Magazine Politique

Plaidoyer pour BHL ??

Publié le 28 novembre 2011 par Egea

Oui, c'est un faussaire. Oui, il est insupportable. Oui, sa morgue hautaine, sa suffisance et sa dominance m'exaspèrent. Oui, ce gars-là n'est pas sérieux même s'il ne rit jamais et qu'il a toujours l'air grave du type qui porte tous les malheurs du monde, affligé professionnel. Oui, sa richesse médiatique m'insupporte. Non, je ne le lis pas, ou plus depuis un lointain "la barbarie à visage humain" où j'appris que le monde était structurellement divisé entre les bons et les mauvais, entre les fascistes (et les Français en étaient, "naturellement") et les opprimés, découverte philosophique qui ne bouleversa pas ma vie. Oui, sa suffisance à coup de vagues concepts philosophiques et de plagiats botuliens suffisent, effectivement, à disqualifier intellectuellement le bonhomme.

Plaidoyer pour BHL ??
source

Et non, il ne lira pas ce billet, habitué qu'il est aux injures et aux moqueries des blogueurs et du public, ignorance qui sera de sa part la manifestation ultime de cette distance entre l'élite dont il fait partie et le bon peuple qu'il assimile au public télévisuel de Vivement dimanche et de Téléstar. Et évidemment, je ne dirai même pas du mal de son dernier bouquin, parce qu'il ne mérite pas, c'est évident, une quelconque critique, même pour dire que c'est n'importe quoi. Bref, je suis d'accord avec ce que vous pensez, et je le dis tout haut, histoire que nous soyons temporairement débarrassé de notre ressentiment.

Une fois qu'on a dit ça, n'y a-t-il pas qq chose d'intéressant au-delà de BHL, malgré BHL ? Un je ne sais quoi, un presque rien, avec lequel le géopolitologue pourrait être d'accord ? Peut-être....

1/ En effet, il ne s'agit pas de critiquer son action en Libye ou ses positions diplomatiques. L’absurde "diplomatie du perron" a suffisamment fait l'objet de gloses pour que je n'ajoute pas ma pierre à l'édifice. Bref, il ne s'agit pas ici de s'interroger sur les motifs de tel ou tel, car au fond ils ne m'intéressent pas.

2/ En revanche, il y a un côté "bouc émissaire" chez BHL qui est particulièrement intéressant (signalé par Michel Crépu sur France Inter samedi) : comment ce gars là réussit-il à susciter autant d'antipathie unanime ? Bien évidemment à cause du décalage entre sa puissance médiatique et l'assurance de son discours, d'une part, et l'impunité dont il bénéficie par rapport à ses nombreux à-peu-près, d'autre part. BHL illustre clairement la logique girardienne du désir mimétique. Cette figure médiatique extrême résume tous les fantasmes de notre société ultra-médiatisée, et baignée en permanence du flux de communication de toute sorte : télé, radio, presse, pipolisation, Internet, réseaux sociaux que nous consommons à haute dose. BHL symbolise la mutation de la figure de "l'intellectuel engagé", celui qui lit et qui écrit : mais alors qu'autrefois un Voltaire, un Zola, un Gide ou un Sartre n’intervenaient dans le débat que par la seule force de l'écrit, BHL invente deux choses :

  • une communication au sens propre "multimédia", puisque ce n'est pas seulement par les livres ou les articles, mais aussi les films, les photos et les interviews de toute sorte que BHL intervient non pas "dans le débat", mais "sur la scène".
  • une entrée dans l'action qui est la frontière ultime entre l'intellectuel engagé et l'acteur politique (cf. Michel Crépu qui oppose Stéphane Hessel, restant extérieur à l'événement, et BHL, qui entre dans l'histoire) : en transgressant la limite entre le commentateur et l'acteur, BHL innove.

3/ En effet, si l'intellectuel commentait, si Sarte a manifesté ou s'est juché sur un fût pour parler à Billancourt, cela restait de l'ordre du verbe. L'intellectuel à la française demeurait extérieur à l'événement. BLH rompt la glace, il agit sur l'événement, il veut faire l'histoire. Et il ne s'agit pas, comme d'autres intellectuels, de se contenter d'un ministère de la culture. Il s'agit au contraire de la grande politique, celle qui définit la position de l’État. Et alors que Malraux avait été au rendez-vous de l'histoire, BHL veut lui l'écrire, la susciter, l'initier.

4/ Il bénéficie à l'évidence du contexte : celui où la politique n'est plus Politique, mais d'abord et avant tout médiatisation. Il y a confusion non des sentiments, mais des intérêts. Les médias ne sont pas le quatrième pouvoir, ils sont devenus le pouvoir.

5/ Certes, me direz-vous. Mais pourquoi ce mot de plaidoyer que vous placez au titre du billet ? Parce que paradoxalement, BHL renoue avec l'essence du politique, et rompt avec le consensus moraliste des médias, lui qui en est pourtant un des archanges (des médias, et du moralisme). En effet, par delà sa posture morale, au nom même de cette posture morale (la lutte contre le tyran, le soutien au peuple opprimé qui se soulève), et au-delà de l'utilisation du "devoir d'ingérence" et de la "responsabilité de protéger" qui constituent deux atteintes fortes au régime politique traditionnel (celui de la souveraineté), BHL réintroduit un fait passé inaperçu. C'est d'ailleurs l'ultime métamorphose de cette union de la moralisation, de la médiatisation et de la politique dont il est le symbole. En effet, BHL réintroduit l'utilité de la guerre dans le champ politique.

6/ On est loin de J. Chirac qui disait que "la guerre est, toujours, la plus mauvaise des solutions". Eh! non, la guerre est une solution parmi d'autres, la plus souvent mauvaise, surtout quand on entre dans des conflits symétriques, industriels, totaux. Mais la guerre, en soi, est une décision politique. BHL a prôné la guerre au long des 20 dernières années, en Bosnie, au Kossovo, en Irak, en Libye. BHL est un va-t-en-guerre. Au moins n'a-t-il pas la fadeur vertueuse d'un Rony Brauman qui lui reprochait justement cette acceptation de la guerre au nom d'une guerre juste toujours à considérer (voir le débat entre eux ici).

7/ Ainsi, BHL pratique une posture schmitienne, ce qui est savoureux, on en conviendra. Il accepte que la politique consiste à désigner l'ennemi. Il fait de la politique au sens léniniste du terme : la politique, c'est la continuation de la guerre par d'autres moyens. Ce qui est une forme de réalisme qu'il faut savoir reconnaître.

8/ Encore un petit effort, M. BHL. La question n'est plus seulement d'accepter le fait de la guerre, il est de savoir pourquoi on la fait. Bientôt, vous parlerez des intérêts du pays, au lieu de vous abriter derrière vos justifications moralisatrices..... Mais non, BHL acceptant d'être immoral, cela ne se peut pas !

O. Kempf


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Egea 3534 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines