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ICPE : le pétitionnaire doit démontrer ses propres capacités techniques et financières

Publié le 30 novembre 2011 par Arnaudgossement

troisieme-regime-icpe-presentation-projet-loi-L-1.jpegPlusieurs décisions de justices récentes viennent confirmer une règle ancienne : le demandeur d'une autorisation d'exploiter ICPE doit démontrer ses propres capacités techniques et financières. Une règle à laquelle les exploitants d'ICPE et de parcs éolien notamment doivent apporter la plus grande attention.


J'ai écrit ici à plusieurs reprises qu'il importe d'apporter la plus grande attention à la règle des capacités techniques et financières : l'exploitant qui demande une autorisation d'exploiter doit démontrer sa capacité - et non celle d'un tiers ou de sa société mère - à exploiter dans des conditions de parfaite sécurité, ses installations. 

Cette règle se justifie absolument s'agissant d'installations réellement dangereuses et impactantes pour l'environnement. S'agissant d'éoliennes, cette règle a surtout pour effet de compliquer les conditions de financement de projets par les PME et de créer un risque juridique élevé en cas de recours à la technique de la société de projet. 

Par arrêt n°09LY00624 en date du 4 novembre 2011 (Association Les Trois Prés), la Cour administrative d'appel de Lyon s'est prononcée sur les capacités techniques et financières de l'exploitant d'un élevage porcin (ICPE) dont l'arrêté d'autorisation d'extension était attaqué.

L'arrêt rappelle tout d'abord la règle de droit aux termes de laquelle le demandeur d'une autorisation ICPE doit apporter la preuve de ses capacités techniques et financières : 

"Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement, qui reprend les dispositions de l'article 3 de la loi du 19 juillet 1976, l'autorisation d'une installation classée (...) prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L.511-1 ; que l'article L. 511-1 du même code, également repris de la loi précitée, dispose que : Sont soumis aux dispositions du présent titre les (...) installations (...) qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments ; qu'en vertu enfin du 5° de l'article 2 du décret du 21 septembre 1977, dans sa rédaction issue du décret du 9 juin 1994, le pétitionnaire doit mentionner dans sa demande d'autorisation ses capacités techniques et financières"

 Le considérant de principe qui vient "traduire" cette règle de droit est le suivant : 

"Considérant qu'il résulte des dispositions rappelées ci-dessus qu'une demande d'autorisation de création ou de modification d'une installation classée doit, à peine d'illégalité de l'autorisation, permettre à l'autorité administrative compétente d'apprécier notamment la capacité financière du pétitionnaire à assumer l'ensemble des obligations susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 ainsi que les garanties de toute nature qu'il peut être le cas échéant appelé à constituer à cette fin"

Par application de cette règle de droit, la Cour administrative d'appel de Lyon examine, au cas d'espèce, les capacités techniques et financières de l'exploitant dont l'autorisation d'extension est attaquée : 

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que le dossier soumis à enquête publique indiquait que le financement du projet avait fait l'objet d'une analyse financière réalisée par un cabinet, figurant en annexe au dossier, au vu des cinq dernières années clôturées, et d'après une étude économique prévisionnelle du projet réalisée par le centre d'économie rurale de la Nièvre, concluant à une situation financière suffisamment solide pour supporter les investissements prévus ; que, s'agissant des capacités techniques du pétitionnaire, il était rappelé dans le dossier la formation initiale des exploitants, titulaires respectivement d'un brevet d'études professionnelles agricoles et d'un brevet technique agricole, ainsi que leur expérience de dix ans tant dans l'exploitation de l'élevage de type naisseur-engraisseur, que dans une activité d'épandage de boues d'une station d'épuration, et leur maîtrise en matière d'épandage et de suivi agronomique ; qu'ainsi, le GAEC de Soulangy, qui exploitait au demeurant depuis de nombreuses années l'élevage porcin concerné, sans que ses capacités techniques et financières aient été remises en cause, a justifié desdites capacités auprès du préfet de la Nièvre"

 Ce considérant est intéressant car il démontre qu'il n'existe pas un critère précis permettant de savoir à partir de quel instant un exploitant justifie ou ne justifie plus de la réalité de ses capacités : attestation des capacités financières par un cabinet extérieur, expérience, formation des employés... Le Juge vérifie ici la réalité de la société elle-même qui justifie en propre ses capacités techniques et financières à partir d'un faisceau d'indices.

