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There will be blood

Par Rob Gordon
There will be bloodPartout où l'on entend du bien de There will be blood, les louanges s'accompagnent d'une évocation ébahie de l'ouverture du film, magistrale et muette pendant une bonne dizaine de minutes. Aussi brillante que soit cette introduction, elle ne vaut pas grande chose à côté de la longue scène qui clôt ces deux heures trente de pur talent. Une conclusion qui résume sans schématiser l'ensemble des enjeux évoqués par Thomas Anderson dans un film bien plus profond que son apparent classicisme ne le laisse croire. There will be blood, est le récit de la lutte universelle et impitoyable de deux formes d'intégrismes : le fanatisme religieux et la cupidité galopante.
Contrairement à Boogie nights, le film qui révéla Anderson, on ne peut réellement affirmer que There will be blood soit une fresque. Ou pas dans le sens le plus commun du terme. Bien que l'on suive le personnage de Daniel Fairview sur une trentaine d'années et 150 minutes de pellicule, la superposition des différentes époques sert moins à raconter son existence de A à Z que pour compléter peu à peu son portrait et renforcer le propos. Ç'aurait été mal connaître Paul Thomas Anderson que d'imaginer voir une simple biographie imaginaire sous le signe du rêve américain. Se foutant bien d'une quelconque reconstitution historique de la situation politico-économique d'alors, PTA est en revanche fasciné par la misanthropie galopante de son héros, qui ne s'entoure d'une équipe que pour parvenir à ses fins et couler une fin de vie heureuse loin du reste de l'humanité. Il fallait pour réussir cette description un auteur racé et mature, capable de ne pas transformer son personnage en pure boule de méchanceté, en machine à Oscar un peu trop édifiante. À 37 ans, il y parvient avec assurance mais sans arrogance.
Car si Daniel Day-Lewis a finalement reçu l'Oscar, sa prestation n'a rien d'une performance. Il n'a jamais été aussi convaincant qu'ici, lui dont les prestations tant saluées sont souvent brillantes, mais toujours marquées du sceau de l'Actor's studio. Comme son personnage, l'acteur n'entend rien démontrer, mais simplement aller au bout de sa dévorante ambition de réussite. On apprécie le résultat sans que les intentions soient apparentes. Ce fait rare est non seulement le fait d'un comédien de grande classe, mais également d'un directeur d'acteurs sachant brider les envies de cabotinage et tirer le meilleur de chacun. Dans ce monument de cohérence, la mise en scène est évidemment à l'unisson : pleine, sans fausse note, à mille lieues des différentes tentatives toujours réussies mais toujours un peu lisibles des précédents films d'Anderson. There will be blood est un film ambitieux sur tous les plans, mais qui ne donne jamais l'impression de VOULOIR être un grand film. Et c'est beau.
Ménageant son lot de scènes fortes avec une constance assez incroyable, le visuel ne prenant jamais le pas sur le verbal, le film d'Anderson livre un message plus clair et complexe que bien des pensums. Il y a un argument facile que l'on trouve souvent dans les critiques de films américains, disant que "le réalisateur livre une description imagée de l'Amérique d'aujourd'hui". Osons le stéréotype, qui ici n'en est pas un : en opposant puis mêlant les fous de Dieu et les capitalistes les plus secs, le film propose une vraie radiographie de deux maux qui rongent le pays de l'Oncle Sam et, plus largement toute une planète. Dit comme ça, ça peut sembler trivial ; mais une fois encore, Anderson s'y prend à merveille. Et nous laisse, si besoin est, une prodigieuse dernière impression, avec ce duel final si intense, si puissant, où chaque mot résonne comme un coup dans la gueule, à l'image d'un film pas poseur mais sacrément frappant.
9/10

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