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Back to 2005 ?

Publié le 08 novembre 2011 par Monthubert

La semaine dernière, un " tweetclash " a eu lieu entre Jean Quatremer, journaliste à Libération, et Arnaud Montebourg. Certains se sont délectés de l'attaque du journaliste, et de sa tactique pour apparaître comme un victime de la réponse de Montebourg. Mais nous ne sommes pas dans une cour de récréation. Et il faut prendre au sérieux ce qui se passe.

On pourrait, dans un premier temps, mettre sur le compte du format très réducteur de Twitter l'aspect provocateur, ou insultant selon le point de vue, du premier message de Jean Quatremer. Tout comme pour la réponse d'Arnaud Montebourg, à laquelle on a fait dire beaucoup plus que ce qu'elle dit textuellement. Mais Jean Quatremer ayant pris la peine de justifier longuement les 140 caractères qui ont créé la polémique, il montre qu'il n'y a pas d'erreur d'interprétation. Je souhaite donc à la fois répondre et élargir le débat, car il n'a rien d'anecdotique.

Revenons au fameux tweet qui a tout déclenché. Alors que Georges Papandreou créait la surprise en évoquant le recours à un référendum pour vérifier le soutien des Grecs au plan d'austérité imposé par les négociateurs européens, un geste soutenu par de très nombreux responsables politiques de gauche, et même pour certains de droite (avec Valéry Giscard d'Estaing), Jean Quatremer publia un tweet qu'il qualifie aujourd'hui de " provocateur " : " Le FN et Montebourg soutiennent Georges Papandreou. Ca va lui faire chaud au coeur. " Il ne s'agissait évidemment pas d'un simple raccourci malencontreux. Depuis que les idées d'Arnaud Montebourg progressent dans la population, certains s'évertuent, plutôt que de les affronter directement comme il est légitime dans un débat politique, à les disqualifier en les assimilant à celle du Front National. C'est une offense à Arnaud Montebourg, qui ne peut en aucun cas être soupçonné de sympathie à l'égard de l'extrême-droite. C'est aussi une insulte à l'intelligence, car cette technique discursive consiste à faire penser au lecteur qu'il y a identité de position dès qu'il y a accord sur une partie seulement. A ce rythme, on ne pourra plus dire grand chose, car c'est justement la stratégie explicite de Marine Le Pen d'avoir un discours qui ratisse large pour mieux ramener vers le coeur de son projet politique, vers le seul invariant des programmes du Front National : le refus de l'immigration. Le projet d'Arnaud Montebourg est, à l'inverse, internationaliste. Quand Marine Le Pen désigne la circulation des personnes comme le fléau n°1, Arnaud Montebourg affirme publiquement que l'immigration est une chance. Et son projet de démondialisation, si l'on veut bien se donner la peine de l'étudier, repose sur le refus d'un cercle vicieux d'appauvrissement des populations. En quoi serait-il internationaliste de permettre une concurrence acharnée de tous les hommes et femmes de la planète ? L'internationalisme, c'est la reconnaissance du droit au respect de tous ceux qui peuplent cette terre, c'est la lutte pour une amélioration de leurs conditions de vie. Continuer à acheter les yeux fermés des produits de l'exploitation outrancière des hommes, des femmes ou des enfants, n'est pas un acte de générosité à leur égard !

Arnaud Montebourg, face à cette attaque indigne d'un journaliste sérieux, décida de demander si la position du journaliste de Libération relevait de la ligne éditoriale de ce journal : " Les attaques sectaires de Jean Quatremer contre mes positions deviennent lassantes de malveillance. Qu'en pense Libération ? ". Tonnerre de protestations, le journaliste agresseur se présentant comme la victime d'une demande de licenciement... qui n'existe que dans sa tête. A aucun moment Arnaud Montebourg n'a " demandé la tête " du journaliste, contrairement à ce que celui-ci titre sur son blog : il s'agissait de connaître la position de l'organe de presse, qui n'est pas qu'une juxtaposition d'individus, mais un collectif. Oui, la question de la ligne éditoriale se pose. Car ce que nous vivons aujourd'hui avec la démondialisation ressemble fortement à ce que nous avons vécu en 2005 lors du référendum sur le Traité Constitutionnel Européen. On se souvient la manière dont de trop nombreux journalistes, à l'époque, avaient tenté de disqualifier les positions des opposants au traité, en les agrégeant dans le qualificatif de " nonistes ", alors que les raisons de rejeter le traité étaient multiples et parfois contradictoires. Déjà à cette époque, le fait que le Front National soit hostile au Traité semblait suffisant à quelques journalistes peu rigoureux pour expliquer qu'on ne pouvait pas voter comme Jean-Marie Le Pen, refusant de faire la différence entre le repli national du FN et l'ambition de construction d'une autre Europe qui motivait les électeurs de gauche qui refusaient ce traité. Jean Quatremer, dans son billet d'explication sur son blog, dit d'ailleurs explicitement que c'est en se souvenant de 2005 qu'il a écrit son tweet. Pourtant, les arguments avancés à l'époque pour les opposants de gauche au TCE, en particulier sur le modèle institutionnel dont on constate chaque jour l'échec, et sur le fonctionnement de la BCE qui est partie prenante de notre désastre financier, montrent -malheureusement- leur pertinence. L'Europe s'est construite en prenant pour ciment des règles qui ne sont qu'un poison, et c'est une autre construction européenne que nous devons d'urgence lancer, faute de quoi c'est l'idée même d'Europe qui va s'effondrer.

Il serait catastrophique pour notre pays que nous revivions les mêmes dysfonctionnements journalistiques qu'en 2005. La démondialisation est un projet politique qui a été un pivot du débat des primaires citoyennes. Il doit être pris au sérieux, discuté avec rigueur, sans recours à des artifices rhétoriques qui amusent peut-être leur auteur mais desservent le débat public, voire l'anesthésient, au risque d'un nouveau recul de la démocratie. Chacun est évidemment libre de son expression, mais les lecteurs sont en droit d'attendre de leurs journalistes autre chose que des amalgames pervers.


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