D'autres arrêts récents démontrent également que le Juge procède par faisceau d'indices, lequel a toujours pour fonction de vérifier la réalité physique de la société qui demande une autorisation. Ainsi, par arrêt du 30 juin 2011, la Cour administrative d'appel de Douai a pu indiquer (CAA Douai, 30 Juin 2011, Société A.,N° 09DA00764) : 

"Considérant que, si la société pétitionnaire a transmis à l'autorité compétente sous pli confidentiel les renseignements nécessaires pour que celle-ci puisse apprécier ses capacités financières, elle s'est bornée dans sa demande à citer ses partenaires industriels et son capital social ; qu'elle ne peut sérieusement prétendre que son chiffre d'affaires et son résultat net présentent un caractère confidentiel alors que, comme il est soutenu en défense, plusieurs dispositions combinées du code de commerce et notamment les articles L. 123-13, L. 232-23, R. 123-92, R. 123-94 et R. 123-11 prévoient une publicité pour le compte de résultats par le biais du registre du commerce et des sociétés, les comptes annuels et rapports de gestion de l'exercice faisant aussi l'objet de publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, la communication à toute personne intéressée des pièces déposées en annexe du registre précité étant parallèlement garantie ;
Considérant que, dans ces conditions, et eu égard à l'intérêt qui s'attache à la qualité et à l'exhaustivité des indications à fournir sur les capacités techniques et financières de l'exploitant, pour permettre au public de les apprécier, la commune de V. et les autres défendeurs sont fondés à soutenir que le dossier soumis à enquête publique était incomplet"

Ici, le Juge vérifie la réalité du capital social de la société qui a sollicité l'autorisation d'exploiter litigieuse. Le contrôle est donc précis et parfois trés approfondi, portant sur les éléments comptables fournis par l'exploitant et non ceux de sa société mère, comme en témoigne cet arrêt de la Cour administrative d'appel de Nantes du 13 février 2011 (société Carrières de B. n°09NT02464) : 

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour justifier de sa capacité financière, la SOCIETE C, qui exploite depuis 1976 une carrière sur ce site et appartient au groupe Gagneraud, a fourni le tableau de son chiffre d'affaires et de ses résultats durant les exercices 2001, 2002 et 2003, ces derniers s'élevant, respectivement, à 855 185 euros, 799 810 euros et 800 437 euros, et faisant apparaître une marge brute moyenne de 20 % ; qu'elle a justifié du provisionnement régulier des sommes destinées à la remise en état du site dont le montant, actualisé annuellement, s'établit à la somme de 350 910 euros au bilan arrêté au 31 décembre 2003, et a produit une attestation du 5 juillet 2004 de la Banque de Bretagne certifiant le bon fonctionnement de son compte bancaire ; que, dans ces conditions, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif de Rennes, l'autorisation d'exploitation litigieuse, qui a pris en compte l'ensemble de ces éléments justifiant de la capacité financière du pétitionnaire, n'a pas été délivrée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'environnement" 

On le voit, à aucun moment, le Juge ne tient compte des éléments relatifs au groupe de sociétés auquel peut appartenir l'exploitant. De manière générale, les informations produites par la société pétitionnaire pour démontrer la réalité de ses capacités techniques et financières doivent être précises. La Cour administrative d'appel de Douai, par arrêt du 5 mai 2011 a ainsi précisé (CAA Douai, 5 Mai 2011, Société I. n° 08DA00183)

"Considérant qu'il résulte, notamment, de l'arrêté en litige du 2 décembre 2004 que, s'agissant de ses capacités financières, la société I. s'est limitée à produire une attestation de saine gestion délivrée par la banque qui gère son compte et une assurance responsabilité civile ; qu'en cours d'instance, elle a seulement produit des engagements de caution pour garantir la remise en état du site ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, et qu'il n'est pas ailleurs même pas allégué, que l'administration aurait eu connaissance d'autres éléments de nature à établir les capacités financières de cette société ; qu'ainsi, elle n'a pas justifié devant l'administration à la date de délivrance de l'autorisation, ou même d'ailleurs devant le juge, malgré une mesure d'instruction, de sa capacité financière à faire fonctionner l'installation"

On le voit, les pièces exigées pour la démonstration de la réalité des capacités techniques et financières du demandeur ont bien trait à sa propre personne et non à celle d'un tiers. 

