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Comment Bouteflika a déstabilisé la structure sécuritaire

Publié le 11 novembre 2011 par Amroune Layachi

Comment Bouteflika a déstabilisé la structure sécuritaire

L’épisode du kidnapping par des barbouzes de Nourredine Belmouhoub est passé trop rapidement sur les écrans de l’actualité nationale.

Nous avions alerté, dans un précédent article, sur les conséquences de l’installation de la pratique de la barbouze (services spéciaux parallèles et illégaux), alors que le pays a besoin de toute l’homogénéité de nos services de sécurité face à des défis internes et externes. Nous avons, au-delà des fantasmes autour des services spéciaux algériens, une cartographie précise de nos «armes» de renseignement. Et pour combattre ces tentatives basses de barbouzeries, revenons aux bases. L’Armée nationale populaire a cinq armes : l’infanterie, la marine, l’aviation, la gendarmerie et le Département du renseignement et de la sécurité (da’irat el isti’lamat oua al amn). De ce dernier dépendent plusieurs directions du renseignement militaire chargé de la sécurité intérieure et extérieure. Ce sont ces services qui ont payé le plus lourd tribut dans la guerre contre les terroristes islamistes. La cohésion de ces services est l’idée de l’ancien chef d’état-major Mohamed Lamari durant 1993 : la coordination entre les corps de sécurité contre le terrorisme islamiste a transformé la communauté des services spéciaux en une arme précieuse, mêlant renseignement et action (ce qui a donné des résultats contre le FIDA en 1995 grâce à la coordination ONRB et DCE, et autres opérations dont la destruction, en 1994, de l’état-major du GIA à Aïn Defla).


Cohésion


A noter que les différentes tentatives de «dialogue» ou de «rahma», lancées par le pouvoir, n’ont jamais altéré le travail de sape des maquis islamistes, pour la simple raison que, à l’époque, une cohésion parfaite entre l’appareil sécuritaire et la décision politique était non seulement acquise, mais aussi grâce à la parfaite cohésion tactique et stratégique entre «services» et l’ANP.  A l’époque d’ailleurs, on ne parlait pas de «srabess» ! On disait l’armée, unie dans son combat et appuyée par le renfort des services spéciaux dans l’unique objectif de détruire le GIA. Mais une chose a radicalement bouleversé les choses en 1999. C’est l’arrivée de Abdelaziz Bouteflika en tant que Président, accepté à demi-mot par le commandement militaire. Bouteflika, dès sa venue, a tenu à marquer ses distances vis-à-vis des militaires. Un vieux contentieux animait cette méfiance, depuis que les hauts gradés en 1978, à la mort de Boumediène, lui ont refusé la succession.


L’héritier


Les militaires venaient de perdre «leur père», selon les termes d’un général-major influent. Ils étaient en position de choisir attentivement l’héritier. Or, à en croire Ahmed Taleb El Ibrahimi, proche de Boumediène, ce dernier n’avait pas misé grand-chose sur le jeune Bouteflika. Boumediène se méfiait des ambitions de son ministre des Affaires étrangères et a confessé qu’il a joué le rôle de parrain forcé auprès du fougueux Bouteflika. Dans ses mémoires publiées chez Casbah Editions, Ahmed Taleb relate les confessions de Boumediène : «On a beaucoup épilogué sur mes relations avec Bouteflika. La vérité, c’est que Abdelaziz était un jeune homme inexpérimenté, qui avait besoin d’un mentor, j’ai joué ce rôle. Sans doute m’en veut-il de ne l’avoir pas désigné comme «prince héritier» ainsi qu’il le désirait. En effet, lorsqu’en 1976, j’ai chargé Bedjaoui de préparer un projet de Constitution, ce dernier est venu m’informer d’une demande de Bouteflika relative à l’introduction d’une disposition portant création d’un poste de vice-président, élu en même temps que le Président, sur le même ‘‘ticket”, à la manière américaine. A Bedjaoui, qui voulait savoir si cette proposition avait mon agrément, j’ai répondu qu’en tant que juriste, il pourrait proposer autre chose, sauf introduire un tel article.» A la mort de Boumediène, l’ANP, avec sa tête pensante, Kasdi Merbah, chef de la Direction centrale de la sécurité militaire (DCSM), a fait pencher le choix du haut commandement de l’ANP vers le colonel Chadli Bendjedid. Un coup que n’oubliera jamais Abdelaziz Bouteflika forcé à une longue «traversée du désert». Pour Bouteflika, c’est un affront fabriqué par l’armée, par ces fameux services spéciaux.


La menace


Et ce n’est pas un hasard s’il refuse le poste de président en 1994 : sa seule condition était de devenir en même temps ministre de la Défense. Arrivé au pouvoir en 1999, se voulant plus qu’un «quart de président», selon ses propres termes, le Président n’a cessé d’engager un duel avec ce haut commandement qui lui avait refusé la succession de son mentor Boumediène. En arrivant au pouvoir, M. Bouteflika récolta les fruits de la stratégie des services spéciaux, dont la tactique consistait à offrir des voies d’issue aux repentis tout en poursuivant – dans un schéma de coordination avec les autres services – la lutte antiterroriste. Or, le Président, chef des armées, jaloux de son pouvoir, s’est octroyé le droit de fragmenter cette cohésion aux fins de ses propres ambitions. Pour lui, ce corps homogène est une menace. Ça lui rappelle trop la SM monolithique qui lui aurait volé sa place de dauphin de Boumediène. Le meilleur haut officier de l’antiterrorisme est déchargé et est posté agent de liaison d’Interpol. L’ONRB et la BMPJ créées par le défunt Smaïl Lamari sont dissoutes. L’ANP est coupée du renseignement. Le président va même jusqu’à imaginer un super-ministère de la Sécurité, créer une direction du renseignement interne au sein du ministère de l’Intérieur, soulevant la colère des cadres du renseignement militaire… Et là, dernière trouvaille, nous nous retrouvons avec des services parallèles capables de kidnapper les gens en plein jour à Alger. En tentant d’étendre son pouvoir, le Président a déstabilisé la structure sécuritaire à un moment où le pays fait encore face à de sérieuses menaces internes et régionales.

Adlène Meddi

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