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J'ai découvert pour vous...

Publié le 01 novembre 2011 par Aurélien Boillot
LA TENTATION DE SAINT-ANTOINE (poème de Gustave FLAUBERT, 1874)J'ai découvert pour vous...« Quelle quantité ! Quelle variété ! Quelles formes ! Il y en a dans la mer, il y en a dans la terre, il y en a dans l’air ! … Mais je ne vois pas tout… Elles arrivent, elles tourbillonnent, elles s’amassent, les unes pareilles, les autres dissemblables, petites, grandes, horribles, mélodieuses ; leurs regards ont des profondeurs où mon âme tourbillonne, on dirait que ce sont des âmes. à quoi leur servent tous ces organes ? Comment vivent-elles ? Pourquoi tout cela ?
La drôle de chose ! La drôle de chose ! à mesure que saint Antoine regarde les animaux, ils grossissent, grandissent, s’accroissent, et il en vient de plus formidables et de plus monstrueux encore : le tragelaphus, moitié cerf et moitié bouc ; le phalmant couleur de sang, qui fait crever son ventre à force de hurler ; la grande belette Pastinaca, qui tue les arbres par son odeur ; le senagion, du pays de Dist, long d’un parasange ; le senad à trois têtes, qui déchire ses petits en les léchant avec sa langue ; le myrmecoleo, lion par devant, fourmi par derrière, et dont les génitoires sont à rebours ; le serpent Aksar, de soixante coudées, qui épouvanta Moïse ; le chien Cépus, dont les mamelles distillent une couleur bleue ; la poephaga, cavale aux vertes narines, qui porte une chevelure de femme à la crinière ; le porphyrus, dont la salive fait mourir dans des transports lascifs ; le presteros, qui rend imbécile par le toucher ; le mirag, lièvre cornu habitant des îles de la mer.
Et d’autres, confus, pêle-mêle, glissant comme l’éclair, emportés comme des feuilles sèches ; il arrive des rafales hurlantes, pleines d’anatomies merveilleuses. Ce sont des têtes d’alligators portées sur des pattes de canard, des cous de cheval terminés par des vipères, des grenouilles velues comme des ours, des hiboux à queue de serpent, des pourceaux à tête de tigre, des chèvres à croupe d’âne, des ventres ailés qui voltigent comme des moustiques, des caméléons grands comme des hippopotames, des poulets à quatre pattes, des veaux à deux têtes dont l’une pleure et l’autre beugle, des foetus quadruples se tenant par le nombril et valsant comme des toupies, des chameaux à cornes de bélier, des anguilles sur des pattes de chevreuil, des chats rouges mâchant des mains humaines, des grappes d’abeilles se défilant comme un chapelet, des plaques de teigne qui roulent comme des disques de gazon jaune, des corps de femmes ayant à la place du visage une fleur de lotus épanouie ; et puis des carcasses gigantesques remuant comme des rouages leurs articulations blanches, des végétations qui partent des poitrines telles que des rameaux de chair qui se divisent et s’entrecroisent, des aloès couverts de pustules roses, des limaces traînant leurs coquilles mouchetées, des polypes tout garnis d’yeux, s’accrochant par leurs bras, aspirant l’air par leurs trompes, contractant leurs gaines, ouvrant leurs trous dilatés, se gonflant, se développant, s’avançant.
Et ceux qui ont passé reviennent, ceux qui ne sont pas venus arrivent, ils tombent du ciel, sourdent de terre, dégringolent des rochers. Les cynocéphales se mettent à aboyer, les sciapodes se couchent, les blemmyes travaillent, les pygmées disputent, les astomi sanglotent, la licorne hennit, le martichoras rugit, le griffon frappe du pied, le basilique siffle, le phénix vole, le sadhuzag pousse des sons, le catoblepas soupire, la chimère crie, le sphinx gronde ; les bêtes marines se mettent à palpiter des nageoires, les reptiles à souffler leur venin, les crapauds à sauter, les moucherons à bourdonner ; les dents grincent, les iles vibrent, les poitrines se bombent, les griffes s’allongent, les chairs clapotent ; il y en a qui accouchent, d’autres copulent, ou d’une seule bouchée s’entre-dévorent. Tassés, pressés, étouffant par leur nombre, se multipliant à leur contact, ils grimpent les uns sur les autres. Et cela monte en pyramides comme une montagne, un grand tas remuant de corps divers, dont chaque partie s’agite de son mouvement propre, et dont l’ensemble complexe oscille d’accord, bruit et reluit à travers une atmosphère épaisse que raye la grêle, où tombent la neige, la pluie… »

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