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Antonin Moeri en poche

Par Alain Bagnoud

L'éditeur Bernard Campiche reprend en camPoche deux romans de notre ami Antonin Moeri, publiés en 1990 et 1991 à L’Age d’Homme, L’Ile intérieure et Les Yeux safran.

 

antonin Moeri
Quand j'avais lu ces livres, j'avais été frappé par l'originalité de cette voix neuve. L'écriture y est servie par une distance ironique qui rend certains passages d'une drôlerie irrésistible. Elle est précise et joue sur des expressions toutes faites reprises avec ce même tremblement qu'on trouve chez Flaubert lorsqu'il utilise des clichés: un écho de pièce vide fait résonner les mots, empêche qu'on les prenne au premier degré mais refuse le deuxième degré souligné, reste entre deux.

Dans L’Ile intérieure, Moeri ne découpe pas son texte en paragraphes. Ce n'est pas gratuit, ça donne un rythme et une signification par le refus de hiérarchiser, de dissocier les événements: ils se retrouvent au même plan et concourent ainsi à la description de l'absurdité.

Le même effet se trouve dans son premier texte publié, prix de la revue [vwa], et dans son premier roman: Le fils à maman (Poche suisse), de même que s'y retrouvent des thèmes et le type de narrateur-personnage: un être falot, pâle, maigre, névrosé. Ici, c'est un acteur raté que handicapent des difficultés respiratoires. Le roman l'oppose à sa sœur, qu'il aime d'une manière ambiguë, musicienne exceptionnelle, pure, privilégiée, active. On y trouve aussi des discours sur l'écriture, sur l'artiste et sa fonction (jeter des perles aux pourceaux, leur dispenser une sorte de luminosité intense) et toutes sortes d'épisodes liés par aucune nécessité autre que l'écriture et la vision singulière du narrateur.

Ça commence dans une soirée mondaine, prétexte à impairs et présentation du personnage. Puis on voit le frère, la sœur lui propose de partir à Djerba, il y croise quelques personnages singuliers.

Dans Les Yeux safran, il s’agit d’autre chose. Safran, c'est la couleur de la mort : celle de la mère du narrateur, atteinte d'un cancer, et qui s'éteint petit à petit devant lui tandis que sa peau jaunit. Insomniaque et perdu, le fils s'efforce de capter, avec une extrême attention, les réactions intimes que les souvenirs ou les rêves sur elle provoquent.
Cette agonie et cette mort provoquent un déclic : le narrateur se met à écrire pour reconstruire son existence.
Les souvenirs évoquent Louis, l'ami d'enfance qui apprenait à fumer dans une cave, à voler à l'étalage ou à embrasser Caroline. On retrouve les portraits chargés dans lesquels Moeri excelle : un athlétique contrôleur de chemins de fer, « homme aux yeux globuleux d'un bleu transparent fichés aux extrémités d'un visage massif comme des boutons de culotte sur le masque burlesque d'un épouvantail ». Un intellectuel : « Quand on lui demande de décrire ses occupations, il répond en enlevant ses fines lunettes de son auguste nez : je fais de la recherche. Sur quoi tout le monde se tait. La phrase a été martelée avec une telle assurance qu'on se dit : quelle surprenante arrogance de roquet chez cet âne accoutumé au silence ».

C'est que Moeri, à l’époque, en voulait aux individus plus qu'à la société. Fidèle disciple de Handke et de Thomas Bernhard, il empruntait à ce dernier l'invective et l'indignation. Dans le livre, il s'attache aux personnages, les suit dans l'avion, sur la plage, marchant. Tourne autour des images, recherchant des états de musique et de délire verbal. Pour écrire ensuite, la nuit, en vacances, en altitude, après un grand effort physique, dans des conditions de malaise existentiel et de solitude, des histoires vengeresses. 

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