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Les Lorettes, boule-rouge, essuyeuses de plâtres, cascadeuses, maquillées, casinettes, petites dames, filles de marbre, pré-catelanières, musardines, musettes, noceuses ...

Par Richard Le Menn

boulerougejeunesfillesrecadree300lm Photographies 1 à 3 : Estampe du XIXe siècle : « QUARTIER DE LA BOULE ROUGE. Le soir où il n'y a ni Ranelagh, ni Mabille, ni Château-Rouge. » Mabille, Ranelagh et Château-rouge  sont trois célèbres maisons de bals du XIXe siècle. Les deux avant-dernières photographies de l'article La contredanse et la valse ainsi que la fin de celui-ci décrivent comment on danse alors dans ces lieux. © Photographies LM.
Photographie 4 : Illustration intitulée « La lorette » du chapitre LXIV « Les grisettes et les lorettes » de Tableau de Paris d'Edmond Texier de 1853 (tome second). © Photographie LM.
Photographies 5 et 6 : Illustration intitulée « Vue intérieure du Ranelagh » de Tableau de Paris d'Edmond Texier de 1853 (tome second). © Photographies LM.
Photographie 7 : Illustration intitulée « Vue générale du Château-Rouge, près la grande salle de bal » de Tableau de Paris d'Edmond Texier de 1853 (tome second). © Photographie LM.
boulerougejeunesfillesrecadreedetail1300lm Pendant des siècles Paris occupe une place importante dans la vie festive française et même mondiale : le monde entier venant s'y amuser, en particulier au XIXe siècle. La capitale s'agrandit alors énormément et de nouveaux quartiers se forment au-delà des anciens remparts (les boulevards) : quartiers de Notre-Dame-de-Lorette ou de la Boule-Rouge. De nouveaux immeubles sont édifiés qui ne demandent qu'à être remplis. Ces lieux modernes et peu chers sont investis par toute une jeunesse, en particulier féminine ; souvent issue de l'exode rural, et à qui on donne parfois le nom de ces quartiers : les 'lorettes' ou les 'boule-rouge'. Quelques-unes viennent à Paris pour y étudier ou travailler sérieusement ou pour y fonder une famille. D'autres sont en particulier là pour jouir de la vie parisienne et de ses attractions multiples : théâtres, cafés, parcs et surtout bals, ainsi que des rencontres qui peuvent s'y faire : un étudiant au futur prometteur, un lord ou un riche parisien cherchant un amour ou une maîtresse à entretenir, donnant la possibilité à celles-ci de s'enrichir rapidement par le mariage ou en devenant une demi-mondaine. Ces jeunes filles qui se placent donc entre les demi-mondaines et les grisettes qui sont toutes deux les sujets d'articles précédents, forment un nouveau genre. Elles sont jeunes, belles, assez séduisantes, un peu bohèmes et cherchant à profiter de la vie et des qualités que la nature leur a données.
boulerougejeunesfillesrecadreedetail2300lm D’après Alfred Delvau (1867), le nom de LORETTE daterait de 1840 et appartiendrait à Nestor Roqueplan. Edmond Texier dans son Tableau de Paris (1853) écrit que les possesseurs d’immeubles dans le nouveau quartier de Notre-Dame-de-Lorette, « consentirent à recevoir dans chaque maison, préalablement ornée d’un concierge, quelques-unes des ces vierges folles, actrices, grisettes dépaysées, femmes galantes de toute sorte, qui escomptent joyeusement l’avenir en dépensant leur jeunesse avec le plus de gaieté possible. La seule condition qui leur fût imposée consistait à garnir leurs fenêtres de rideaux, afin de simuler la population qui manquait alors. » D’où le nom d’« essuyeuses de plâtres » que l’on donne à certaines car habitant dans des immeubles fraîchement peints.
atableaudeparis1853lalorette300lm Le Dictionnaire de la langue verte (1867) définit ainsi l’ESSUYEUSE DE PLÂTRES : « Lorette, petite dame, parce que ce type parisien, essentiellement nomade, plante sa tente où le hasard le lui permet, mais surtout dans les maisons nouvellement construites, où l’on consent à l’admettre à prix réduits, et même souvent pour rien. C’est ainsi qu’on fait essuyer les ponts aux soldats. »
La lorette possède généralement un arthur : « un protecteur riche et généreux, doublé de quelques-uns de ces messieurs qu’on nomme les Arthurs, et sur lesquels elle ne perçoit que des contributions indirectes. » c'est-à-dire des entrées de théâtre s’il est feuilletoniste, des portraits et des toiles s’il est peintre. « plus souvent il appartient à la race estimable des commis dans les maisons de modes, et partage ses loisirs entre le canotage et l’adoration de la lorette. » Mais toutes les lorettes ne sont pas vénales. Il y en a de nombreuses sortes comme l’explique Maurice Alhoy (1802-1856) qui publie en 1841 une Physiologie de la lorette avec des dessins de Gavarni. L’arthur est plus un amant de cœur des petites dames comme l’est le greluchon pour une femme entretenue par un autre homme. Le Dictionnaire de l’Académie française datant de 1762 définit ainsi le greluchon : « Nom qu'on donne à l'amant aimé & favorisé secrètement par une femme qui se fait payer par d'autres amants. Il est familier & libre ».
atableaudeparis1853ranelagh300lm Une jeune femme qui préfère faire la fête plutôt que de travailler est appelée une NOCEUSE : « Drôlesse de n’importe quel quartier, qui fuit toutes les occasions de travail et recherche tous les prétextes à plaisir. » (Delvau, op. cit.). La MUSARDINE est plus spécifiquement « Habituée des Concerts-Musard, - où n’allait pas précisément la fine fleur de l’aristocratie féminine. Le mot a été créé par Albéric Second en 1858. » (Delvau, op. cit.). L'habituée de la musette est une MUSETTE. La PRÉ-CATELANIÈRE est une « Petite dame drôlesse, habituée de bals publics, - du pré Catelan et de Mabille. »