Il convient de préciser que, non seulement le premier demandeur d'une autorisation ICPE doit démontrer ses capacités à exploiter mais, en outre, l'éventuel nouvel exploitant doit à son tour rapporter cette preuve. L'arrêt rendu le 25 mars 2011 par la Cour administrative d'appel de Nantes retient ici l'attention (CAA Nantes, 25 mars 2011, Société G. 10NT00043)

"Considérant que pour annuler, par le jugement attaqué, l'arrêté du 22 août 2007 du préfet du Calvados, le tribunal administratif a estimé que la demande d'autorisation présentée par la société Géofor se bornait, en ce qui concerne ses capacités financières, à indiquer le chiffre d'affaires réalisé au cours des trois derniers exercices et le chiffre d'affaires prévisionnel pour l'exercice en cours et que cette seule indication, complétée par le montant du capital social de la société et par l'indication du chiffre d'affaires réalisé par ses filiales au cours du dernier exercice, ne permettait pas au préfet, en l'absence de tout élément comptable, de s'assurer que cette société disposait de capacités financières suffisantes pour assumer l'ensemble des obligations susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site ; qu'en outre elle se bornait, au titre des garanties financières, à exposer les modalités de calcul de telles garanties, et ne pouvait à cet égard utilement invoquer la caution solidaire fournie postérieurement à l'intervention de l'arrêté attaqué "

Soulignons ici que le Juge refuse de considérer qu'une société puisse démontrer la réalité de ses capacités techniques et financières par référence au chiffre d'affaires réalisé par ses filiales. Chaque personne morale a son autonomie. L'arrêt précise que le nouvel exploitant doit, à son tour démontrer ses propres capacités : 

"Mais considérant, d'une part, que les indications susmentionnées suffisaient à établir que la société Géofor disposait des capacités financières exigées par les dispositions législatives précitées ; que d'autre part, il résulte de l'instruction que par arrêté du 15 janvier 2009, le préfet du Calvados a transféré à la SOCIETE G. l'autorisation d'exploitation accordée par l'arrêté contesté ; que cette dernière produit devant la Cour, afin de justifier de ses capacités financières, les documents fournis à l'appui de la demande de transfert d'exploitation, constitués par ses bilans comptables pour les années 2005, 2006 et 2007, par deux attestations bancaires attestant d'un fonctionnement financier satisfaisant, et, au titre des garanties financières, par une caution bancaire de 24 728 euros, dont le montant permet d'assurer la remise en état de la partie de site exploitée au titre de la première période quinquennale d'exploitation, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'arrêté contesté ; que, compte tenu de ces éléments, les capacités financières de la SOCIETE G. et les garanties financières dont elle bénéficie ne peuvent être regardées comme insuffisantes pour faire face aux obligations découlant du fonctionnement de l'exploitation et en particulier de la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement et des obligations posées par l'article L. 512-17 du même code"

Il serait inexact de soutenir que la référence, par le demandeur d'une autorisation ICPE, à sa société mère ou à son groupe de société est sans intérêt. Trés précisément, l'appartenance à un groupe de sociétés justifiant d'une expérience certaine dans le secteur considéré constitue un indice supplémentaire permettant au Juge de s'assurer de la réalité des capacités du demandeur. Il ne s'agit toutefois que d'un indice, pas d'une preuve suffisante : 

