[Critique] BUBBLE de Steven Soderbergh (2006)

A l’instar des poupées figées qu’ils fabriquent, Martha (Debbie Doebereiner) et Kyle (Dustin Ashley) semblent inanimés, conditionnés socialement, parce qu’ils bossent à l’usine, parce qu’ils habitent un coin paumé de l’Amérique profonde. La première est obèse, se nourrit de junk food, s’occupe de son vieux père. Le second vit chez sa mère, au chômage, et n’a aucune perspective d’avenir. On ne voyait pas trop ce que pouvait tirer Soderbergh de ce vide scénaristique. Et pourtant. En quelques plans (précis, ordonnés, froids), on reconnaît la patte de l’auteur. Sa mise en scène, nette et acérée, exécute chaque séquence avec méthode, dans un calme apparent, clinique, dont la rigueur quasi expérimentale n’est là que pour mieux craqueler les masques. Derrière les sourires, se cachent les jalousies. Derrière des gestes d’automates, les désirs refoulés. Forcément, lorsque la belle Rose (Misty Wilkins) débarque à l’usine et provoque la désharmonie du duo, c’est le drame.
Un drame (social ? policier ? humain ?), que Soderbergh laisse tremper dans des eaux lynchéennes (Twin Peaks n’est pas très loin), et qui vient bouleverser et l’intrigue et les attentes du spectateur. Basculant dans un tout autre univers, et une atmosphère de polar, Bubble révèle alors ce qui était jusqu’ici tapi, sagement, dans l’ombre. Une solitude qui rend fou, un engrenage de détails qui conduit au pire, un amas de frustration qui éclate. Comme une bulle. A l’intérieur d’une bulle (la ville, la vie ?). Le cinéaste, lui, convoque un goutte à goutte chirurgical, minutieux, une aliénation en étapes que viennent souligner quelques riffs entêtants de guitare acoustique. Il élève alors son Bubble, de simple film-concept (première œuvre- de commande et avec acteurs non professionnels- à se voir distribuer simultanément en VOD, DVD et en salles) à véritable œuvre de cinéma, dont la placidité manifeste n’est qu’illusoire.

Le dernier film de Steven Soderbergh, Contagion, est actuellement en salles.