Les noms qualifiant la lorette sont nombreux, comme la CASCADEUSE qui d’après Alfred Delvau (Dictionnaire de la langue verte, 1867) est une « Fille ou femme qui, - dans l’argot des faubouriens, - laisse continuellement la clé sur la porte de son cœur, où peuvent entrer indifféremment le coiffeur et l’artiste, le caprice et le protecteur. » ou la MAQUILLÉE : « Lorette, casinette, boule-rouge, petite dame, - dans l’argot des faubouriens. ». Ce même dictionnaire donne une définition de la BOULE ROUGE : « Fille ou femme galante qui habite le quartier de la Boule-Rouge, dans le faubourg Montmartre. atableaudeparis1853ranelaghdetail300lm Comme les mots ne manquent jamais aux hommes pour désigner les femmes, - du moins une certaine classe de femmes, - ce nom, qui succédait à celui de lorette et qui date de la même époque, a été lui-même remplacé par une foule d’autres, tels que : filles de marbre, pré-catelanières, casinettes, musardines etc. ». On peut donc ajouter à la liste la FILLE DE MARBRE et la CASINETTE.
PÊCHE À QUINZE SOUS est une « Lorette de premier choix, - dans l’argot des gens de lettres, qui consacrent ainsi le souvenir du Demi-Monde d’Alexandre Dumas fils. »
Parmi tout cela, il y a la TRAVIATA : la « Fille perdue, dans l’argot des élégants qui n’osent pas dire cocotte. Introduit pour la première fois en littérature par l’Evénement (numéro du 1er octobre 1866). » Alfred Delvau donne aussi les définitions de la GIGOLETTE et du gigolo : « Gigolette, s. f. Jeune fille qui a jeté sa pudeur et son bonnet par-dessus les moulins, et qui fait consister son bonheur à aller jouer des gigues dans les bals publics, - surtout les bals de barrière. Je crois avoir été un des premiers, sinon le premier, à employer ce mot, fort en usage dans le peuple depuis une quinzaine d’années. J’en ai dit ailleurs (Les Cythères parisiennes) : « La gigolette est une adolescente, une muliéricule. Elle tient le milieu entre la grisette et la gandine, - moitié ouvrière et moitié fille. Ignorante comme une carpe, elle n’est pas fâchée de pouvoir babiller tout à son aise avec le gigolo, tout aussi ignorant qu’elle, sans redouter ses sourires et ses leçons. » « Gigolo, s. m. Mâle de la gigolette. C’est un adolescent, un petit homme. Il tient le milieu entre Chérubin et don Juan, - moitié nigaud et moitié greluchon. Type tout à fait moderne que je laisse à d’autres observateurs le soin d’observer plus en détail. » Puis le mot de gigolo désigne un jeune homme assez élégant d’apparence dont les manières et les moyens d'existence sont douteux, avant d’être associé dès le début du XXe siècle à un homme galant qu’on utilise pour danser et que les femmes mûres entretiennent afin de se montrer et coucher avec. Ces mots viendraient de 'gigue' qui désigne soit un instrument de musique, soit une danse, soit une grande femme maigre. On dit « danser la gigue ». Les définitions de gigolos et gigolettes sont donc originellement associées à la danse ; et dans la première moitié du XXe siècle, c’est surtout dans les dancings (comme certains de Montparnasse) que l’on rencontre les gigolos. 'Gigolo' désigne aussi un souteneur, et les gigolettes sont ses prostituées.
atableaudeparis1853chateaurouge300lm Les hommes peu instruits ou pauvres qui essaient de paraître élégants et dignes sont appelés des demi-messieurs ou des petits messieurs, alors que la PETITE DAME est une jeune femme qui se donne les manières d’une dame au XIXe siècle mais qui n’en a pas la classe bien que souvent d’autres attraits charmants. Les petites dames ont leurs manières et vocabulaire. Elles disent ‘bec’ au lieu de ‘bouche’, parlent de ‘lever un homme’, emploient le mot de ‘chic’, de ‘bichette’ comme petit nom d’amitié ou d’amour, birbette ou birban pour un archi-vieillard, leur compagnon est parfois appelé leur Arthur ...
Cette comédie parisienne du XIXe siècle est assez amusante avec aux extrêmes d’un côté ses grisettes, cousettes, lorettes, et de l’autre ses lionnes, lions, dandys, gants jaunes, gommeux, copurchics  … et puis toute la panoplie des demi-mondaines et femmes frivoles, sans compter les beaux, cocodès, cols cassés, petits crevés, bas bleus, gandins, jeune-France, mirliflors, pommadins, gommeux et tant d'autres . Évidement  la basse-cour qui est le sujet de cet article (la haute cour est associée aux demi-mondaines) ne sont pas ce qu'il y a de plus intéressant pour la mode : contrairement aux grisettes qui bien qu'assez pauvres sont très actives dans leur travail souvent associé à la mode, dans leur passion pour celle-ci, et dans leur façon de la divulguer et l'imaginer avec des 'riens' qui font tout le charme des parisiennes. Il est certain que la France du XIXe siècle, devenue de plus en plus bourgeoise, garde cependant un style créatif et une liberté de ton qui contribue à son charme.
On peut lire ici une Physiologie de la lorette par M. Maurice Alhoy avec des vignettes de Gavarni datant de 1841.

© Article LM


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