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« Pillez-moi, j’en vaux la peine » Voltaire (2)

Publié le 21 novembre 2009 par Actu34

C'est assez classe d'être copié après seulement deux jours d'existence ;-) C'est la gauche anti-libérale qui le fait et c'est ici ; dommage que leur blog n'ait pas fait un renvoi à celui-ci... Cela me donne au moins un sujet pour le billet du jour : Prévert et le Parti Communiste.

Voyage en URSS

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Le groupe Octobre avant le départ en URSS, probablement photographié par J-A. Boiffard.

L’expérience la plus communisante du groupe Octobre eut lieu en 1933, lorsque la troupe fut désignée pour représenter la France en Union Soviétique, à l’occasion des Olympiades organisées à Moscou. Prévert n’a pratiquement jamais évoqué ce voyage par la suite, mais on devine dans les textes qui suivent le séjour soviétique un changement sensible puisqu’il n’y fait plus jamais référence à l’URSS. Le musicien Robert Caby, qui participa en tant que délégué français pour les Olympiades de la musique révolutionnaire au même voyage, a tenu un journal au cours de son séjour, qui est à ce jour encore inédit. Caby et Prévert se connaissaient déjà, puisqu’en 1932, Robert Caby avait composé la musique d’un ballet dont Prévert avait écrit l’argument. On peut penser que les impressions dont Robert Caby rendait compte dans son journal étaient en partie semblables à celles éprouvées par la plupart des membres du groupe Octobre.

Heureux de fouler la terre qui avait vu naître la Révolution, les délégués français furent au départ plein d’enthousiasme devant l’Union Soviétique qu’ils découvraient, et qui portait leurs espoirs d’un monde plus égalitaire. Caby fait part dans son journal de l’émerveillement qui les saisit à leur arrivée à Leningrad, lorsqu’ils se rendirent à la Maison de Culture où leur était réservé un « accueil magnifique ». L’enthousiasme des jeunes, venus en nombre, les chants, les danses, les orchestres, les harmonies, le théâtre, tout y était d’une « qualité extraordinaire ». Devant la chaleur de cette cérémonie, rapporte Robert Caby, « Le camarade Prévert, écrivain du groupe octobre, s’écri[a] : "ce sont les seules fêtes populaires que j’ai jamais vues !" ».
Très vite pourtant Caby réalise que l’enthousiasme dont il a été témoin dans un lieu officiel est bien moindre dans la rue : « sur le pavé toutes les difficultés » résume-t-il très justement en observant une foule morne, silencieuse et fatiguée. De toute évidence, les officiels ont décidé de cacher autant que possible aux délégués la réalité du pays. Lorsque des clochards – ils sont nombreux – tendent la main pour mendier un peu d’argent, les interprètes soviétiques leur serrent la main comme à de vieilles connaissances. A Moscou aussi, la désillusion est au rendez-vous : le second plan quinquennal – qui prévoit la collectivisation des terres - s’avère être, au dire d’une camarade russe, dramatique pour les paysans : « il se passe des choses abominables à la campagne » « il n’y a pas que des koulaks, non », « ne croyez pas que nous vivons bien. Même ici à la ville, nous vivons juste ». La censure règne : on ne traduit pas convenablement les propos des ouvriers, il faut se cacher pour pouvoir parler à des camarades soviétiques, les questions sont souvent malvenues. Certains compagnons affectent de ne rien voir, d’autres semblent se satisfaire des explications fournies par leurs accompagnateurs. Ce ne fut visiblement pas le cas du groupe Octobre : Caby rapporte en effet l’animosité que provoqua sur les autres délégations le comportement des membres du groupe Octobre :
« il paraît qu’ils s’avisent de poser des questions insidieuses. Ils ont visité l’usine de chaudières S[ ?] par exemple. L’un a demandé à un ouvrier pourquoi il n’allait pas encore en vacances dans le Sud. Pourquoi il n’avait que 15 jours de vacances et d’autres un mois. Un autre a demandé à un ouvrier ce qu’il pensait de Staline. Questions inadmissibles [pour le camarade M.] C’est du trotskisme ! A une réflexion du camarade M. sur ces questions, l’un des délégués a répondu "tu comprends nous ce qui nous intéresse c’est de savoir si le socialisme est possible dans un seul pays".
Ce comportement sera jugé trotskiste, et Jacques Prévert soupçonné à son tour d’être contre-révolutionnaire : « le camarade Pr., l’écrivain du groupe, marche avec eux… »

Dans son autobiographie, Raconte pas ta vie, Marcel Duhamel consacre un chapitre au groupe Octobre et aux Olympiades.Il rapporte un épisode final qui confirme l’idée que Jacques Prévert était reparti désenchanté vis-à-vis de la politique de l’époque :
« Au moment de lever l’ancre, notre guide apparaît sur le quai accompagné d’un ou deux officiels. Ils parlementent avec le commandant et nous tend un papier : "Voilà. C’est une formalité que signent tous les groupes." Mais nous, on veut savoir. Et on se fait traduire. "C’est un satisfecit que vous donnez au camarade Staline pour ses réalisations et sa politique". On proteste tous, Jacques [Prévert], Yves Allégret, Lou [Tchimoukow] et moi. Mais je proteste à côté : j’ai compris qu’il s’agissait de politique artistique. Notre guide, en fait notre gardien, se raccroche à ce malentendu : "ça ne fait rien, vous pouvez faire des réserves quant aux questions artistiques mais signez." Je me fais engueuler par Yves et Jacques : "il ne s’agit pas de ça du tout. Nous ne sommes pas d’accord avec la politique générale et nous ne signerons pas." »
Cette désillusion vis-à-vis de la politique communiste n’empêcha pas toutefois la troupe de continuer à jouer en France. Si le P.C. avait montré ses limites dans la mise en place d’une véritable révolution prolétarienne, les membres du groupe Octobre continuèrent de croire à la nécessité pour les hommes de s’unir afin de combattre les méfaits du capitalisme. C’est d’ailleurs parce qu’il avait cherché dès ses débuts à dépasser l’esthétique un peu manichéenne du théâtre d’agit-prop que le Groupe Octobre était parvenu à se détacher de la ligne communiste pour s’orienter sur la voie d’un théâtre original, loué par Antonin Artaud. Entre le retour à l’ordre que proposait – dans sa forme – le théâtre d’agit-prop et le recours à la poétique des avant-gardes – dont les années trente avaient montré les limites – Prévert ouvrit une troisième voie : celle d’un théâtre à la fois populaire et novateur.


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