble, au bénéfice du pauvre ou du riche, pour le bien d’un « dans le besoin » ou de l’avidité d’un autre, quand il est enchaîné, il ne peut être productif.

Il n’y a pas de différence dans le destin final de toutes économies liberticides, quelles que soient les justifications du liberticide.

Considérez quelques unes de ces justifications.

La création d’une « demande des consommateurs » ? Il serait intéressant de comptabiliser le nombre de maîtresses de maison munies de tickets de rationnement nécessaire pour atteindre le niveau de « demande consommateur » de madame de Maintenon et de son large entourage.

Une distribution « juste » des richesses ? Les favoris et privilégiés de Louis XIV ne jouissaient pas d’un avantage plus injuste sur les autres que nos « bourgeois-bohème », variantes modernes de Billie Sol Estes ou Bobby Baker.

L’avancement de notre progrès « culturel » ou « spirituel » ? Il est assez improbable qu’un projet théâtral subventionné par l’État puisse jamais produire une œuvre de génie comparable à celle soutenue par la cour de Louis XIV dans son rôle de « patron des Arts » (Corneille, Racine, Molière, etc.). Mais nul ne pourra jamais comptabiliser les génies potentiels que ce type de système aura détruit parce qu’ils auront refusé d’apprendre l’art du léchage de bottes qu’exige tout patron politique des Arts. (Lisez Cyrano de Bergerac).

C’est un fait est que les mobiles n‘altèrent pas les faits. L’exigence incontournable de la productivité et de la prospérité d’une nation est la Liberté ; l’homme ne peut et ne produira pas moralement sous la contrainte et les contrôles.

Il n’y a rien de neuf ni de mystérieux dans les problèmes économiques d’aujourd’hui. Tout comme Colbert, le président Johnson fait appel à divers groupements économiques, cherchant conseil quant à ce qu’il peut faire pour eux. Et s’il ne souhaite pas laisser une trace identique à celle de Colbert dans l’Histoire, il serait bien avisé de prendre en compte le point de vue d’un Legendre des temps modernes, s’il en est un, qui pourrait lui donner le même conseil immortel en un seul mot : « dérèglementez ! »

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Sur le web.

(*) Traduction Chris Drapier, Institut Coppet


Lire aussi :
L’article de wikiberal consacré au Laissez-faire.


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