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que le dossier joint à la demande d'autorisation précise que la société pétitionnaire appartient au groupe C. et est rattachée à la filiale C. de ce groupe, qu'elle exploite, outre la carrière en cause, six autres carrières dans les départements du Finistère et des Côtes d'Armor et dispose de cinq installations de broyage- concassage-criblage répartis sur ses différents sites permettant d'approvisionner le marché local en granulats ; qu'elle a, par ailleurs, joint à son dossier une attestation du Crédit Lyonnais indiquant que les engagements pris par cette société qui satisfait en France à la réalisation d'importants marchés (...) ont toujours été correctement tenus ; que, dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que l'autorisation litigieuse, qui a pris en compte l'ensemble de ces éléments, a été délivrée en méconnaissance des dispositions rappelées ci-dessus"

Insistons sur ce point : la référence au groupe ne peut constituer qu'un indice parmi d'autres, pas une preuve suffisante de la réalité des capacités du demandeur filiale (CAA Bordeaux, 8 septembre 2008, n°06BX01509): 

 Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que, si M. Philippe Z a quitté l'exploitation en mai 2001, son frère Olivier, associé unique de l'EARL bénéficiaire de l'autorisation litigieuse, a reçu une formation technique appropriée et justifie d'une expérience d'une dizaine d'années dans le domaine de l'élevage de volailles ; qu'il bénéficie de l'aide ponctuelle de son père, lui-même ancien éleveur de volailles, et du support technique et vétérinaire du groupe H. qui lui assure également des formations ; qu'en outre, comme l'EARL le fait valoir pour la première fois en appel sans être sérieusement contredite, le travail des terres est désormais donné à façon à un autre agriculteur et un salarié à temps partiel est employé sur l'exploitation, essentiellement pendant les périodes de vide sanitaire entre les bandes de volailles pour effectuer le nettoyage des bâtiments, puis pendant les premières semaines de démarrage des nouvelles bandes ; que, dans ces conditions, l'EARL doit être regardée comme disposant de capacités techniques suffisantes pour conduire l'exploitation dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

Considérant, en second lieu, qu'il ressort de l'analyse financière effectuée par le cabinet C. sur les années 2003, 2004 et 2005 ainsi que de l'examen des résultats comptables de l'exercice clos en 2007, que l'EARL connaît un niveau d'excédent brut d'exploitation satisfaisant, que le niveau d'endettement a diminué et représente désormais moins de 50 % des produits d'exploitation, et que l'exploitation a dégagé à la fin de l'exercice clos en 2007 un résultat positif ; que, compte tenu de ces éléments, les capacités financières de l'EARL ne peuvent être regardées comme insuffisantes pour faire face aux obligations découlant du fonctionnement de l'exploitation et, en particulier, de la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

Dans cet arrêt, si le Juge relève le "support technique" du Groupe, c'est bien à une analyse trés précise des capacités du demandeur lui-même qu'il procède.

Bien entendu, le Juge tient d'autant plus compte des capacités du groupe, qu'en réalité, le demandeur lui-même se confond tout à fait avec ledit groupe. Tel est le cas visé dans un arrêt de la Cour administrative (que j'ai eu l'honneur de plaider) : 

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que la coopérative agricole L est associée avec une autre coopérative pour former le groupe A., lequel regroupe les services administratifs et financiers des deux entités, et au regard duquel doivent être appréciées les capacités techniques et financières du demandeur, sans que puisse être utilement invoqué le principe d'autonomie des personnes morales ; que si le dossier de demande d'autorisation ne présente en annexe qu'un bilan simplifié dudit groupe, le préfet disposait cependant du montant du chiffre d'affaires des dernières années et connaissait les capacités financières du groupe, lequel sous son nom et sous celui de la société coopérative agricole L., exploite plusieurs installations en Eure-et-Loir, et notamment le silo de C. depuis 1972 ; qu'ainsi, l'administration disposait des éléments lui permettant d'apprécier les capacités financières du demandeur (CAA Nantes, 3 mars 2009, Association La P. N8NT000247).

Il convient de faire attention à ne pas déduire de cet arrêt que le demandeur peut se prévaloir des capacités d'une autre société, à savoir celles de sa mère. Tel n'était pas la problématique dans cette espèce où le groupe ne formait qu'une unité avec des enseignes parfois différentes.

Arnaud Gossement

Avocat associé - Docteur en droit


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